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J’ai souvent cette peur que, quand les « moments » se présenteront, je n’aurai pas les bons mots, pour mes p’tits. Du moins, j’en aurai d’autres que ceux qui peuvent m’habiter, parfois, quand je pense à ce à quoi ils seront confrontés, ce qui les éprouvera, ce qui les hachurera. J’aurai vieilli, oublié. Mes phrases seront peut-être portées par l’inquiétude ou d’autres sentiments qui empêchent de dire les « vraies affaires », qui confinent le discours dans le convenu, les phrases creuses.
C’est pour ça que ça m’arrive de leur écrire. Des lettres que je range dans une boîte ou encore dans un grand cahier, un Moleskine aux pages blanches sur lesquelles je peux aussi coller des photos, faire des dessins [laids parce que je n’ai pas de talent] ou y mettre les leurs. Ce sont des post-il de mémoire. À feuilleter. Il m’arrive aussi de chuchoter à leur oreille lorsqu’ils dorment. Je me couche près d’eux, je leur flatte les cheveux et je leur parle. Je nourris cette conviction que ça s’inscrit à quelque part, que ce seront peut-être des mots bouées qui serviront quand la vie sera de marde.
Alors un soir très tout bas…
Un jour, ça se pourrait qu’une personne prenne tes mains, fasse un petit bol de chair avec, à la hauteur du sternum. Elle te dira « Ne bouge pas, ferme les yeux et attends. ». Tu resteras immobile, fermera tes yeux avec un peu de résistance parce que ça t’énerve ces affaires-là et tu attendras, les sens un peu aux aguets. Il y aura un instant de silence. Tu la sauras tout près, la personne, parce qu’il y aura du chaud, là, à portée de doigts. Tu sentiras alors l’odeur de sa peau, elle te sera familière, y’aura tes genoux qui deviendront mous tellement tu les souhaiteras plus près, en fait, cette peau et cette odeur. Et là, tu entendras un premier craquement, puis d’autres. Et il y aura ce bruit que tu connais tant, mais il sera beaucoup plus fort. Et, dans le petit bol de chair que seront tes mains, tu sentiras un poids, une lourdeur, ce sera bouillant. Tu l’auras deviné avant même d’ouvrir les yeux que sous tes doigts, ce sera un fucking cœur battant sa vie.
Une personne aura jugé bon et bien et sage et la meilleure idée du monde de te le confier. Pas en mots. Non, en vrai. Il pulsera et tes yeux désormais ouverts le regarderont dans son nu, son pas d’armures. Tes pouces pourront l’effleurer. Tu auras un cœur battant sa vie dans tes mains. Je te le rappelle parce que c’est assez extraordinaire, t’sais. Ce sera l’une des choses les plus fragiles que tu tiendras. Et tu ne verras jamais un humain plus vulnérable que celui qui sera là, devant toi, la poitrine ouverte avec des miettes d’os à ses pieds.
Je veux que tu saches que. T’auras pas le droit de le poker, le coeur. De le passer au papier sablé ou à la râpe, encore moins au couteau, même et surtout, celui à pain. De le serrer trop fort qu’il étouffe un moment, puis de le relâcher et de lui laisser alors croire qu’il est, en fait, tellement plein et plus de vie. De le lancer. De le compresser. Évidemment de le laisser tomber. Puis de sauter dessus à un pied, à pieds joints, avec tes talons ou de prendre ton char pour passer dessus. Tu vas me dire que je te dis des évidences, que tu ne feras jamais ça une affaire de même. Mais, sur ce coup, je préfère jouer safe et le savoir que je te l’ai dit. Parce que si tu fais ces choses, le cœur dans le bol de chair de tes mains, y va se mettre à battre moins fort, à y croire moins que t’étais le spot de choix, que le privilège que t’avais de pouvoir le poser contre ton propre cœur pour qu’ils battent à l’unisson, le soir venu, la nuit venue, le matin venu, toute la vie venue, t’aurais peut-être été mieux de ne pas t’en prévaloir. À bout de marques, de cicatrices de bord en bord, de coutures qui lâchent, y va finir par se rompre, se vider. Y va être tiède. Y va être mou.
Et tu auras été responsable de ça.
De ne pas avoir su voir le précieux. Et de l’avoir laissé aller au bout de ses battements. Un cœur, ça comme pas d’yeux, ça voit fuckall. Ça fait juste vivre. Fort. Des fois, c’est à celui qui le tient d’avoir à le remettre là où y va vraiment. Dans un trou juste pour lui dans un corps fait pour lui. Faut avoir le cœur à la bonne place, tu sais.
Et si jamais par le plus triste des hasards du monde, ce sont tes pulsations qui se retrouvent dans des mains pas faites pour en prendre soin, va falloir que tu le vois que si ces mains n’ont pas su prendre soin de ton plus fragile, ton plus précieux, ton plus vulnérable, qu’elles ne pourront sans doute pas prendre soin du reste. Imagine le reste. Et là, faudra que tu le ramasses ton précieux, au plus crisse, que tu le remettes à sa place et le tiennes fort. Va falloir que tu coures, que tu te sauves pour et par ton cœur battant ta vie. Va falloir.
Mais là, fais juste dormir doux que je lui ai murmuré.
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