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Il y a quelques semaines, l’artiste américain Miles MacGregor, alias El Mac, achevait la création de sa plus grande murale en carrière : celle de Leonard Cohen. Ça lui aura pris deux mois, à raison de plus de 12 h par jour pour la terminer. Pour souligner la complétion du projet, j’ai pu m’entretenir avec le peintre choisi pour portraiturer un de nos trésors nationaux.
D’ordinaire, il n’aime pas trop peindre des gens connus. Il préfère peindre des gens qui représentent ceux qu’il voit autour de lui, mais qui sont sous-représentés par les médias. En naviguant sur son site, c’est ce que l’on remarque, des vieillards, des autochtones, des enfants métisses, des immigrants… Ainsi, dit-il, « ça permet à tout le monde de leur donner une signification, de leur donner le visage qu’ils veulent. Il n’y a pas d’a priori ». Cohen était pour El Mac un projet différent qu’il a accepté de faire en raison du profond respect qu’il voue au poète. À ses yeux, Leonard Cohen est le modèle d’une sorte d’humilité qui se perd de nos jours : « Cohen venait d’un autre temps. Aujourd’hui, les gens qui ont beaucoup d’attention sont ceux qui en veulent. J’ai l’impression qu’il a réussi à allier humilité et modestie tout au long de sa carrière même s’il devait être conscient de son image ». Il m’a rappelé l’existence d’un documentaire fait par l’ONF en 1965 intitulé Ladies and Gentleman… Leonard Cohen qu’il a vu il y a longtemps. C’est selon lui une belle façon de connaître l’homme dans son contexte.
El Mac parcourt le monde pour décorer les villes de ses murales, c’est un artiste très en demande qui semble rester modeste malgré tout. Il fait ce qu’il aime, le fait à sa façon, sans compromis. Il ne le dit pas, mais je sens dans sa voix que j’ai affaire à un homme sur son X, un homme conscient de la chance qu’il a de pratiquer son art pour vivre.
« Je pouvais passer 14 heures juste à peinturer son nez, ou travailler sur deux de ses doigts. Ça parait beaucoup, mais j’adore. J’entre dans une sorte de transe. Il y a véritablement quelque chose de méditatif dans tout ça. »
Natif de Los Angeles aux États-Unis, il est présentement à San Jose (Californie) pour un autre projet. La murale de Cohen était peut-être sa plus exigeante à date puisque la superficie de celle-ci (8500 pi2) représentait un nouveau niveau de défi technique. Il fallait tout déplacer l’équipement chaque fois qu’il voulait passer d’un côté à l’autre. C’est en partie ce qui explique pourquoi il peignait pendant aussi longtemps : « Tant qu’à être installé, j’y restais. Je pouvais passer 14 heures juste à peinturer son nez, ou travailler sur deux de ses doigts. Ça parait beaucoup, mais j’adore. J’entre dans une sorte de transe. Il y a véritablement quelque chose de méditatif dans tout ça ». Pour le peindre, il écoutait Partisan en boucle. C’était une façon pour lui de s’imprégner au maximum de l’essence de Cohen. Il y avait aussi la chanson Slow qui revenait souvent. Une chanson qui représente exactement la façon qu’il a de travailler. « Sin prisa sin pausa (sans presse ni pause) », me dit-il.
Cette murale, il ne l’a pas réalisée tout seul. L’artiste muraliste Gene Pendon peignait avec lui et c’est Lorca, la fille de Leonard Cohen, qui a pris la photo. C’est d’ailleurs Gene qui a eu l’idée de faire appel à lui. Le choix de la photo était très important puisque le portrait se voulait sobre. Au départ, raconte Mac, « on voulait peindre en noir et blanc, mais dans les environs ça aurait été trop tape-à-l’œil. On a donc opté pour les teintes que vous voyez ».
El Mac parle de Montréal d’une façon particulièrement affectueuse. Il considère que c’est un fait formidable et de peu commun pour une ville que d’immortaliser un poète sur un de ses grands murs : « Ça en dit long sur les valeurs de Montréal et de ceux qui l’habitent ». Je crois qu’il a raison. Il y a de quoi être au moins un peu fiers de l’importance que l’on vient de donner à un de nos artistes et par le fait même à notre culture.
Sur une note plus personnelle, par un bel après-midi d’automne, je suis allée courir sur le Mont-Royal, l’observatoire était presque vide, ce qui est rare. Le ciel était étincelant, je n’avais jamais vu la skyline de Montréal de façon aussi nette. Vu d’en haut, c’est ce qu’on voit en premier : un immense Leonard Cohen qui te regarde dans les yeux, la main sur le cœur. Un an après sa mort, ça m’a semblé comme un geste presque à la hauteur de ce qu’il nous a laissé. Je dis presque parce qu’à mon sens c’est impossible de lui rendre la pareille vu l’immensité et la profondeur de son œuvre, mais je suis biaisée. Cohen est mon John Lennon : le poète, l’artiste qui a marqué mon enfance, la soundtrack de ma vie. Peut-être que ça vous semblera juste, peut-être pas.
Mais moi, ça m’a émue aux larmes.