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Quand vous lisez le mot : Russie. Vous pensez à quoi? Le communisme? La guerre froide? Le grand blond dans Rocky 4? Vous êtes peut-être plus du genre à trouver que « Russie» rime avec la conquête de l’espace, la belle Moscou, une brosse à la vodka, un vaste pays aux paysages bucoliques dans lequel d’étranges personnes avec de gros nez dansent en kickant dans le vide? Aucun de ces clichés? Pour moi, la Russie, c’est Igor le grand weirdo que j’ai rencontré à Mexico City en 2008.
Mon ex copine et moi dormions à La Moneda, un hôtel qui avait été aménagé dans une vieille école du centre historique. Tout juste à côté du Zocalo au cœur de la ville. Nous avions trois lits dans notre chambre (2 superposés et un autre petit dans le coin de la pièce).
Igor devait mesurer deux pépines de haut et être large comme un monster truck. Sa voix était l’équivalent d’un klaxon de bateau. Il parlait… Que dis-je… Il marmonnait quelques mots en anglais et ça nous vibrait dans le chest. Pas parce que nous étions émus, non… Parce que sa voix donnait dans les basses notes graves. Homme de peu de mots, il souriait sans aucune raison apparente, des fois, comme ça, en fixant l’horizon. Un peu comme un psychopathe qui vient d’entendre une voix lui raconter une bonne blague.
Un matin, comme il était seul et qu’il partageait notre mini dortoir, nous l’avons invité à déjeuner. Il versait de la sauce forte ultra piquante sur ses crêpes au lieu de mettre du sirop et les mangeait comme si tout était normal! C’était le genre de sauce forte qui te donnait des crampes louches, une sudation anormale et des étourdissements accompagnés de phrases du genre : « crisse de sauce à la marde, plus jamais je goûte à ça! ». Le genre de sauce qui pourrait facilement se vendre dans un magasin Farces et Attrapes tellement qu’elle est ridiculement piquante.
Pas pour Igor mon Russe étrange. À grosse pelletées de crêpe décapantes dans gueule accompagnées de son café dans lequel il mettait du sel au lieu de mettre du sucre, il nous souriait et semblait heureux avec sa sacoche banane, son t-shirt de band de musique métal européen et ses bas dans ses sandales. Il était vraiment gentil, malgré son casting de grand tueur à gage du KGB sans le swag.
Il a passé la journée avec nous, il était très intéressant lors de nos visites dans les musées. Il nous expliquait toutes sortes de choses. Il s’y connaissait bien en histoire. Les aztèques, les mayas, les toltèques n’avaient aucun secret pour Igor l’homme bizarre que je commençais à soupçonner d’avoir travaillé pour Irina Spalko, l’agente russe qui court après Indiana Jones pour voler ses trésors.
Un soir, après un bon repas piquant, nous avons décidé tous les trois d’aller voir un match de lucha libre (la lutte mexicaine avec des masques). C’était dans un complexe où j’aurais facilement pu me faire kidnapper et voler un rein. Par contre, j’avais Igor avec moi. Faites-moi confiance, 98% de la planète ne veut pas se battre avec Igor. Je crois qu’il peut te briser le bassin juste avec la force de son regard.
Igor aimait BEAUCOUP l’alcool. Disons qu’il aimait en boire une énorme quantité en peu de temps. Il s’envoyait une bière en deux gorgées. Il en buvait… 5-6 à la demi heure. Il se collait sur moi et m’enlaçait comme si j’étais soudainement son meilleur ami… J’ai vite réalisé qu’en prison… J’aurais été sa bitch.
Après le combat de lutte masquée, nous sommes allés dans une boîte de nuit. Igor montait debout sur le bar et dansait… La foule encourageait notre Shrek à boire davantage. Il était couché sur le dos et le barman lui vidait sa bouteille de tequila dans la bouche. Il se relevait après plusieurs onces et dansait comme si la nuit lui appartenait. Rendu aux petites heures du matin, j’ai tenté tant bien que mal de le raisonner et de le ramener à la chambre. Il m’a alors agrippé par la mâchoire et m’a dit avec son accent de méchant :
«I’m a free man, I do what I want. OK? »
Pas de trouble man! À la shape que tu as, je ne t’obstinerai pas sur ta liberté, mon chum.
Igor l’étrange avait pris le lit du haut dans les lits superposés… OUIN… Il nous avait dit que depuis qu’il était petit qu’il voulait dormir dans le lit du haut et qu’il n’avait jamais eu la chance… Comme je ne voulais pas contredire l’homme à la shape de Zangief dans Street Figther, je lui ai laissé le lit du haut… Je dormais toujours un peu comme quand on passe sous un viaduc québécois. Nerveux.
Je dormais quand Igor est rentré à la chambre. Durant la nuit, je me suis fais réveiller par un claquement sourd. Un peu comme quand on claque la main d’un chummy pour lui dire salut et que ça fait : « POC! ». J’ai pris quelques secondes à réaliser que le « POC! » en question était la face d’Igor qui venait de smasher le plancher de ciment. Il venait de tomber de son lit à deux étages.
Nous avons allumé la lumière en panique et Igor avait les deux bras le long du corps, le visage face au sol et le corps bien droit. Un peu comme quand on fait du planking, mais en moins drôle. Y’avait du sang partout. Nous avons vérifié ses signes vitaux, il était correct et c’est là qu’une odeur atroce a remplie la chambre…
Il n’y avait pas juste son visage avait claqué le sol, son ventre aussi… Il s’était chié dessus comme un champion. Toute cette bouffe épicée coulait sur le plancher. Nous sommes partis à courir pour aller chercher de l’aide à l’entrée de l’hôtel. J’étais persuadé que son crâne était fracturé et c’était hors de question que j’éponge la marde de ce gars-là. Le service de nuit d’un hôtel mexicain étant ce qu’il est… Nous sommes retournés à notre chambre 10 minutes plus tard avec le gérant de l’hôtel.
À notre retour, Igor avait quitté la chambre. Un motton de serviettes pleines de marde et de sang était dans le coin de la pièce. Son packsac disparu. Plus aucune trace de notre Russe weird… Il était parti comme un grand voyageur… En suivant le soleil, la tête remplie de belles histoires de voyage.
Un jour, j’irai en Russie et je le retrouverai pour lui dire que c’est correct, qu’il n’a pas à avoir honte… Ça arrive à tout le monde de tomber de son lit, de saigner sur des inconnus et de chier par terre.
Love you Igor!