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Mon pĂšre mâa toujours dit : âTant quâĂ faire de quoi, fais-le bien. Ou ne le fais pas pantoute.â Et je crois que ce principe de vie doit sâappliquer Ă tout. On ne va pas commencer Ă discriminer dans quoi on doit ou ne doit pas performer. Quand mĂȘme.
Lâart de bien mĂ©priser autrui ne doit pas faire exception Ă la rĂšgle. Ce ne serait pas poli pour le mĂ©pris et on ne veut pas insulter le mĂ©pris: il pourrait se venger. Donc. Si tu veux ĂȘtre le champion des trolls, imbibe-toi des conseils avisĂ©s qui suivent.
Trouve-toi une cible facile. Plus elle le sera, plus tu auras dâappuis. Câest une loi de base, un classique, de lâintimidation : tape sur le faible, lâisolĂ©, celui qui ne semble pas avoir dâamis. Ou encore celui qui nâa pas trop de voix. Ou celui qui ne pourra pas se dĂ©fendre. Ou celui dont le statut est dĂ©jĂ malmenĂ© par les prĂ©jugĂ©s. Ăa, câest gagnant.
Tu auras âlâopinion publiqueâ, on va postuler quâelle existe et omettre Bourdieu deux instants, de ton bord. MĂȘme que ladite âopinion publiqueâ risque dâen ajouter une couche ou deux. Ou trois. En fait, assure-toi de juste mettre la marde sur la table et que dâautres, par aprĂšs, jouent avec. Ils vont le faire, tu auras allumĂ© le feu crĂ©pitant du âje dois aussi donner mon avisâ dans leur cĆur.
Diviser pour mieux rĂ©gner, la fin justifie les moyens, lâhomme est un loup pour lâhomme, etc.
Et entre nous, dans lâintime, dire que tu intimides quand tu fais ça, câest vraiment rĂ©ducteur et ça ne te rend pas justice, parce que tu es plutĂŽt un rassembleur. Tu permets la cristallisation des opinions et la fixitĂ© des idĂ©es. Ce nâest pas rien. Donne-toi une petite tape sur lâĂ©paule.
Vois grand. Si, par exemple, tu trouvais le moyen dâinsulter 127 000 personnes, disons lâensemble dâun corps de mĂ©tier comme des enseignants et ceux et celles Ă qui ils enseignent, on jase, lĂ , personne ne ferait jamais une telle chose, quelquâun devrait te dire âtayeuleâ, mais câest justement tellement lĂ que rĂ©side ta force, champion : tu dois ratisser large, balancer tes briques, ton fanal, tout ton riche vocabulaire Ă de vastes majoritĂ©s. Qui resteront silencieuses. Ce sera tellement Ă©norme que #lesgens vont se dire que ce doit ĂȘtre vrai. Et ceux visĂ©s seront Ă©crasĂ©s sous le poids de ton courage et nâoseront pas se lever contre toi.
MĂ©lange le plus dâaffaires possible. Tu auras lâair de connaĂźtre beaucoup de choses et le savoir, câest le pouvoir et le pouvoir, câest toi qui lâa au bout de tes doigts qui fracassent ton clavier Ă la vitesse de ta solipsiste intelligence. Mais câest bien que tu la recouvres dâun peu de bouette, ton intelligence, question quâelle ne paraisse pas tant, voire pas du tout. Le monde, il nâaime pas trop ça, les gens qui se pensent bons et Ă chaque fois que tu scores dans le but de lâidiotie, je te trouve fin renard. Câest Machiavel qui doit te faire des petites minauderies de sa tombe. Toi et la virtĂč, mĂȘme combat.
Fais des associations libres, mais assure-toi que ça nâait vraiment pas de sens. Ăcris des mots sur des petits bouts de papier, mets-les dans un chapeau et tire sâen une dizaine. Et ne te dĂ©courage pas. MĂȘme si ce sont des mots comme : Ă©ducation, Hollywood, oppression, voile, Congo, accent circonflexe et fuck. Câest un petit dĂ©fi pour un si grand esprit. #Lesgens vont le chercher, tu sais, le sens. Ils vont se croire cons de ne pas en trouver et ils abdiqueront. Magie.
Tu es un crĂ©atif, câest pour ça que ton propos passe si bien. Ăa demande beaucoup dâimagination pour faire dire ce qui nâa pas Ă©tĂ© dit ou tronquer des citations. Ă rĂ©pĂ©tition. Et câest pour cela que tu es un incompris. Ăa prend un certain sens du mĂ©ta pour apprĂ©cier finement tout le arts and crafts que tu peux produire. Et ce nâest pas donnĂ© Ă tout le monde, on va se le dire. On devrait militer, voire mĂȘme manifester, pour que « troller » figure sur les demandes de subvention du Conseil des Arts. Je lĂšverais mon poing, pour ça.
Qui ne dit mot consent, dit-on. Pars ton truck Ă cĂŽtĂ© de ton ordinateur et engage une fanfare pour jouer juste Ă cĂŽtĂ© de tes oreilles. Comme ça, mĂȘme si quelquâun sâobjecte, tu pourras toujours dire que tu ne lâas pas entendu. En thĂ©orie, ton bruit ambiant, celui que tu fais Ă ĂȘtre, devrait suffire, mais ne prends pas de chances.
Clairement, le vent de la pensĂ©e a tout balayĂ© dans ta tĂȘte alors, ne parle plus, mais souffle. « PrĂ©venant toi » pensera tout de mĂȘme Ă se traĂźner un petit sac de papier brun, dans sa poche de jeans. Au cas oĂč il hyperventilerait.
Sois content de toi-mĂȘme, surtout si tu sĂ©vis dans un grand mĂ©dia et sur plusieurs tribunes et que tu trĂ©pignes fort Ă lâidĂ©e que tes « idĂ©es », Ă chaque fois quâelles heurtent le ventilateur, Ă©claboussent un bout de lâespace public. Tu sais, dans le zoo humain, tu es celui qui garroche les peanuts. Tu es le nanane que #lesgens attendent. Impatiemment. Tu les nourris. Tu es un peu comme JĂ©sus avec les pains et les poissons. Sauf que tu le fais avec tes solides et soutenues et justifiĂ©es et pertinentes et crĂ©dibles opinions. Ăa te prendrait un macaron. Que dis-je. Commande-toi une panoplie : t-shirt, tasse, tapis de souris, avec lâinscription en Comic Sans : « Je suis un troll et ceci sont mes idĂ©es livrĂ©es pour vous. ». Le sens du sacrifice, du don de soi, jâai du respect pour ça. Et alors que ça se perd depuis la nuit des temps et le dĂ©but de lâhumanitĂ© et depuis que lâhomme est homme, toi, tu as le souci dâincarner tout ça. On ne peut que sâincliner. Vraiment.
Exige des remerciements. Ă la fin de tes interventions. Tu meubles le vide avec plus de vide. FAUT LE FAIRE. Ăa demande beaucoup dâadresse. Tu devrais dĂ©jĂ songer au monument quâon va tâĂ©riger, nĂ©cessairement.
Et nâoublie pas, mĂȘme si Richard Martineau a dit « Il faut arrĂȘter de juger le monde » et que « câest un vieux rĂ©flexe [âŠ] que [âŠ] de [âŠ] dĂ©courager [âŠ] les cĂ©gĂ©piens [,âŠ] les profs [âŠ] et [âŠ] les pauvres » ou encore « Pensez [avant de] parle[r] », ne te laisse pas influencer. Ton mĂ©pris vaut plus que ça. Pense Ă tous ceux et celles qui nâattendent que ton cri du cĆur pour dĂ©verser tout le petit quâils ont en dedans sur autrui. Tu ne voudrais tout de mĂȘme pas ĂȘtre responsable du fait quâils se soient contenus. Je te dis « viarge » et « égoiste, sors de ce corps », le cas Ă©chĂ©ant. Et tu pourras toujours tâen sortir avec lâune des phrases suivantes : « Jâai Ă©tĂ© mal compris », « Jâai Ă©tĂ© mal cité », « Je tâai blessĂ©? Non, tu tâes blessĂ© toi-mĂȘme en Ă©tant ce que tu es. Sois responsable.», « Ăa devait ĂȘtre pris au deuxiĂšme degrĂ©. », « Câest de lâhumour », « Je suis pour les vraies affaires. Câest vraiment triste que toi, tu ne le sois pas. », « Je suis une victime. », « Câest un complot. ».
Voilà . Flotte au gré des flots du mépris. Sois un bon ambassadeur. Yolo.
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Pour lire un autre texte de VĂ©ronique Grenier : “PrĂ©caire”