Avec la saison des mariages qui tire à sa fin et le début de celle des partys de Noël, les DJs se préparent à faire face à un barrage de requêtes musicales de tout genre. « Peux-tu jouer quelque chose pour que le monde danse? » « As-tu ça, toi, du Joe Dassin? » «OMG joue Backstreet’s Back…MAINTENANT! » et autres demandes disgracieuses et exaspérantes fuseront de partout et sortiront de nulle part. Dans le but de préserver la santé mentale des DJs, d’assurer le bon déroulement des soirées et d’éduquer le public qui ignore peut-être les subtiles nuances des requests, nous avons compilé dix pistes de réflexion qui feront que le bon sens et l’harmonie pourront régner et que le dancefloor sera enjoué pour le temps des Fêtes.
Demande pas demand
Outre les évidences, telles que « un DJ n’est pas un jukebox » et « irais-tu en cuisine dire au chef quelles épices mettre sur son plat? », il faut comprendre que la demande spéciale est une interaction sociale et non une transaction. Un DJ n’est JAMAIS contraint de considérer les demandes spéciales et a droit de veto sur les suggestions du public. Proposer une chanson doit être fait dans le respect du travail et du talent du DJ, qui sera souvent plus qu’accommodant, mais il faut toutefois bien ouvrir le bal. « Tu n’es pas obligé mais ça serait le fun si…» ,« Prends-tu les demandes? Car j’aurais une toune à proposer », ou encore « J’adore ce que tu joues jusqu’à présent et je me demande si tu allais passer au hip-hop pendant la soirée »: toutes des formules utiles et convenables pour bien amorcer la conversation. Mais c’est pas tout; il y a encore beaucoup de facteurs à prendre en considération.
Flexibilité, précision et patience
Lorsqu’on obtient l’attention du DJ (n’oubliez pas que vous l’interrompez durant son travail), il faut faire preuve de flexibilité, de patience et de précision. Tout d’abord, dû au format (vinyl, USB, etc.), le DJ n’aura pas toujours accès à LA chanson que vous voulez. Gérer un système de son, c’est pas aussi simple que brancher son iPhone dans la van de sa mère. Le DJ peut jouer une autre œuvre du même artiste ou quelque chose dans la même veine et c’est déjà un bon compromis. Toutefois, il est important de savoir ce que l’on veut: le titre et l’artiste sont essentiels à une demande spéciale claire. Dans un environnement bruyant et mouvementé, les « tsé la toune du groupe là » et les marmonnements du refrain n’iront pas très loin. Aidez-nous à vous aider. Finalement, il faut s’armer de patience, une fois que votre requête est effectuée. Un DJ sera en mesure de prendre en considération votre chanson et essayer de la faire fitter avec le flow de la soirée, mais ne la jouera pas nécessairement à l’instant même; ce qui nous mène à la suite.
La suite logique
Avant de faire sa requête il faut comprendre le contexte musical, que ce soit le style de prédilection, le type de clientèle ou le déroulement de la soirée. Il y a quelques règles de base à suivre, dont prendre en compte que si la soirée est thématique, il ne faut pas trop s’éloigner du genre. Demander du techno à une soirée hip-hop ou de la bachata aux soirées 80s du Café Campus, ça ne marche tout simplement pas. Dépendamment du style d’établissement ou de clientèle (resto-bar, pub de quartier ou club), on ne peut pas toujours jouer au même niveau d’intensité. Effectivement, il faut aussi considérer comment la soirée avance. Jouer du Jack Johnson à 1h du matin risque de tuer le plancher de danse et inversement, 22h30 n’est pas le moment idéal pour le nouveau hit de l’heure. Si vous suivez le vibe de la soirée et le plan du DJ, votre requête risque d’avoir plus de succès. Ceci dit, il ne faut pas trop pousser sa luck.
Pas de Double dipping
Tout comme il est mal vu de retremper sa tortilla déjà croquée dans la guacamole au party de bureau, il faut faire attention de ne pas abuser avec les requests. Si vous réussissez à faire passer une demande, la dernière chose que le DJ veux voir c’est vous qui revenez le voir quatre minutes plus tard pour une autre suggestion. Tout comme l’alcool à un open bar, la modération a bien meilleur goût avec les requests. Le plus irritant pour un DJ, c’est de se faire demander une chanson qui a déjà été jouée au courant de la soirée. C’est une quasi impossibilité qu’un DJ rejoue une toune, et ce même si VOUS n’étiez pas là pour l’entendre. Finalement, non c’est non! Ce qui nous mène au prochain conseil.
Vous n’êtes pas spécial
«Mais c’est la fête de ma cousine », « Eille! J’ai acheté une bouteille moi! », « Je connais le proprio» et tout autre variation du genre ne fonctionneront tout simplement pas. Une personne insistante n’est qu’un client sur des dizaines, voire des centaines. Il y a plusieurs anniversaires tous les soirs dans plusieurs endroits différents en même temps; c’est rien d’exceptionnel. L’expérience musicale de la soirée ou de la boite de nuit entière n’est pas dictée par ce qui se passe dans la vie d’une seule personne. « Mais on s’en va dans 5 minutes »… bonne soirée à vous.
Réagissez, s’il-vous-plaît
Une fois la demande spéciale exécutée, il faut être à l’aguet et réagir à « sa toune ». C’est la moindre des choses que de faire un signe d’approbation au DJ en reconnaissance. Quand on demande une modification spécifique à un plat et que la cuisine accepte, on remercie. Souvent, si je me force à jouer une requête et que personne ne réagit, ça me fait regretter de m’être forcé à faire fitter la toune. Encore mieux, offrez une grosse réaction de groupe, allez danser en gang, laissez un pourboire au DJ, ou glissez un mot au patron qui dit à quel point le DJ est exceptionnel. Eh oui, car le patron de l’établissement est aussi très important.
Le client n’est pas toujours roi
Une compréhension fondamentale des dynamiques de pouvoir et du choix musical établi passe par comprendre que, avant tout, le DJ travaille pour le patron de l’établissement, l’organisateur de la soirée ou les mariés. Ces gens nous ont donné des indications sur quoi jouer et ne pas jouer et quand le faire. Ils nous ont engagé et nous font confiance, il faut respecter leur vision, car notre emploi est en jeu. Une fois, la mère d’une mariée m’a demandé une chanson sur leur liste « NE PAS JOUER ». Je m’en suis sorti après avoir vérifié avec le couple. Pour vous c’est un request, mais pour nous c’est un paycheck.
C’est un DJ qui dit non non, non non non non
Bon, je semble avoir été assez direct et cru envers le client à travers toute la chronique. Il va sans dire que certaines demandes sont excellentes, j’ai même déjà fait des découvertes et des rencontres par de très beaux échanges dans le DJ booth. Toutefois, il faut quand même considérer la part de responsabilité du DJ dans l’entente. Un DJ qui dit oui pour se débarrasser d’une requête mais ne la joue pas est fautif. Souvent, le staff m’a aidé en annonçant d’avance au client « tu peux lui parler, mais ne lui dit pas quoi jouer »; mais il ne faut jamais créer de faux espoirs et il faut respecter ses promesses dans l’industrie du service. Le dernier conseil s’adresse à une catégorie particulière d’individus sournois.
Pas ta propre musique, pour l’amour de Dieu
Un gars s’avance vers le booth en fin de soirée. Très courtois et insistant, il me convainc de jouer un artiste RnB obscur. La chanson est assez médiocre mais le tempo fit avec la fin de soirée et les couples qui discutent. Le mec retourne à la table de sa dulcinée très fier et accompagne même les paroles avec conviction. C’est là où je remarque que malgré ses lunettes de soleil, il a la même face que le chanteur sur Spotify. J’ai fait une brève prière pour son ego. Je comprends le sentiment de vouloir entendre sa musique sur des speakers ou en public, et j’ai joué des tracks de rap de la relève mais, jamais, JAMAIS la demande n’a-t-elle été faite par l’artiste lui-même. Un peu de décence.
Donc voilà, nos conseils à prendre en compte avant de faire un request. Afin de vous donner de quoi jaser durant vos partys de bureau, je pensais vous laisser avec mes tops 3 pires et meilleurs requests.
Top 3 cauchemars
- 1) Salsa Shady
Je spin à un festival de salsa, derrière un orchestre de salsa complet avec 13 musiciens. Pendant l’intermission, je joue des vinyles colombiens et portoricains pendant que des douzaines de couples dansent à un rythme effréné. Je vois un gars avec un hoodie de Limp Bizkit s’avancer à travers la foule. L’ayant spotté, il se met à grimper sur la scène et contourne les claviers et congas, pour finalement arriver à mon booth. « Eille, tsé ce qui ferait vraiment danser le monde-là? », dit-il.
Je réponds: « Tu veux dire les couples de danseurs professionnels? Tu sais, j’ai juste des vinyles de salsa avec moi»
Lui: « Eminem, Lose Yourself »
Je sais pas si j’étais plus crampé ou ébahi, mais j’ai lose mon shit et je l’ai renvoyé de la scène!
2) Justin Bieber
Une dame avec un taux d’alcool assez élevé (d’après la serveuse, c’était son 7e gin tonic, à 21h:30), me demande de jouer du Justin Bieber et essaye de danser en s’accrochant à une chaise pour reprendre son équilibre. Elle était assez polie quand je lui expliquais que je devais jouer de la musique franco pour les gens qui mangeait et que Justin détonnerais. Toutefois elle faisait des yeux de chiens battus et m’a fait la même demande plus de 23 fois! Elle passait du plancher de danse qu’elle avait imaginé au milieu des serveurs à la même requête, tel un disque qui skip dans la matrice. Mais au moins elle était drôle et pas dangereuse.
3) Devil Wears Prada
Tout allait bien, les gens me donnaient plein de commentaires positifs sur les choix musicaux pendant la soirée du mariage. Les discours étaient drôles, le gâteau était coupé et le dancefloor était rempli. Les hits de 90s R-n-B que m’avaient demandé le couple fonctionnaient à merveille quand j’ai vu s’insurger une béhémoth en petite robe noire. Traversant le plancher de danse tel un bulldozer, elle a failli ramasser le père de la mariée et une petite fille pour venir me crier au visage, avec la voix la plus irritante depuis Fran Drescher (anglais conservé pour transmettre le niveau de venin) : « Can you play something that I can dance to! Like, I am going to fucking kill myself! » Je lui explique poliment que le RnB m’a été demandé. « It’s so fucking old and boring! Like, all the same song… ». En gardant toute mon énergie pour abaisser mon rythme cardiaque et feindre un sourire, je lui demande si elle a une idée de ce qu’elle voudrait entendre. « I don’t know!, you’re the DJ! Figure it out! ». À chaque chanson elle roulait des yeux à côté de moi de façon si exagérée que ça faisait presque branler ma coupe de champagne (que je lui aurais gracieusement lancé au visage si j’avais failli à mon engagement professionnel). La définition de chiâlage inutile, insistant et toxique, mais l’histoire a une belle fin.
Top 3 hits
- 1) Justin Bieber, prise 2
La proprio du resto m’indique qu’une dame qui a apprécié la musique toute la nuit fête son anniversaire de 40 ans et n’ose pas me demander pour une ballade de Justin Bieber et Ed Sheeran car elle est trop gênée. Sans hésiter, j’ai joué la chanson et toute sa table a réagi en dansant et chantant. Pour toutes les requêtes horribles, j’ai plusieurs souvenir de belles et bonnes requêtes qui mènent à des moments magiques, où le DJ peut effectivement transformer la soirée spéciale de quelqu’un en un moment mémorable.
2) Bite à tibi
Un groupe enjoué qui avait bien consommé toute la soirée m’indique qu’ils viennent tous de l’Abitibi et qu’ils aimeraient vraiment entendre leur hymne officieux. Je remercie Dieu pour la version hip-hop de Anodajay qui a mis le bar en feu et poussé le monde à danser sur les tables. Les pourboires ont volé et le request fut un franc succès.
3) Wedding to da Club
Au moment où j’allais presque exploser contre cette dame qui me harcelait et que je regrettais profondément d’avoir accepté le gig de mariage, le marié est arrivé en renfort. Il dit à la dame en question de faire de l’air et me glisse un billet de 100$ bonus en disant qu’il allait recommander mes services à tous ses amis. Puis il me dit, « Okay, maintenant qu’il reste une heure, je veux que le hall de mariage se transforme en club de rap à Brooklyn en 2001 ». GDep, Dipset, 50, Obie Trice: tous les hits ont résonné jusqu’aux petites heures et j’ai retrouvé pourquoi j’aime tellement être DJ.