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« Le pays doit être tissé de plusieurs fibres »

Par
David Malo
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Lundi midi, Outremont. En plein coeur d’un quartier plus concerné que d’autres par le débat sur la Charte, je rencontre Jean-Marc Riverin, gestionnaire des activités alimentaires en milieu hospitalier, afin de recueillir son opinion sur la Charte des valeurs. Originaire du Saguenay, résident du Plateau Mont-Royal, indépendantiste et Québécois « pure laine », il se prononce d’entrée de jeu contre cette charte, et ce pour de multiples raisons.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je lui pose une question qui me brûle les lèvres depuis le début de ce débat.

Pourquoi la charte aujourd’hui, et non il y a 10 ans, ou dans 20 ans, qu’est-ce qui a changé dans la société pour justifier une telle démarche maintenant?

« Je ne vois pas l’urgence de la Charte, de son propos », affirme-t-il en espérant que tout ce débat ne soit pas qu’une stratégie électorale du Parti québécois visant à unifier le vote francophone, en exploitant encore une fois le clivage entre Montréal et les régions.

« Est-ce qu’on fait une Charte pour tout le Québec ou simplement pour Montréal? »

Il est légitime de se poser la question.

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Il explique ensuite que Montréal est une ville multiethnique, que le Québec n’est pas 100% « pure laine » et que, pour un parti souverainiste, rouler une campagne électorale en misant sur l’identité pourrait tuer à jamais le rêve d’indépendance. Surtout si le résultat repose entièrement sur un vote francophone qui plafonne.

« Le référendum ne peut pas se gagner exclusivement avec un vote francophone. »

Nous l’avons déjà constaté en 1995.

« S’il y a quelque part une stratégie électorale, je n’en comprends pas la nécessité ni la pertinence. »

Il avoue également ne pas se reconnaître dans une telle démarche du Parti Québécois, remettant même en doute son allégeance au parti si tel était le cas.

Pourquoi êtes-vous contre la Charte?

M. Riverin répond que la Charte ne fait que causer un inconfort en stigmatisant une strate très petite de la population et qu’elle est une initiative qui va même à l’encontre de l’intégration.

« Cela me cause un grand inconfort. »

Pourquoi inciter les gens à immigrer au Québec si nous adoptons des lois qui créent de la résistance à leur intégration? C’est, selon lui, un manque de cohérence flagrant.

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M.Riverin croit également que l’émancipation des individus et des peuples doit avant toute chose passer par l’émancipation économique. C’est seulement quand un individu ou un pays devient émancipé économiquement qu’il peut aspirer à l’indépendance.

« C’est lorsque nous sommes sous le joug de la pauvreté ou dépendant de gens pour qui on travaille que l’on est vraiment asservi. »

Sans dire que les femmes voilées sont nécessairement asservies, il croit que c’est en intégrant la société, en ayant un pouvoir économique, en gagnant un salaire et en pouvant progresser dans la société qu’elles trouveront la meilleure voie vers l’émancipation. Ce n’est pas en les stigmatisant ou en bouchant l’accès à un bassin d’emplois importants que l’on va atteindre l’objectif.

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Il fait également un parallèle avec l’émancipation des femmes québécoises dont les plus grands outils de libération ont été le droit de vote, l’accès au travail et à l’éducation.

Sur votre milieu de travail, quelles sont les interactions entre différentes cultures?

« Beaucoup de mes collègues portent le voile, ça ne pose pas d’inconfort. Je n’ai pas l’impression que de se faire soigner par quelqu’un qui a un voile va influencer en quoi que ce soit leur service. Et si le fait de leur interdire fait en sorte qu’on les perd, je ne vois pas l’avantage. »

M.Riverin enchaîne en mentionnant qu’il travaille de concert avec des gens de plusieurs origines et avoue n’avoir aucune idée de leur religion. Personne n’a jamais demandé d’accommodement de quelque façon que ce soit. Même quand vient le temps de travailler le porc, aucun musulman n’a demandé de traitement particulier. Il voit les gens avec qui il travaille comme une équipe composite et riche en couleur. Chaque personne de chaque culture apporte sa touche personnelle, ce qui leur permet de bâtir un menu commun en tenant compte de l’expertise et du savoir-faire particulier de toutes les cultures. Le menu se trouve ainsi bonifié.

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Pour lui, la différence culturelle et religieuse est beaucoup plus une richesse qu’une menace d’assimilation provoquée par une peur injustifiée des différences.

Advenant que la Charte déposée soit acceptée, est-ce que les gens concernés vont s’y conformer?

« On prend la gageure qu’il va y avoir une partie des gens qui vont se conformer, une partie. Est-ce que d’autres vont quitter? On verra bien! »

Admettant l’hypothèse que certaines personnes oeuvrant dans la fonction publique se conforment à la Charte en retirant le voile ou les symboles religieux ostentatoires, il y a fort à parier que ce soit beaucoup plus problématique dans d’autres secteurs où le besoin de main-d’œuvre est plus criant, notamment en garderie.

« Je côtoie des garderies, qui ont émergé dans mon quartier, où travaillent majoritairement des femmes voilées. Les garderies sont pleines, ça manque de place. Ces femmes-là, je n’ai pas l’impression qu’elles vont retirer leur voile et risquent de fermer leur garderie. Pour moi, le jeu n’en vaut pas la chandelle. »

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Et de l’autre côté de la médaille, est-ce que les employeurs vont exiger à leurs employés de se conformer à ce qui est mentionné dans la Charte?

« En tant qu’employeur, toutes les entreprises de l’État assujetties à la Charte n’auront pas le choix de se conformer; ils vont avoir l’obligation de se conformer. »

M.Riverin complète sa pensée en s’interrogeant s’il y aura une éventuelle phase deux à la Charte qui inclura par la suite les entreprises privées.

« C’est d’ailleurs une question que je me pose. Quand on impose des politiques contraignantes, on commence par le faire dans les entreprises et les organismes de l’État avant de les étendre au privé. »

M.Riverin croit également que la démarche du PQ avec la Charte ne se base pas sur une problématique fondée sur des faits et qu’elle ne répond pas à un besoin véritable exprimé par beaucoup d’entreprises :

« Il n’y a pas vraiment d’entreprise ou d’employeurs qui ont exigé au gouvernement de se doter d’une charte et il n’existe aucun rapport ni aucune donnée. Nous sommes maintenus dans une espèce de noirceur avec une menace qui semble planer et cela crée un climat menaçant, sans pour autant l’étayer avec des données probantes. Je trouve ça malsain. Tout ça à cause de quelques aménagements malheureux qui ont été montés en épingle et qui sont des cas isolés. La plupart des entreprises n’ont eu aucun aménagement à faire. »

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Pour terminer l’entrevue, j’ai demandé à monsieur Riverin de résumer sa pensée en une seule phrase. Cette dernière est devenue le titre de cet article. Elle résume bien la pensée humaniste de ce dernier et reflète son désir de bâtir un pays où toutes les cultures et différences s’unissent dans l’objectif commun d’avoir un avenir meilleur.

« Le pays doit être tissé de plusieurs fibres. »

« Que l’on vienne d’ici ou d’ailleurs, ce que nous avons tous en commun est de vouloir un avenir meilleur (…) Le destin des individus n’est pas si différent de celui des peuples, et quand je vois ça, je me dis : qu’est ce que je veux faire de mon pays finalement? Convaincre des gens d’adhérer à une cause est davantage une séduction plutôt que de les amener à nous craindre. »

Même s’il est pour la neutralité dans les rôles d’autorité et inflexible concernant l’égalité des hommes et des femmes, il ne croit pas que la Charte devrait aller plus loin. La meilleure façon de faire le pont avec nos différences, c’est de les utiliser de façon complémentaire afin de s’enrichir en tant que peuple et non de les réglementer en stigmatisant certaines strates individus.

« Visons un but commun. »

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