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En temps normal, le début des célébrations pré-carnavalesques se déroule les premières fins de semaine de janvier. Cette année, il a été reporté à la semaine prochaine par le gouvernement. Dimanche, Haïti sera en deuil. Il y a quatre ans, nos proches et nos amis sont disparus brutalement avec des dizaines de milliers d’autres. Port-au-Prince, sa célèbre banlieue de Pétion-Ville en particulier, se relève tranquillement. Ils étaient plus d’un million dans des camps de fortune suite au séisme en 2010. Ils sont 145 000 aujourd’hui. Est-ce qu’Haïti va mieux?
Ça ne peut certainement pas être pire, on a atteint le fond du baril.
C’est ce que je me disais toujours après chaque catastrophe en Haïti. Inondations, ouragans ou troubles politiques, chaque fois une occasion de réfuter cette croyance.
Dans un pays qui voyait pointer un certain optimisme à la fin de 2009, le séisme de janvier de l’année suivante a rabaissé tout le monde.
Le fond du baril a enfin été atteint il y a quatre ans. On l’espère en tout cas.
Il serait ainsi bien difficile de dire que les choses se sont aggravées. La reconstruction des bâtiments publics, tels les ministères, les écoles ou certaines routes, va bon train. Après avoir été habitées par des dizaines de milliers de personnes, les places publiques majeures ont toutes été rénovées. La dernière en date (et la plus grande), le Champs de mars, devrait être officiellement inaugurée dans les prochaines semaines.
Le gouvernement a aussi ressorti un vieux projet des tablettes poussiéreuses et vient d’entamer la construction de deux échangeurs aériens dans deux carrefours achalandés de la capitale. Le projet, qui demeure plutôt loufoque selon certains dans un contexte où des milliers de personnes sont encore dans la rue, vise à améliorer la circulation chaotique. Le trafic routier est plus problématique que jamais dans cette ville de plus de trois millions d’habitants prévue pour 250 000.
L’aéroport de la capitale aussi a été rénové. Des salles et tapis roulants flambants neufs accueillent désormais les voyageurs internationaux. Le bordel est toujours aussi gigantesque quand arrive le temps de chercher sa valise, mais le stress passe toujours mieux dans un environnement climatisé.
Quatre autres projets liés à la création ou la rénovation d’aéroports sont également sur la planche à dessin. L’Ile à vache, au sud du pays, aura un nouvel aéroport alors que celui des Cayes, 20 km plus loin, sera rénové. Celui du Cap-Haïtien au nord et de Jacmel, près de la capitale, recevront le même traitement.
Les habitations construites par l’État et offertes au public se font rares. Les travaux d’aqueduc aussi, alors que des quartiers entiers ne sont toujours pas desservis et que des dizaines de ravines à travers la capitale cumulent aussi la fonction de dépotoir public.
Les cordons de la bourse de l’État haïtien se délient plus facilement pour le tourisme et pour l’investissement privé étranger. L’État haïtien en a fait ses priorités à coups de centaines de millions de dollars. Il parie sur la relance économique pour refaire ses coffres et, on l’espère, investir de nouveau.
Les cibles du tourisme sont multiples. On vise le très haut de gamme à l’Ile à Vache qui, jusqu’à l’année dernière, ne possédait aucune route ni électricité. Le plan de développement y prévoit des hôtels de luxe.
Le tourisme de masse est aussi visé. À plus d’une heure à l’ouest de Jacmel, un petit bastion entouré de plages presque désertes devrait être transformé en « resort » grâce à l’appui d’investisseurs privés répondant aux appels d’offre du gouvernement. Le tourisme culturel aussi est mis de l’avant à Jacmel par exemple, où l’on a détruit le bâtiment historique des douanes portuaires pour en construire un neuf pouvant accueillir des foires potentielles. On y a aussi construit une jetée, à l’image des malecón, pour couvrir le sable fin de la plage jugée « trop sale ».
Des usines ont aussi vu le jour depuis le séisme, grâce entre autres à de nouvelles zones franches. Le pays assemble aussi maintenant une tablette Android pour les marchés émergents. L’augmentation de la production industrielle globale du pays est encore marginale, mais les espoirs sont rivés sur la proximité du marché nord-américain. On mise sur le salaire minimum faible (5 dollars par jour) et les quelques dizaines de kilomètres de mer qui séparent le pays de la Floride.
Le pari haïtien passe donc par l’étranger.
Si les infrastructures et le service à la clientèle ne sont pas à la hauteur des attentes des visiteurs en vacances, si les investisseurs qui se rebutent à la cacophonie propre à l’acquisition de terrains en Haïti se découragent, tout cet argent n’aura servi qu’aux entreprises de construction. Mais personne ne veut imaginer le pire.
Un investissement à risque. On retient son souffle, et on espère que cette fois-ci sera la bonne.
Twitter: etiennecp
* Photo principale: Visiteurs au mémorial du 12 janvier 2010 du magnifique Parc de Martissant. Crédit: Étienne Côté-Paluck