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Le Pape du Rap – État des lieux du rap queb’ ici, maintenant

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À l’heure où il débarque sur les grands plateaux de chez nous, rempli ses concerts comme peu de dites vedettes radio y parviennent et trône au sommet des palmarès de ventes locaux, notre cher rap queb’ connaît sans contredit un âge d’or dans le pays du fleurdelisé.

Et si le genre polarise certains esprits sur la place publique, il ne semble manifestement pas prêt de s’estomper pour autant. Tout juste à l’aube d’un grand concert d’ouverture dans le cadre des 28es Francofolies de Montréal qui lui est entièrement dédié, bonifié d’une flopée de concerts qui ponctuent la programmation tout au long des 10 jours de l’événement, le prétexte semble tout donner pour tracer le portrait global du phénomène, vu de l’intérieur.

Tableau général – en mode bête à sept têtes

L’ensemble des voix rencontrées pour la cause s’entend – à quelques nuances près – pour parler d’un second âge d’or du rap au Québec, et se rapporte au début des années 2000 alors que les formations Sans Pression, Muzion, L’Assemblée, LMDS et quelques autres marquent un premier grand coup sur la province. Les premiers balbutiements d’un rap, directement inspiré de son ancêtre afro-américain, mais au verbe brûlant et posté en plein cœur d’une culture québécoise métissée et qui regarde au loin le grand monde.

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À l’oeil d’Ogden Ridjanovic (Alaclair Ensemble, Rednext Level), “À ce jour, 514-50 dans mon réseau de Sans Pression demeure l’album le plus marquant et influent sur le rap au Québec. Personne, à l’époque, n’avait accoté Tupac ou Wu Tang Clan jusque là.” Koriass renchérit : “On écoutait Yvon Krevé, Muzion, Sans Pression et ç’a vraiment donné le ton […] C’est là que j’ai commencé à rapper en français.”

Steve Jolin, connu sous le pseudonyme d’Anodajay et le plus important producteur de rap au Québec en ce moment, à la tête des Disques 7e Ciel, nuance toutefois : “C’est indéniable qu’il y a eu la première grande phase identitaire du rap québécois au début des années 2000. Mais entre les deux il y a eu de l’activité. Je me souviens en 2007, les rassemblements HHD (où plusieurs artistes du mouvement se réunissaient le temps d’un concert aux quatre coins de la province), il y avait quelque chose qui se passait. Tu avais L’Assemblée, Koriass à ses tout débuts, 83, Taktika, et même Anodajay, on était dans une vague d’artistes qui fonctionnaient, qui vendaient des billets, des albums, dont les clips étaient en rotation forte sur Musique Plus, etc. Mais ça demeurait vraiment une industrie en marge des grands circuits.”

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Le rap au temps du numérique

Une décennie plus tard, à l’été 2010, un collectif de rappeurs à mi-chemin Québec-Montréal, Alaclair Ensemble, diffuse en ligne l’album 4,99$ en téléchargement gratuit et monte sur les planches du spectacle de la St-Jean-Baptiste à Québec, se revendiquant comme, non pas un groupe de rap, mais bien de post-rigodon bas-canadien, avec à sa tête, Robert Nelson (Ogden), président de la République du Bas-Canada. Le ton est complètement décalé, sinon carrément absurde, la production est en phase avec son époque, la communauté hip-hop connaît une onde de choc.

Yes Mccan des Dead Obies : “Le travail d’éclaireur qu’a fait Alaclair avec 4,99$ a créé une réaction et une demande assez forte pour générer un engouement généralisé, les médias ont sauté sur l’occasion! Nous, on a sorti un premier mixtape un peu tout croche et, dès le début, on a eu des critiques un peu partout, on a senti que les gens étaient contents qu’une vague de nouveaux rappeurs débarquent. Et c’est une nouvelle garde de journalistes aussi à qui on n’avait plus à justifier la validité du rap.”

Crédit photo : German Moreno
Crédit photo : German Moreno
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Loud de Loud Lary Ajust abonde dans le même sens : “Je pense qu’on est débarqué au bon moment. Il y a énormément de productions de grande qualité en ce moment. Est-ce que le public a vieilli? Est-ce que les gens sont plus ouverts à ça, les promoteurs? J’ai l’impression que oui, qu’il y avait pas mal moins d’options il y a quelques années.”

À la source du mouvement, Ogden précise : “Le genre s’est comme scindé en deux. D’un côté, tu as le rap queb plus ‘traditionnel’, c’est une musique, une culture et une scène qui est assez autosuffisante. Un gars comme Souldia vend plein d’albums, ses shows sont sold-out et son public le suit depuis longtemps, mais tout ça dans une certaine marge du grand public […] Mais depuis 2010 et 4,99$, il y a une nouvelle voie qui s’est ouverte [ledit rap-champ-gauche pour ne pas le nommer], et c’est comme si on était moins “inclus” dans la scène traditionnelle, mais qu’on s’est plus intégré dans les médias grands publics, les grands événements […] À ce stade-ci, on n’évolue pratiquement plus du tout dans l’univers du rap, et on voit beaucoup de gens dans le public de Alaclair qui ne sont pas des gens qui écoutent nécessairement du rap dans la vie. L’exemple le plus fort de tout ça, c’est le show des Francos qui s’en vient!”

Cela dit, certains noms issus d’un rap plus traditionnel semblent aussi sortir de la “famille” ces jours-ci.

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Rymz, dont le dernier opus Petit Prince a trôné au sommet des ventes québécoises à sa sortie, rencontre un écho favorable qui retentit bien au-delà de la poignée d’initiés : “Le rap est plus que jamais en santé”, nous dit le principal intéressé. “Mondialement, c’est la musique la plus écoutée, et au Québec, on sent vraiment que les médias se tournent vers nous et sont de plus en plus réceptifs. Mais ça fait longtemps qu’on roule sans les médias. C’est un peu comme le country, les communautés concernées les connaissent et achètent la musique depuis toujours et les shows sont remplis – avec ou sans le support des grands médias.”

Crédit photo : Marc Desrosiers
Crédit photo : Marc Desrosiers
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Et si les deux factions évoluent simultanément, qu’en est-il “à l’interne”? Si la vague engendrée par Alaclair semble verser dans un verbe qui pointe sa cible à plusieurs endroits, défiant les codes plus rigides de la première heure, les défenseurs d’un rap plus traditionnel, eux, poursuivent là où leurs prédécesseurs ont laissé : “C’est vraiment les thèmes qui diffèrent. Moi, je travaille avec des jeunes en difficulté, j’en étais un à l’époque, quand j’écris, c’est un exutoire et c’est mon grand thème. C’est très cathartique”, nous dit Rymz.

En plein centre, Koriass trône sur le fil.

L’un des rares, sinon le seul, à pouvoir compter sur un public issu des deux clans : “C’est quelque chose qui vient du fait que je suis très versatile. Je touche à tout, j’ai des moments où mes textes sont très premier degré tout comme d’autres où je tombe dans des délires de troisième et quatrième degré [..] Et j’ai des amis et des complices dans les deux camps donc le rap queb’ au sens global m’est très familier. Je me base quasi toujours sur ce qui est vrai, mais je l’exagère aussi pour les besoins de l’album.”

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“Franglais street slang”

Titre extrait du marquant 514-50 dans mon réseau de Sans Pression, paru en 1999 (!), la question qui fait couler tant d’encre depuis quelques années n’en est manifestement pas à ses premières armes.

Brown : “Je pense que la controverse a contribué au succès de plusieurs formations au final. Les premiers GROS débats : Dead Obies aux Francouvertes, LLA rejetés par l’ADISQ, etc. Ç’a piqué la curiosité de beaucoup de gens, à faire tourner des têtes vers nous. Pour le meilleur et pour le pire.”

Yes Mccan : “Le franglais, ç’a donné une histoire aux journalistes pour parler de nous. Et depuis, il y a un vrai débat social autour de la question, ce qui est plutôt sain. Et c’est une histoire à laquelle le public peut s’identifier.”

Ogden : “À mon point de vue, même à un niveau strictement linguistique, c’est souvent des journalistes qui ont un agenda idéologique et qui disent toute la marde possible sur le franglais. C’est dû au fait que le rap est issu à la base d’une culture anglophone, d’un terreau fertile afro-américain aux États-Unis.”

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Steve Jolin : “C’est un débat qui est là présentement parce que le rap prend de plus en plus d’espace, mais si on écoute le premier album de Muzion, de SP, même moi (Anodajay) sur mon premier, j’ai des bouts en anglais, pour les besoins de la rime. Ç’a toujours été présent… La seule différence c’est qu’on y porte maintenant attention parce qu’on ne peut plus faire abstraction du genre.”

Loud : “Le franglais, on ne veut pas l’instaurer comme langue officielle, c’est notre outil de création, c’est un style, c’est une valeur poétique!”

Koriass : “Au final, je trouve ça vraiment poche qu’on blâme les artistes pour ce genre de questions-là, c’est un enjeu tellement plus large que ça. Surtout que les gars de Dead Obies parlent probablement mieux le français que la majorité des journalistes du Journal de Montréal.”

Case closed.

Crédit photo : Drowster
Crédit photo : Drowster

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Pour lire un autre texte sur le rap : “Koriass”

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