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Le «Obama canadien» à l’assaut de Montréal
« C’est quoi la chose la plus consistante, mais végétarienne sur le menu s’il vous plaît? », demande Balarama Holness à la serveuse du café où il m’a donné rendez-vous près de chez lui, dans l’ouest de Montréal.
Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais son CV impressionne.
Ancien joueur professionnel de la ligue canadienne de football (il a joué avec les Alouettes et les Blue Bombers), ardent militant pour la lutte contre la discrimination et la reconnaissance du racisme systémique, Balarama Holness a fait récemment l’objet d’un long portrait publié dans The New York Times.
« The man striving to be the Canadian Obama », titrait le prestigieux quotidien. Rien de moins.
Nous l’avons à notre tour rencontré pour en savoir plus sur ce secret local bien gardé, détenteur de cinq diplômes dont une maîtrise en éducation, actuellement inscrit en droit à McGill, qui ne cache pas son ambition de devenir maire de Montréal aux élections municipales de 2021.
«Nos pères sont des intellos racisés, nos mères des esprits libres, on a étudié le droit et on a fait nos dents dans le communautaire. Par contre nos caractères sont différents.»
Né dans une famille modeste d’un père d’origine jamaïcaine (fun fact : son cousin est le premier ministre jamaïcain) et d’une mère d’origine québécoise (ses parents se sont rencontrés à un show de Bob Marley à Montréal quatre ans avant sa naissance ), Balarama Holness a un parcours atypique, qui peut effectivement rappeler celui d’Obama. « Nos pères sont des intellos racisés, nos mères des esprits libres, on a étudié le droit et on a fait nos dents dans le communautaire. Par contre nos caractères sont différents », analyse celui qui, en 2010, a remporté la coupe Grey, en mentionnant le ton nettement plus calme et posé de l’ancien président américain. « Au football, il ne serait pas l’entraîneur-chef, mais plutôt l’assistant coach stratégique », illustre-t-il en utilisant une analogie qu’il connait bien.
Ce qui ne veut pas dire que Balarama se voit lui-même comme un entraîneur-chef, lui qui se considère plutôt comme un joueur d’équipe, prêt à gravir les échelons pour faire sa place.
Après une première expérience politique en 2017 où il avait brigué la mairie de Montréal-Nord sous les couleurs de projet Montréal, le politicien de 36 ans se présentera cette fois avec un tout autre objectif en tête. « La première fois c’était pour faire avancer des enjeux, cette fois ce sera pour gagner! », lance Holness avec conviction, lui qui avait récolté le tiers des voix aux mains de l’actuelle mairesse Christine Black de l’ancienne Équipe Coderre.
Rien pour décourager Balarama, dont le prénom fait référence à un Dieu doté d’une grande puissance dans les pratiques hindouistes. Bref, pendant que les sondages alimentent déjà une rivalité Plante/Coderre, Balarama Holness fourbit les armes, dans l’ombre. « Je suis là pour les bonnes raisons et prêt à faire mes classes. Je suis ouvert à créer un parti, mais pour gagner, ça serait très difficile. Faire le saut au fédéral est toujours sur la table aussi. Ça semble peut-être éparpillé, mais j’explore toutes les options », souligne Balarama en éclatant d’un rire contagieux, assurant que la seule chose à retenir est sa volonté de s’investir.
«On avait de tout, même des jeunes qui vivaient du profilage dans des bibliothèques. La consultation a coûté à la Ville 600 000$, et 38 recommandations sont sorties de ça.»
Une mission qu’il embrasse déjà pleinement au sein du mouvement Montréal en action, un organisme qu’il a fondé en 2017 dans le but de lancer un vaste plan de consultation publique entourant la discrimination et le racisme systémique dans les compétences de la Ville de Montréal. L’opération s’est avérée un vif succès : d’abord une pétition regroupant 22 000 personnes réclamant la tenue d’une consultation, suivi de l’audience de quelque 7000 témoignages en virtuel et en présentiel. « On a ouvert une boîte de Pandore. On avait de tout, même des jeunes qui vivaient du profilage dans des bibliothèques. La consultation a coûté à la Ville 600 000$, et 38 recommandations sont sorties de ça », résume Balarama Holness, au sujet du volumineux rapport de 260 pages déposé en juin dernier, dans la foulée de l’assassinat de George Floyd et du mouvement Black Lives Matter. « La mairesse a aussitôt reconnu le racisme systémique, mais aucun journaliste ne lui a demandé si elle le reconnaissait déjà avant la sortie du rapport », note l’ex-footballeur, d’avis que les biais systémiques sont profondément ancrés dans nos sociétés et dans l’appareil politique.
Balarama Holness dégage deux grands axes pour expliquer ces rouages pernicieux. «Le système politique met d’abord un protocole en place, constitué de lois en apparence neutres, dont l’application entraîne un impact discriminatoire chez certaines personnes vulnérables et marginalisées. Ensuite, des centaines de comportements souvent inconscients ont pour effet de maintenir ces protocoles en place », explique-t-il, précisant que les minorités visibles, qui constituent pourtant une frange importante de la population montréalaise, deviennent dès lors sous-représentées à tous les niveaux.
On pourrait penser que le mouvement Black Lives Matter a mené à une prise de conscience sociale sur le problème de profilage et le racisme, mais Balarama Holness se montre cynique. « Le trend est déjà mort, le mouvement s’essouffle et rien n’a changé. Depuis trois mois la Ville n’a pas donné suite à nos recommandations et on attend aussi que le fédéral modifie concrètement ses lois pour épauler les minorités, notamment les Premières Nations », déplore-t-il.
Dès la publication du rapport, la mairesse a toutefois annoncé la création d’un poste de commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques.
«Le mouvement s’essouffle et rien n’a changé. Depuis trois mois la Ville n’a pas donné suite à nos recommandations et on attend aussi que le fédéral modifie concrètement ses lois pour épauler les minorités, notamment les Premières Nations.»
Parmi les 38 recommandations émises au terme des consultations publiques, on retrouve la proposition d’un plan d’action concret d’ici un an, la nomination d’un membre de l’exécutif responsable de ce dossier, des formations sur la lutte au racisme et à la discrimination aux employés de la fonction publique incluant les policiers, un programme de redressement et de promotion visant l’accès à des personnes racisées et autochtones à des postes de cadre et une meilleure représentativité de ces minorités sur les conseils d’administration et organismes.
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Le téléphone sonne. L’appel semble important. Notre invité prend quelques bouchées de sa salade consistante en écoutant son interlocuteur et raccroche au bout de quelques minutes, satisfait. « La maison d’édition HarperCollins m’offre un book deal, c’est un prolongement de l’article du New York Times », s’enorgueillit-il.
Le vent semble tourner en sa faveur, les portes s’ouvrent, l’ascension de Baralama Holness ne fait sans doute que commencer.
«Après l’article (du NYT), RDI m’a appelé pour savoir si je parlais français, alors que je leur avais déjà accordé plusieurs entrevues en marge des consultations.»
Et puis, The New York Times, URBANIA : difficile de faire mieux. « Après l’article (du NYT), RDI m’a appelé pour savoir si je parlais français, alors que je leur avais déjà accordé plusieurs entrevues en marge des consultations », raconte-t-il en riant dans un français impeccable.
Se proclamant « fier Québécois», la protection de la langue française est cruciale à ses yeux, dans le respect des minorités anglophones évidemment.
C’est justement pour honorer ses racines francophones et racisées qu’il a affublé sa fille Bella du deuxième prénom « Angélique », à la mémoire de Marie Joseph Angélique, une esclave accusée à tort d’avoir provoqué l’incendie de Montréal et pendue au 18e siècle.
Un nom lourd de sens pour la fillette d’un an, qu’il considère présentement comme sa « véritable passion ». « Parfois je me dis que je pourrais juste finir mon barreau, travailler pour moi-même et prendre soin de ma fille », confie le jeune homme, dont l’ambition semble toutefois aller bien au-delà du métro/boulot/dodo.
S’il souhaite se lancer en politique, c’est pour combattre l’injustice sous toutes ses formes. D’ailleurs, par deux fois lors de notre conversation, il fera référence aux commerces de Sainte-Catherine qui sont mal adaptés pour accueillir les personnes à mobilité réduite. « Je sais qu’on ne peut entrer nulle part, je me promène souvent en poussette », souligne-t-il sourire en coin.
Il sait aussi que le racisme existera encore dans le monde dans lequel sa fille grandira. Il en a lui-même souffert dans un passé pas si lointain, surtout lorsque sa famille a déménagé à Boisbriand. « Ça a été un choc, c’est là que je me suis fait appeler le «n» word. J’étais un outsider et c’était très difficile », admet Balarama.
Après Boisbriand, il a trimballé ses valises un peu partout au pays, s’installant là où les équipes sportives dans lesquelles il évoluait avaient pignon sur rue.
Puis, en 2013, ébranlé par le décès de sa mère, il part deux ans à l’étranger avec son sac à dos. Costa Rica, Chine. Dubaï, Cambodge, Malaisie, Laos, Turquie: ce pas de recul constitue une sorte d’épiphanie. « Je regardais Montréal de loin – cette ville que je considère ma maison et qui a moyennement accepté ma diversité – en me demandant comment améliorer les choses », raconte Balarama, qui a alors décidé d’aller étudier en droit, afin de devenir « un architecte de l’architecture sociale ». « Si je veux ajouter un accès pour les handicapés ici, ça passe par la législation et c’est ce que je veux apprendre », explique-t-il, en pointant du menton la porte d’entrée.
«J’ai utilisé au départ l’éducation comme un bouclier, mais là je veux m’en servir davantage comme une épée, une façon de donner une voix à ceux qui n’en ont pas.»
C’est d’ailleurs pourquoi l’éducation prend autant de place dans sa vie (il calcule avoir investi 200 000$ dans ses études), lui qui est convaincu que la solution au racisme et à la discrimination passe par l’école. « J’ai utilisé au départ l’éducation comme un bouclier, mais là je veux m’en servir davantage comme une épée, une façon de donner une voix à ceux qui n’en ont pas », illustre Balarama, qui rêve d’une économie en santé et d’une meilleure redistribution des richesses pour réduire les inégalités sociales. « Il faut investir dans des infrastructures sportives, mieux encadrer les jeunes pour qu’ils ne trainent pas dans les parcs et dans la rue », résume le politicien en herbe, visiblement déjà en campagne.
Mais difficile de reprocher à Balarama Holness ne pas avoir d’idées de grandeur, surtout lorsque ces inspirations s’appellent Gretzky, Jordan, Kaepernick ou Obama. « Tous ces gens étaient obsédés par leur sport et leur mission. Ça c’est exactement moi présentement », résume-t-il, avec aplomb.
Ce nom ne vous disait peut-être rien ou presque il y a quelques minutes, mais retenez-le bien. Quelque chose nous dit que vous n’avez sans doute pas fini de l’entendre.