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Le nouvel album de Louis-Jean Cormier en direct de son studio

Après cinq ans d'absence sur disque, le gars de Karkwa lancera « Quand la nuit tombe » vendredi

Par
Estelle Grignon
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C’était un mardi gris et pluvieux. On était convié dans un bâtiment qui ne ressemble à rien de l’extérieur, entre un viaduc et une voie ferrée. Une fois la bonne porte trouvée, on pénètre dans une petite cuisine. Une grande fenêtre donne sur un magnifique studio d’enregistrement. Louis-Jean Cormier et ses relationnistes attendent une poignée de journalistes avec un peu de mousseux et un plateau rempli de fromages. Dans quelques instants, nous allons écouter, en primeur, dans un rassemblement préquarantaine, son tout dernier album.

Le tout est un peu irréel pour moi, je dois l’avouer. Avant sa carrière solo, Louis-Jean Cormier faisait partie de Karkwa, un groupe phare de mon ADN musical. Si vous aimez un tant soit peu la musique alternative d’ici, c’est probablement votre cas à vous aussi. L’album Les chemins de verres est arrivé pile au moment où ma phase punk commençait à s’effriter : les douze magnifiques chansons du disque y sont certainement pour quelque chose.

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Dix ans après avoir choké Rammstein sur les Plaines pour voir Karkwa au Festival d’été de Québec, me voilà assise sur le divan du studio de Louis-Jean Cormier, verre à la main. Devant moi, un plateau de fromages que mon train de vie de pigiste ne me permet pas de rassembler.

À côté de moi, il y a Marc Cassivi. J’ai pas d’anecdotes sur Marc Cassivi, mais ça me rappelle que c’est quand même un gros deal ce que je vis.

Les bricos en macaronis

Vous souvenez-vous de la fébrilité que vous aviez lorsque vous donniez votre projet d’art plastique boboche, mais plein d’amour à votre maman pour la fête des Mères ? Louis-Jean Cormier n’a pas fait paraître d’album depuis cinq ans. C’est certain qu’il ressent au moins un peu la pression de prouver que l’attente en a valu la peine. Il est fébrile comme un enfant lorsqu’il nous présente son travail. Sauf que lui, il n’a pas collé des macaronis sur une tasse entre deux récréations. Il a mis du temps dans son projet. De l’énergie, de la vulnérabilité, de l’expérimentation.

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Il y a des erreurs aussi. Les prises parfaites n’offrent pas les mêmes émotions qu’un premier essai ressenti et spontané. C’est quelque chose que Louis-Jean a appris en travaillant avec le monument qu’est Serge Fiori, lorsqu’ils ont retravaillé ses chansons-phares pour le spectacle Serge Fiori — Seul ensemble du Cirque Éloize.

Cachez cette guitare que je ne saurais entendre

S’il y a une chose qu’il n’a pas mise dans son album, ce sont des guitares. Une exception est faite pour la guitare basse, mais c’est tout. C’est la première consigne que Louis-Jean se donne sur Quand la nuit tombe. Le changement est apparent dès 100 mètres haies, extrait qui ouvre le disque. Pendant l’écoute, Louis-Jean a hâte de nous parler des échantillons sur la pièce. Otis Redding et Claude Debussy s’y mélangent pendant que la livraison vocale se rapproche d’un phrasé hip-hop vers la fin. C’est un élément qui reviendra souvent sur l’album.

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La seconde pièce, Tout tombe à sa place, enchaîne. La chanson s’amuse avec une structure peu orthodoxe, où des passages instrumentaux très bruyants et chargés se mêlent à des fragments plus doux. Puis, à la toute fin, la voix douce du refrain s’emboîte parfaitement par-dessus le bruit instrumental. Comme si les deux étaient faits pour aller ensemble tout ce temps. Les troisième et quatrième chansons passent et continuent de rouler à plein régime et à plein volume. La batterie brille, et les moments tendres laissent souvent présager une avalanche de sons.

C’est suite à un voyage en Éthiopie, d’où est originaire sa muse Rebecca Makonnen, que Louis-Jean a été influencé à mettre les rythmes à l’avant-scène. Certaines chansons font même appel à deux batteurs. Il explique même avoir composé beaucoup de beats avant de travailler sur l’album. Il reconnaît également, candidement, le cliché du chanteur blanc qui se met à faire un album un peu world en milieu de carrière.

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Mais voilà où il en est

Mais en même temps, c’était évident que le Louis-Jean Cormier de 2020 allait être bien différent de celui de Les grandes artères, paru en 2015. Sa vie au complet a été transformée durant ces cinq années. « C’est un disque de deuils, admet-il au milieu de l’écoute. Amoureux, de perte, mais aussi d’un pays qui n’aura jamais existé. » Au milieu du disque, Croire en rien se veut un pied de nez à plusieurs de ses vieilles convictions. La chanson est une sorte de lettre à son père, aux croyances religieuses fortes, décédé alors que l’album était à l’étape de la mastérisation. La pièce est épurée, enregistrée avec un piano et une batterie.

Le sujet délicat se prêtait moins à la direction des premières pièces du disque et c’est bien correct. La pièce fait office de répit, une respiration au milieu du disque. Ça, c’est avant qu’un échantillon pimpant de La Manikouté de Gilles Vigneault fasse shaker les haut-parleurs bien comme il faut. Face au vent ouvre la face B de l’album. Elle évoque les incendies successifs du Théâtre de la Vieille Forge et de la Maison Lebreux à Petite-Vallée. Si la guitare est proscrite sur le disque, un solo de synthétiseur hyper saturé rappelle les solos de guitares électriques les plus psychédéliques qui soient. Le genre de solo qui fait faire la même face que Taylor Swift quand Kanye West avait apporté plein de rappeurs et des lance-flammes sur scène aux Brit Awards.

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Arrive ensuite Je me moi. Trop occupée à écouter les radios étudiantes, j’avais manqué la sortie de l’extrait. Il s’agissait du premier simple de l’album, paru à l’automne. C’est peut-être une bonne chose. Si vous faites partie de ceux et celles qui étaient sceptiques après l’écoute de la pièce, rassurez-vous. Il s’agit, de loin, de la seule chanson peu convaincante de l’album. N’ayez donc pas peur de donner une deuxième chance au Louis-Jean 2.0 à la sortie du disque vendredi.

Donc, c’est bon ?

J’ai vécu Quand la nuit tombe dans le meilleur des contextes : assise bien confortablement en studio devant des haut-parleurs de qualité plutôt que sur des speakers cheapettes de cellulaire. On comprend d’ailleurs Louis-Jean d’avoir voulu s’assurer que les journalistes expérimentent son travail dans les meilleures conditions possible, surtout qu’il a mixé l’album lui-même. Après avoir travaillé si fort, après avoir mis autant d’énergie et, surtout, après avoir attendu si longtemps avant de le dévoiler, Louis-Jean Cormier est fier de son album.

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À la première écoute, on peut comprendre pourquoi. Et ce n’est pas le mousseux qui parle, promis.