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Le nouveau Far West des pistes cyclables montréalaises

Cohabitation difficile avec l’explosion des véhicules à assistance électrique.

Par
Jean Bourbeau
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TW : montréalocentrisme avoué.

Le vélo se porte bien dans la métropole. Très bien même. Les compteurs du réseau affichent sans cesse des statistiques à la hausse et les infrastructures s’enracinent davantage à chaque saison. Peu à peu, Montréal revêt les habits d’une réelle culture à deux roues.

En tant que fervent apôtre de la bécane au quotidien, je suis optimiste de voir ma ville ainsi évoluer. Car, avouons-le, les infrastructures routières de Montréal font d’elle une ville charcutée et brouillonne. Rien d’étonnant que le cône orange soit devenu une figure caricaturale près de la fétichisation par sa population. Juste à appréhender l’apocalypse automobile des prochaines années, je me dis que monter la côte de l’avenue du Parc, même en janvier, n’est pas si pire que ça.

Le déplacement en bicyclette est un grand bal, une danse à plusieurs avec ses codes et ses angles morts. Une chorégraphie efficace même si parfois maladroite et risquée. Mais suis-je le seul à ne pas être imperméable à la nouvelle dynamique qui s’est immiscée avec le boom des véhicules à assistance électrique? Parce que je dois l’admettre, je serre les dents de plus en plus souvent face à ce nouvel écosystème roulant.

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Comment écrire sur le sujet avec nuance à une époque où il faut toujours choisir son camp?

D’emblée, je ne suis pas contre les véhicules à assistance électrique, l’expérience qu’ils offrent est agréable et permet une mobilité facilitée à ceux et celles qui ne sont pas confortables d’utiliser le vélo d’antan. Sans omettre que nous avons, en toile de fond, une planète qui se meurt. Mieux vaut un Segway laite qu’un F-350.

Mais il y a un petit quelque chose qui n’arrive pas à me quitter chaque fois que je me fais frôler le toupet par un scooter électrique alors que je pompe de l’huile, les cuisses gorgées d’acide lactique.

Quelque chose comme un agacement.

Loin de moi l’idée de faire leur procès et de signer une chronique pamphlétaire de vieux réac outré, mais suis-je le seul à ressentir non pas une frustration, mais un semblant d’irritant face à cette nouvelle mode avec laquelle je dois quotidiennement partager les mêmes couloirs? J’ai bien peur que non.

Je me surprends à presque y voir une condescendance technologique alors que nous, pauvres gueux, sommes encore prisonniers de la vieille énergie musculaire et vulnérables aux forces topographiques. En plus de me battre contre les automobilistes, je dois désormais être vigilant aux hordes de motards silencieux sur pogo ball roulants, skateboards solaires et trottinettes de course. J’ai parfois l’impression que tout Montréal a abandonné l’idée de se déplacer avec la résilience de ses jambes. Qui aurait cru que la révolution passerait par le BIXI bleu?

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Trêve de délicatesse, les pistes cyclables bondées sont devenues les gouttières avantageuses de tout transport sans plaque d’immatriculation. L’harmonie est fragilisée. L’unité d’autrefois s’est fragmentée en un chacun pour soi périlleux. Une chance qu’il reste encore les saltimbanques en monocycle. Même mon empathie pour les pelotons de lycra-double espresso est à la hausse.

Je marche sur des œufs, je le sais. Il faut choisir ses combats. Je ne suis ni aigri ni jaloux. Je suis, disons, dubitatif. Le chaos et le vivre-ensemble sont des variables propres à la réalité d’une grande ville qu’il faut embrasser, mais tabarnak, Pierre-Luc, quand tu clenches sur la ligne jaune coiffé d’un casque de motocross sur la track Rachel, est-ce que tu réalises que tout le monde, secrètement, te méprise?

«Devant l’ampleur de la situation, il est parfois légitime de se demander si l’on peut encore appeler ça des voies cyclables.»

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Le seul hic, c’est que je n’ai pas de solution à proposer. Un bon coup d’épée dans l’eau. La cohabitation est sommes toutes, tolérable pour l’instant. Surtout que dans mon entourage, les nids-de-poule sont bien plus souvent la cause de malheur que les mopettes turquoises de Fantuan. Soyons fair play.

Pour éclairer ma lanterne, j’ai donc contacté Magali Bebronne de l’organisme Vélo Québec.

Mme Bebronne révèle qu’en effet, les enjeux de cohabitation se sont récemment multipliés : « Chaque semaine, nous sommes interpellés par des cyclistes préoccupés. Des gens nous demandent ce qui se passe. C’est un sujet chaud qui fait énormément grincer les dents. Devant l’ampleur de la situation, il est parfois légitime de se demander si l’on peut encore appeler ça des voies cyclables. »

La directrice des programmes chez Vélo Québec m’explique qu’il existe un flou juridique en ce moment dans la province autour de la définition des véhicules à assistance électrique.

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L’absence de précision législative pose donc problème. La voie cyclable est réservée aux véhicules qui doivent, par définition, être mus principalement par la force humaine ou assistés au pédalage. « Mais ce qu’on voit, c’est que la porte est grande ouverte aux engins munis d’accélérateur à la poignée qui peuvent aller à des pointes dépassant les 30 km/h », mentionne-t-elle.

Mme Bebronne admet qu’il n’est pas facile d’émettre une position. Elle déplore toutefois un sentiment d’insécurité croissant, même sur le Réseau express vélo (REV), qui ne s’estompera pas si les véhicules à assistance électrique continuent à gagner en popularité et à zigzaguer en toute impunité.

L’experte signale que Montréal a connu une amélioration du bilan des accidents malgré l’augmentation de son trafic cycliste, et ce, année après année. Mais depuis deux ans, l’organisme constate une hausse marquée des blessures. Est-ce la période pandémique qui a poussé un plus grand nombre de non-initié.e.s à emprunter le réseau ou faut-il plutôt regarder du côté des nouveaux venus électriques? Nul ne le sait en raison du manque d’études. Sans définition précise, point de statistiques.

«Nous désirons que les voies cyclables demeurent hospitalières pour les familles. Tout est une question d’équilibre.»

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Mme Bebronne émet plusieurs doutes, mais estime que la mobilité durable offre toutefois une excellente avancée au déplacement, en particulier chez les aîné.e.s. « Il n’est, bien sûr, pas envisageable de bannir les véhicules à assistance électrique, mais nous sommes devant une belle opportunité pour mieux définir leurs catégories et faire la part des choses entre irritant et danger. Ce n’est pas notre volonté de couper les roues à quiconque! Mais nous désirons que les voies cyclables demeurent hospitalières pour les familles. Tout est une question d’équilibre », conclut-elle habilement.

Visiblement, la rivalité silencieuse qui se joue sur les pistes cyclables montréalaises, comme le débat qui en découle, n’est pas prête de s’arrêter au prochain feu rouge.

Nota bene : Ce brûlot ne s’adresse pas au Batman qui arpente les rues du Plateau en trottinette électrique. La ville a besoin, plus que jamais, de ses héros.