« J’avais 6 ans quand les Expos ont fait leurs débuts en 1969. Mon père ne m’achetait jamais rien, ok? Jamais rien. Mais c’tannée-là, je sais pas ce qui lui a pris, il m’a offert un kit blanc avec l’écusson des Expos. Ça a commencé comme ça. »
Pendant leurs années glorieuses, les Expos de Montréal ont été bien plus qu’une équipe de baseball. Ils étaient le moteur d’une fierté collective, symbolisant l’unité d’une ville derrière son équipe. Des légendes du sport ont marqué son histoire et sont devenues des héros pour toute une génération de fans.
Les Expos étaient également des ambassadeurs de Montréal, incarnant à travers le continent le triomphe d’une petite métropole du nord, dans la victoire comme dans la défaite.
Malgré leur départ tragique en 2004, une fraction de cette tradition perdure encore, du moins par son essence, grâce à Marc Ranger, un père à la retraite de Longueuil. Où qu’il aille dans le monde, Marc porte fièrement les couleurs de Nos Amours, perpétuant ce fleuron intemporel qui lui a permis de vivre de belles histoires impromptues.
« Malgré que le chandail des Expos ne soit plus officiellement porté depuis 20 ans, on va venir te parler même au fin fond du Wyoming. Le gilet est devenu un moyen d’engager des conversations avec plein de monde différents. »
Portrait d’un vrai partisan.
.jpg)
Marc se souvient du temps où il revêtait son précieux uniforme, que ce soit en jouant dans les ruelles de Ville-Émard ou en visitant le berceau de l’équipe au stade Jarry : « J’économisais mon allocation et quand j’en avais assez, j’partais en métro tout seul. 10 cennes l’aller, 10 cennes le retour. Avec le 50 cennes qu’il me restait en poche, j’avais une place dans les estrades populaires du champ droit, les fameux “bleachers” ».
Au cours de leurs 35 ans d’existence, les Expos ont laissé une empreinte indélébile dans l’imaginaire québécois. Leur départ a été un coup dur pour la communauté sportive. Un vide s’est installé, mais pour ce Montréalais, la passion n’a jamais déménagé.
« Ça a fait mal et ça le fait encore, souligne-t-il. On est allé à la game d’adieu avec mon gars et on a pleuré tous les deux. »
Depuis le départ des Expos, Marc a donc choisi de porter l’uniforme bleu-blanc-rouge partout où il voyagerait. S’il ne peut plus assister à des matchs dans sa ville natale, il irait voir du baseball ailleurs. Le sport est ainsi devenu son carburant pour explorer le monde.
.jpg)
À l’exception de l’Alaska et d’Hawaï, Marc a bourlingué tous les États de notre voisin du sud et a coché presque tous les stades de la MLB, à l’exception de Seattle et de Washington. Même avec trois passages dans la capitale américaine, il a toujours boudé cette dernière : « J’suis pas capable. Ça ferait trop mal, c’est pour me protéger », confie-t-il le plus sérieusement du monde. Rappelons que les Expos sont devenus les Nationals de Washington au début de la saison 2005.
De ses périples américains, il retient la qualité des amphithéâtres de Pittsburgh, Cleveland et Baltimore, sans oublier la gentillesse rencontrée au Fenway Park à Boston, tout l’opposé des partisans des Yankees.
Est-il fier de venir de Montréal? « J’aime plus les Montréalais que Montréal. J’ai travaillé pour la ville pendant 32 ans et chaque jour, j’ai donné le meilleur de moi-même, mon 110 %. J’ai affronté mon lot de refoulements d’égouts, tu peux pas aller plus au batte pour une ville que ça. Mais il y a cet aspect tout croche qui m’agace et qu’on ne retrouve pas ailleurs en Amérique du Nord. »

Marc et son fils à Cooperstown en 2017, ville célèbre pour abriter le Temple de la renommée du baseball
Père de trois enfants, cet ancien dépisteur de fuite d’eau dans l’arrondissement Ville-Marie est surtout fier d’avoir transmis son amour pour le sport à son garçon.
Il assure également avoir toujours eu le soutien inconditionnel de sa femme. « Non seulement elle a enduré, mais elle a participé! Elle a même son chandail », explique-t-il, assurant n’avoir que 6-7 maillots différents – « rien de trop excessif ».
.jpg)
Lorsque Marc a commencé à traverser les océans, il n’a pas abandonné son attirail de baseball pour autant. Que ce soit au Royaume-Uni, en France ou ailleurs, les gens reconnaissent le logo et viennent le voir. Des fjords norvégiens à la place Tian’anmen, en passant par le bunker du Führer ou les cafés turcs, ce passionné d’histoire arbore fièrement le symbole des Expos.
La ferveur partisane élevée à un art de vivre.
À Saint-Pétersbourg, tandis qu’il magasine une poupée russe représentant des dirigeants politiques, l’employé remarque son manteau et demande : « Montreal Expos? ». Pour Marc, c’est la consécration. Un Russe qui connaît Gary Carter et Vladimir Guerrero.
.jpg)
À Cuba, Marc a saisi l’occasion d’aider le peuple sous embargo en donnant des balles et des casquettes de baseball.
Alors qu’il se trouvait sur la plage de Varadero, vêtu de son maillot des Expos, un marchand de cornets de crème glacée a soudainement crié « Montreal Expos! ». Cette simple exclamation a déclenché une rencontre fortuite entre eux et a donné lieu à des discussions passionnantes tout au long de la semaine sur des sujets de vie quotidienne comme de politique.
Une anecdote illustrant parfaitement comment le sport peut transcender les frontières, créant ainsi des moments de connexion sincère entre des individus venant d’horizons différents.

Marc à Shanghai en 2019
Lorsqu’il émet ne pas croire au retour des Expos dans la métropole – « Pas de mon vivant, en tout cas » – cette formulation prend un sens bien différent.
En juillet 2022, alors qu’il préparait un voyage au Japon, une autre grande nation de la planète baseball, Marc reçoit un diagnostic de la myélome multiple, une forme de cancer incurable s’attaquant au sang et aux os. « Comme Michel Côté, j’ai eu une greffe de la moelle osseuse, mais heureusement, mon corps l’a mieux reçu », explique celui qui a toujours fait beaucoup de sport, jamais fumé ni pris un verre.
Le destin choisit rarement bien.
« Du jour au lendemain, tout a changé. Les médecins m’ont donné 5 à 10 ans, j’ai choisi 10, raconte-t-il avec aplomb. Les voyages ont arrêtés, mais j’ai plus de temps pour lire. »
En marchant vers sa bibliothèque remplie de livres de baseball, il agrippe la rampe avec sa main. « Je dois prendre mon temps. Je fais encore de la chimio tous les jours, ça magane, mais si je continue à prendre du mieux, l’année prochaine, le Japon est dans les plans. »
.jpg)
Malgré l’adversité, la flamme brûle toujours aussi fort pour les Expos.
« En repoussant l’inévitable, je veux savourer chaque instant, ajoute-t-il. J’ai suivi l’équipe de la première à la dernière saison et je vais continuer à voyager avec le logo et regarder des matchs de baseball. C’est ma passion. »
Chaque match, mais surtout chaque manche de la vie, est maintenant célébré différemment.
En espérant que les scalpers japonais reconnaissent son maillot des Expos et lui offrent une place de choix derrière le marbre.
Ce serait une juste récompense.