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Le mythe de la mixité sociale: cas du Downtown Eastside

Par
Aurélie Lanctôt
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Le 11 juillet dernier, un regroupement d’entrepreneurs et d’organismes communautaires du Downtown Eastside, à Vancouver, dénonçaient publiquement « l’intimidation » qu’ils subissent de la part des militants antigentrification.

C’est que les commerçants éplorés n’en peuvent plus des lignes de piquetage devant leurs établissements!

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Bref, au coeur du Downtown Eastside (DTES) évoluent junkies et yuppies; soupes populaires et restos branchés de manière complètement scindée.
À vrai dire, il y a quelque chose de schizophrénique dans la configuration de ce quartier. On y retrouve comme des « circuits d’existence » parallèles et mutuellement exclusifs, mais si proches à la fois. Les gens partagent les mêmes rues, mais semblent appartenir à des dimensions spatiotemporelles différentes. Il s’en dégage quelque chose de foncièrement indécent.
En réaction à cela, donc, sont nés des groupes s’opposant farouchement à cette gentrification qui jugule sans cesse des populations déjà ultra-précaires.
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Rappelons que la gentrification, c’est précisément ce phénomène par lequel des quartiers modestes se transforment selon un modèle de développement bourgeois et commercial, plus que communautaire ou social.
Non sans un brin de mauvaise foi, on dira donc qu’un quartier qui se gentfrifie tend à déposséder les « locaux » de leurs institutions et repères, pour les substituer par des commerces et des unités d’habitation à la mode, susceptibles d’attirer une clientèle bien nantie.
En gros, c’est s’en remettre à la conviction qu’un rythme commercial dynamique sera forcément profitable à l’ensemble de la communauté. C’est bien connu: une ribambelle de condos et un bistrot de cuisine fusion, c’est tout à fait viable comme politique sociale.
La richesse engendre la richesse, se plait-on à répéter. Le problème, c’est qu’on omet généralement de parler de la répartition de cette dernière…
Pour se faire entendre, les militants antigentrication n’hésitent pas à s’en prendre directement aux commerces branchés qui ouvrent leurs portes dans des emplacements où les voisins n’ont pas le quart des moyens de s’offrir le style de vie qu’on y met de l’avant, de manière plutôt ostentatoire.
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« Upstairs, people are struggling with food security issues, affordability, nutritional deficiencies, and health challenges. They have no kitchens, no bathrooms. But downstairs, they put in more than a million [dollars] in a brand new spanking kitchen to provide dining for the wealthy. »
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Alors la stratégie de contestation est simple: former des lignes de piquetages à l’entrée du resto, pour huer les clients qui y entrent, histoire de bien rappeler l’imposture qu’on préfère ignorer.
Personnellement, je trouve ça plutôt drôle. Et je ne vois aucun problème moral à ces actions, puisque les solutions politiques insuffisent, et que l’apathie populaire laisse libre cours aux schèmes pourris qui permettent de perpétuer la gentrification. En revanche, ces groupes antigentrification sont fortement impopulaires. On s’indigne de leur arrogance bien plus qu’on s’attarde à leurs revendications.
Au-delà de cette tendance anglo-saxonne à sanctifier l’entrepreunariat en général, on leur réplique souvent qu’il n’y a rien de mal à ce que le DTES s’embourgeoise, puisque cela contribue à créer une certaine « mixité sociale ».
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Comme si les disparités socioéconomiques tendaient à s’atténuer par simple contact. Or, dans la réalité, j’ai plutôt l’impression que les classes, même si on force leur cohabitation, se juxtaposent ou au mieux s’entrelacent superficiellement, mais sans plus. Cette idée de « mixité sociale », donc, m’apparaît surtout comme un prétexte taillé sur mesure pour ceux qui ont intérêt à le brandir.
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Ainsi, plutôt que que de se voir inclus dans la « revivification » de leur quartier, ou plutôt dans ce manège mercantile qui se barde de vertu, les locaux risquent surtout de se voir relégués encore plus dans les marges dans la vie active.
Bien sûr, les entrepreneurs peuvent adopter certaines mesures inclusives, par exemple en embauchant de la main d’oeuvre « locale » afin de favoriser la réinsertion de certaines personnes dans le marché de l’emploi.
Hourra pour les jobines, c’est vrai.
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Reste qu’en contrepartie, il faut tout autant se méfier de la « ghettoïsation » de la pauvreté. Endiguer la précarité en la concentrant dans certains périmètres où elle s’impose « depuis toujours » ne constitue certainement pas une solution viable.
J’imagine qu’il s’agit de trouver un équilibre entre les illusions de mixité, et la culture « normale » de la pauvreté. Pour l’instant, moi, les piqueteurs de DTES, je les trouve plus sympathiques que menaçants!
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