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Le mystère du portrait du Doc Mailloux
Depuis la fin janvier, une apparition insolite attise la curiosité sur Marketplace : un portrait du Doc Mailloux, minutieusement tracé au fusain, affiché à mille dollars. L’annonce provoque un arrêt du défilement, fait froncer les sourcils, arrache quelques exclamations. « Ben voyons, quessé ça? ». Une trouvaille qui suscite plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Difficile de parler du défunt Doc Mailloux sans entrer en terrain miné. Personnage polarisant s’il en est un, Pierre Mailloux suscitait autant l’admiration pour son esprit incisif que le malaise pour ses sorties incendiaires. Psychiatre aux analyses percutantes pour les uns, provocateur outrancier pour les autres, il a laissé une empreinte indélébile dans le paysage culturel québécois. Un showman sans filtre, dont la verve débile a souvent pris le pas sur le fond de son propos.
Unijambiste assumé, tignasse blanche en bataille, barbe iconique … Une sorte de Karl Marx trifluvien, incarnation intemporelle de l’intellectuel médical sans concession, lunettes vissées sur le nez. Une bouille inoubliable, reconnaissable entre mille, qui, même en noir et blanc, accroche le regard.
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Qui est derrière le dessin?
Pour percer le mystère, cap sur Saint-Eustache. C’est là, dans le sous-sol discret d’un tattoo shop, que je rencontre Jonathan Dupuis, l’artiste derrière le portrait. Grand gaillard réservé, il est à la fois amusé et presque gêné par l’engouement soudain que suscite son œuvre. « Je l’ai mis sur Marketplace un peu pour rire, avoue-t-il. J’avais une petite intention de le vendre, mais pas plus qu’il faut. »
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Et pourtant, le dessin intrigue, captive. Plus de 50 000 clics sur l’annonce, propulsée entre autres par l’humoriste Pat Savard sur Facebook. Sur sa page, près de 1000 likes et 600 commentaires, où s’entrelacent nostalgie, ironie et mépris. « Ça coûte une jambe! », lance un internaute. « Ça vient-tu avec des allumettes? », raille un autre. Entre les blagues, des témoignages plus touchants émergent, prouvant que le personnage fascine toujours, qu’on l’adule ou qu’on le conspue.
Si l’héritage du Doc divise encore, son portrait, lui, fait consensus : Jonathan Dupuis a du talent.
« Ça a pris trois ou quatre jours avant que ça explose. Et depuis, chaque fois que je vais sur Marketplace, je suis un peu sans mots devant le nombre de clics », confie-t-il, encore surpris de voir son dessin prendre une telle ampleur.
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Pourquoi le Doc Mailloux?
Retour en 2018. Jonathan Dupuis, en pleine quête de perfectionnement, suit des cours privés pour affiner sa technique en beaux-arts. « J’étais dans ma phase portraits, raconte-t-il. J’enchaînais les dessins et je voulais absolument en faire un avec une barbe. J’aurais pu choisir Dumbledore ou le Père Fouras, mais je me suis dit : pourquoi pas le Doc Mailloux? »
Au fusain, l’œuvre lui demandera quatorze heures de travail méticuleux, chaque trait pesé, chaque ombre peaufinée avec une précision presque méditative. « Dessiner pour le plaisir, c’est bien plus agréable que de tatouer. Tu peux tester de nouvelles techniques, effacer si ça ne marche pas », explique Jonathan. Un exercice de style, certes, mais aussi un moyen d’affiner sa pratique de tatoueur : « S’exercer sur un autre médium, ça te rend meilleur. La peau, c’est loin d’être idéal. Sur papier, tu peux prendre le temps qu’il faut. »
Le dessin relevait donc autant d’une démarche artistique que d’un désir de progresser. À 36 ans, Jonathan avait déjà derrière lui une longue histoire avec le crayon. Dès l’âge de huit ans, il prend des cours, poussé par des parents qui tatouent à la maison. Le dessin devient une passion, mais la vocation de tatoueur ne s’impose que plus tard. Au départ, il rêvait de peinture, d’atelier, de toiles. Puis, un jour, une machine à tatouer s’est retrouvée entre ses mains. Il ne l’a jamais lâchée depuis.
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Choisir de dessiner Pierre Mailloux n’avait rien d’anodin pour Jonathan. « C’était l’une des figures les plus polarisantes du Québec. Mais aussi une des plus uniques. Personne n’était comme lui. »
L’œuvre a d’ailleurs trouvé sa place dans son salon de tatouage, où elle trône non seulement comme pièce maîtresse, mais aussi à titre de icebreaker. « Des gens d’un peu partout de la couronne nord débarquent ici et lâchent : “Eille, c’est ici qu’il y a le Doc Mailloux?” », s’amuse-t-il. Mais s’il savoure l’effet de curiosité qu’il suscite, il admet volontiers que c’est le personnage, plus encore que la qualité d’exécution du dessin, qui capte l’attention.
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Malgré le succès de son annonce, Jonathan n’a jamais vraiment eu l’intention de se séparer du portrait. Lorsqu’il l’a mis en vente sur Marketplace, c’était sans grande attente. Pourtant, les messages ont afflué. « J’ai reçu une centaine de messages… ou plutôt une centaine de niaiseries », raconte-t-il. Certains proposaient des sommes farfelues : « Un gars m’a dit qu’il allait emprunter à la banque pour l’acheter. Un autre m’a offert 20 $. » Jonathan a pris ça avec humour, répliquant aux offres absurdes par des blagues bien senties.
Quant au prix fixé à 1000 $, il relevait presque du clin d’œil. « Juste le cadre sur mesure vaut 180 $ », précise-t-il. Mais l’argent n’a jamais été sa réelle motivation.
« Chaque fois que quelqu’un m’écrit, je croise les doigts pour que ce soit une fausse offre », avoue-t-il en riant. Cette pièce, il y tient.
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Et si, un jour, un acheteur sérieux se pointe avec les 1000 $ en main? Qui sait… Jonathan ne ferme pas la porte. Mais il sait très bien que tout ça l’amuse bien plus qu’autre chose.
Rien, dans sa démarche, ne relevait de la provocation. Pas de calcul, pas de coup monté, juste une admiration pour la singularité du Doc. « Je le trouvais comique, pis sa barbe était unique. » Une plaisanterie qui a pris une ampleur inattendue.
Et à voir tout le brouhaha qu’elle suscite, on se dit que le Doc Mailloux, quelque part, aurait sans doute souri… ou pété un câble.