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On est en 1998, il est dimanche 12h35 pm et je suis dans l’autobus 96L direction Saint-Jean-sur-Richelieu, assis sur la banquette du fond, dégageant un doux mélange de swing et de Tiger Balm.
« Maman, le monsieur y pue pis il a l’air déguisé. »
– « Oui, je le sais mon pitou. Ça sera pas long. Dans une heure, on arrive à la maison. »
J’ai 16 ans et je reviens d’un énième rave de sous-sol d’église, portant fièrement mon effluve de 10 heures de party et mon kit de candy raver qui consistait la majorité du temps de :
-Une trentaine de bracelets en billes de plastique multicolores, faits à la main, symbolisant l’amitié éternelle pour celui ou celle à qui on le donnait ou de qui on le recevait. (bullshit)
-Une suce dans le cou glow in the dark en forme de graine, achetée au sex-shop sur Mont-Royal. Sans commentaire.
-Une passe dans les cheveux avec deux pompons de majorette roses ou deux étoiles en styromousse or. Je variais selon mon mood. (Ce n’est pas une blague.)
-Des mini poupées Powerpuff Girls en toutou accrochées sur une ceinture. Je me demande encore pourquoi je buzzais là-dessus : j’ai jamais écouté une émission des Powerpuff Girls de ma vie.
-Ma chemise Pelle-Pelle bleu pâle en genre de semi-nylon car ça séchait en 5 minutes quand je me la cuisais trop (et aussi car les marques hip-hop faisaient du 2 XL. J’étais pas mal chub’ dans le temps.)
-Un pantalon de chez l’Équipeur style cargo qui se transformait en short en dé-zippant le bas. J’en avais un bleu royal, un beige et un vert kaki. J’ai dû m’en racheter à quelques reprises car, quand j’avais trop chaud, j’enlevais le bas et je le cachais quelque part dans le rave. Évidemment, je repartais en oubliant mon bas de pantalon dans le party, probablement caché derrière une poubelle.
– Une bague avec un jewel-bonbon suçon pour faire coquin/cochon.
– Un collier avec une plaque militaire en métal, mais au lieu de mon nom de soldat, le drapeau arc-en-ciel gai en gravure colorée. Je pense que j’ai acheté ça l’été de mon coming-out, dans un kiosque de souvenirs cheap sur Sainte-Catherine pendant la gay pride.
– Un mini pot de gel d’étoiles de Lise Watier que je me mettais dans le toupet pour donner un look glitter. Not.
-Un collier en bonbons (ceux avec l’élastique qui passe au centre). Je vous entends déjà me dire :
« Oui, mais ca devait fondre ? »
Hé bien mes chers amis, c’était justement ça le buzz. En plein high d’ecstasy, on se lichait le cou les uns les autres et on trouvait ça bin bon. De dire que j’ai honte et que le cœur me lève en y repensant est un euphémisme.
-Un tube de gloss de marque NYC du Jean Coutu car il coûtait 2 piasses et que je le perdais tout le temps.
-Un pot de Tiger Balm acheté dans le quartier chinois car c’était moins cher qu’à la pharmacie. Le Tiger Balm était assurément le straight-magnet numéro un. Nombre d’hétéros libidineux un peu douchebags et un brin curieux qui simulaient un mal de dos afin de se faire masser, pour finalement finir en train de se faire taponner la verge, tapis dans l’ombre et le sourire aux lèvres. Les belles années quoi.
-Deux light sticks achetés au surplus de l’armée sur Saint-Laurent car ils étaient 2 pour 8 plutôt que 15 dollars, si tu l’achetais sur place. Quand je me sentais survolté, j’avais aussi un mouth stick. Nombre de fois que celui-ci m’a pété dans la bouche car je le mâchais trop fort à cause du speed. Je vous confirme que de passer la soirée avec les dents fluos pis un goût de cancer dans le fond du palais, ce n’était pas si agréable.
Les lights sticks pour un candy raver, c’est comme l’équivalent des faux ongles et des mèches pour les douchebaguettes de Saint-Léonard, c’est essentiel à leur survie. Dire que j’ai déjà refusé, dans un party, une offre de 50 piasses pour mes deux light sticks. On apprend de ses erreurs.
Voici une photo de ma gang de l’époque en plein move de feu de light stick :
-Mes ongles vernis or, argent ou bleu métallique. Je trouvais que ça donnait un look techno industriel. Ne pensez pas que j’avais les 10 doigts vernis, oh non, le cool du style reposant sur le fait d’avoir seulement 3 ongles colorés sur chaque main. Il y a toujours bien une limite à être girlie, non ?
Je regrette aussi mes cheveux. J’avais comme une coupe de lesbienne dans la cinquantaine en spikes avec le bout bleaché. Ma coiffeuse des Halles d’Anjou, la sexy Johanne, me faisait ce qu’on appelait la technique du dipping. On prend une couette de cheveux, on la twist et on trempe le bout dans du bleach. Ça donne un look beach boy qu’elle me disait. Avec le recul, j’avais juste l’air de m’avoir lavé les cheveux avec de l’urine.
Tout cela vous semble bien trop gros pour être vrai ?
Voici la preuve que je n’ai pas d’orgueil :
Bien que cette période de ma vie semble aujourd’hui d’un ridicule sans nom (je vis parfois encore dans le déni), je ne peux m’empêcher d’y repenser avec un sourire en coin, me remémorant mon émancipation sexuelle, ma quête de sensations fortes, mon style de marde et la honte de mes parents à me voir partir de la maison le samedi soir après mon 8 à 6 à la poissonnerie de mon père, grimé en candy raver, la tête haute et la certitude d’être le gars le plus cool en ville…
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