Logo

Le monde change, celui des jeux de rôles aussi

Des ados dans un sous-sol, oui, mais pas seulement.

Par
Sarah-Florence Benjamin
Publicité

Vous rappelez-vous ce que vous avez fait du 26 au 28 février 2021? Si vous répondez non, c’est que vous avez manqué le festival Draconis, la destination pour les fans de jeu de rôles de table. J’y suis allée pour vous, sans me déplacer de ma chaise de bureau. Loin d’être l’affaire de quelques nerds dans un sous-sol, c’est un monde en pleine ébullition, d’autant plus que plusieurs d’entre nous ont dû passer beaucoup de temps à la maison dans la dernière année.

Pour celleux dont la connaissance des jeux de rôle se limite à une image vague de quatre gars qui se lancent des dés de bord en bord d’une table, Stéphane Thériault, un des coorganisateurs du festival Draconis résume l’expérience ainsi : « C’est comme si tes ami.e.s et toi vous jouiez dans un film, mais que personne ne connaissait le scénario ». Le festival, à sa 5e édition dans le cadre de Montréal joue, a offert une programmation de 80 parties et un éventail éclaté d’univers, de la Nouvelle-France à un bar de la rue Sainte-Catherine, dans le passé, le présent, le futur, loin du classique Donjons et Dragons médiéval fantastique auquel on pense toujours en premier.

«C’est comme si tes ami.e.s et toi vous jouiez dans un film, mais que personne ne connaissait le scénario»

Publicité

Un peu comme un Comiccon, le festival rassemble des fans du genre ainsi que des panels de créateur.rice.s de jeux, d’associations de joueur.se.s et d’artisans. L’édition 2021 ne pouvant se dérouler au Cégep du Vieux Montréal comme à son habitude, plus de 300 personnes ont tout de même participé au festival 100 % virtuel.

De la cafétéria à Discord

Pandémie oblige, c’est sur l’application de discussion Discord qu’a eu lieu la totalité des festivités. « C’est sûr que ce n’est pas pareil quand on joue à distance que quand on joue en personne. Il y a moins ce contact humain », confie Stéphane Thériault. « Mais, avec les mesures sanitaires, beaucoup de joueur.se.s s’étaient déjà mis aux parties virtuelles. En plus, ça nous a permis de rejoindre des gens qui n’auraient jamais pu participer en présentiel, beaucoup d’Européen.ne.s, par exemple ».

«C’est sûr que ce n’est pas pareil quand on joue à distance que quand on joue en personne. Il y a moins ce contact humain».

Publicité

Selon un sondage mené par les organisateur.rice.s, 49 % des participant.e.s habitaient Montréal, 23 % le reste du Québec et 25 % assistaient depuis l’Europe. « C’était une très belle occasion de faire rayonner les jeux originaux de créateur.ice.s d’ici à un public plus large que d’habitude », conclut Stéphane Thériault.

Un public en mutation

Selon le même sondage, 70 % des participant.e.s étaient des hommes, 25 % des femmes et 5 % des personnes non-binaires. « La majorité de nos participant.e.s, comme dans le reste du monde des jeux de rôles de table, ont toujours été des gars de 20 à 30 ans », explique Stéphane. « Mais, à chaque édition du festival, on voit qu’il y a de plus en plus de diversité, au chapitre du genre, de l’âge et de l’origine ethnique ».

«à chaque édition du festival, on voit qu’il y a de plus en plus de diversité, au chapitre du genre, de l’âge et de l’origine ethnique»

Publicité

Selon Roxanne Chartrand, doctorante-chercheuse en études du jeu vidéo à l’Université de Montréal, l’origine des jeux de rôles explique pourquoi ils sont longtemps restés la chasse gardée d’un petit groupe assez homogène. « Donjons et Dragons est né des jeux de simulations militaires dans les années 70. C’était très concentré sur le combat et ça parlait beaucoup à des joueurs masculins ».

Les choses ont beaucoup changé depuis une quarantaine d’années, et surtout dans la dernière décennie, selon Stéphane Thériault : « Internet et les réseaux sociaux ont beaucoup fait pour démocratiser les jeux de rôles, ça a permis de les faire connaître hors des petits cercles d’initié.e.s ».

«Internet et les réseaux sociaux ont beaucoup fait pour démocratiser les jeux de rôles»

Il faut dire que la mauvaise réputation des jeux a longtemps été un frein à leur popularité. « Dans les années 80, on observait une grosse panique morale autour de Donjons et Dragons, qu’on accusait de promouvoir le satanisme. Sinon, on pensait que c’était une affaire de nerds qui voulaient s’inventer une vie où ils étaient populaires. Maintenant que c’est plus accessible, on se rend compte que c’est juste une activité le fun à faire entre ami.e.s ».

Publicité

Roxanne Chartrand pense que les jeux de rôles sont faits pour plaire à une multitude de personnes : « Par nature, ces jeux-là sont très accessibles. On n’a besoin de presque rien pour jouer, quelques papiers, des crayons, des dés tout au plus. En plus, il n’y a pas de limite, sauf celle de notre imagination. Il y a des règles, mais on peut toujours en discuter, ce qu’on ne peut pas faire avec un ordinateur ou une console de jeux ». C’est d’ailleurs une des raisons de la popularité grandissante de ces jeux durant le confinement, selon la chercheuse.

« Les jeux de rôles recèlent un potentiel d’exploration infini, ils permettent aussi d’explorer des sujets personnels de manière détachée ». Il n’est donc pas surprenant pour Chartrand que de nombreux.se.s joueur.se.s soient arrivé.e.s à des réalisations sur leur orientation sexuelle ou leur genre après avoir incarné un personnage particulier dans une partie.

Ce qu’il reste à faire

En plus de diffuser certaines parties sur Twitch, le festival a offert 19 panels qui sont encore disponibles en différé sur leur chaîne YouTube. Dans ces panels, on en trouve quelques-uns sur des enjeux sociaux dans le monde du jeu de rôles, sur la diversité culturelle et le sexisme par exemple. On sent clairement qu’il y a une volonté d’inclusion.

Publicité

« Il y a beaucoup de bonnes intentions, salue Roxanne Chartrand. Cependant, ce n’est pas aussi facile que de juste encourager des joueur.se.s à se joindre. Souvent, ces personnes-là ne veulent pas se retrouver seules avec des inconnus, surtout si elles sont, par exemple, la seule femme ou la seule personne de couleur ». La solution, pour Roxanne Chartrand, réside dans l’inclusion de groupes ou d’associations issues de la diversité dans ce genre de convention ou dans les médias sur le sujet. « Ces groupes-là existent, mais ont beaucoup moins de visibilité dans le monde francophone qu’en anglais, où le marché est beaucoup plus vaste ».

«Souvent, ces personnes-là ne veulent pas se retrouver seules avec des inconnus, surtout si elles sont, par exemple, la seule femme ou la seule personne de couleur »

Publicité

Les plateformes anglophones comme itch.io sont pleines de petits jeux indépendants, dont les règles tiennent parfois sur quelques lignes à peine. Ces jeux « narrativo-véganes », comme on les surnomme parfois dans l’industrie, plus axés sur la collaboration, le développement de personnage au lieu de l’action, sont également de plus en plus présents sur la scène francophone. Cette tendance est liée à l’ouverture des jeux de rôles à des publics différents selon la chercheuse : « Ce qui se passe, c’est que plus de diversités dans les joueur.se.s, ça veut aussi dire plus de diversité chez les créateur.ice.s. Ce sont de nouveaux points de vue qui amènent le jeu de rôles complètement ailleurs ».

Que ça soit dans la cafétéria d’un cégep ou dans un apéro Zoom, il semblerait qu’il y ait assez de place pour tout le monde dans le monde du jeu de rôles, que vous vouliez trucider des gobelins ou explorer les regrets d’un mécanicien vieillissant à l’aube de sa retraite.

Publicité
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!