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Le mixologue était mélangiste

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Un beau jeudi matin, Annie, une nouvelle collègue de bureau, m’invite chez elle pour le lendemain soir : «On fait un souper 5 services, accord mets-vin, genre… On a pensé à toi, on sait que t’es une vraie foodie. En plus, j’ai un mec à te présenter… un ami de mon chum, il est célibataire», croit-elle bon d’ajouter, un clin d’œil dans la voix.

Annie bosse avec nous depuis 3 mois, je la connais peu, mais elle m’est plutôt sympathique, super énergique, c’est une sorte de majorette de la finance. J’ai rencontré son chum, Carl, une fois dans un 5 à 7, un sommelier qui danse la polka après quelques verres. Bref, on avait bien ri.

Je me dis que ce n’est pas en restant échouée sur le divan que je vais rencontrer l’Homme, alors, j’accepte l’invitation, en me disant qu’il y aura sûrement du bon boire avec lequel je pourrai m’anesthésier si c’est plate.

Arrive le vendredi soir, je mets ma robe à picots, je me fais une face et je me pointe chez Annie. J’ai pas encore franchi le pas de la porte, que je vois déjà un grand jack qui lance des bouteilles dans les airs, comme s’il passait une audition pour le Cirque du Soleil.

– Salut, moi c’est Jeff, j’travaille avec Carl, j’suis mixologue!

(Ouais, je vois ça… )

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Annie m’explique que notre Tom Cruise est en train de shaker sa nouvelle création à la courge butternut.

Misère… me semble ça commence raide !

En voyant, mon sourire plaqué, le gars s’approche, me donne deux becs et me dit que d’après mon look, je préfère sûrement les drinks vintage.

– Un White Lady?

J’ai aucune idée de ce que c’est, mais si c’est vintage et que je peux éviter la courge, j’en prends-un!

Je m’installe sur un tabouret à côté de l’ilot. Tout en jonglant avec un briquet et une bouteille d’Ungava, le gars m’explique qu’il a remplacé le citron par le kumquat et que «moléculairement parlant, ça nous amène ailleurs…»

(Bon, si tu le dis!)

Je prends une grosse gorgée, j’en ai besoin, et effectivement, ça goûte le ciel!

Le mixologue pèle des agrumes, comme s’il n’avait aucun lendemain. Il est plutôt charmant, mais la yeule y’arrête pas. Annie et son chum ont fini leur drink jaune-orange, ils préparent des mises en bouche tout en se frenchant. Je bois. Mon nouvel ami me prépare un autre drink. Si je suis plus sauge ou hibiscus? Je veux des fleurs dans ma boisson. Tout le monde rit. Il me dit être le premier à avoir réhabilité le pot Masson à Montréal et que la nouvelle tendance, sera bientôt de servir des drinks dans des bocaux à poissons rouges. Mon verre aussi est rouge. Il se boit tout seul. Le barman me colle. Je colle le barman. C’est l’heure du carpaccio! Pop! Proséco! Annie est assise sur Carl, ils racontent quand la mère de Carl les a surpris en train de baiser, il y a 8 ans. Rires. Le mixologue fait des mimes. On mange du foie gras, on boit du vin jaune. Faut que j’aille aux toilettes. Je me dis que ça commence à tourner pas mal et que je devrais slaquer, on est juste au 2ème service. Annie cogne à la porte. «Ça va Manue? » Elle me dit que je suis vraiment cute dans ma robe et m’écrase sa bouche dans le cou. Elle ricane. Je retourne à la cuisine. Je bois de l’eau. Je m’assois à table. La vibe est weird. Carl passe son pied le long de ma jambe. Attends minute… Carl!?! Oui, Carl. Et là, «mon» mixologue joue dans les cheveux d’Annie… Tout le monde veut aller dans le jacuzzi… Wô! Ok, je choke… Y’a quelque chose qui m’avait échappé jusque-là… Je change de face. En fait, je dois avoir le visage de ma mère quand elle surgissait de façon impromptue dans le sous-sol pendant qu’on jouait à la bouteille.

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J’aimerais ça être ben cool, mais ça marche juste pas. Je n’avais pas envie de fricoter en gang, surtout pas avec ma collègue de bureau. Moments grandioses à la machine à café en perspective…

Je plaide donc le malaise et je pars presqu’en courant, laissant les autres à leur partie de tag-BBQ.

Le lendemain, émergeant des vapeurs éthyliques, j’hésite entre rire et me sentir ridicule. Je me suis vraiment sauvée comme une enfant.

Justement, Annie m’appelle : «Hey, je suis désolée! J’pensais pas que ça allait te rendre inconfortable. Tsé, Carl et moi, ça fait 4 ans, qu’on est mélangistes…»

Et là, j’ai eu droit aux principes de base, à plein de détails croustillo-superflus et j’ai appris que… la réceptionniste au bureau aussi était mélangiste, que mon nouveau dentiste l’était, bref que pratiquement 80% de ses amis, l’étaient!

Bon, je dois avouer que pendant quelques instants, j’avais l’impression de vivre dans une caverne, pendant qu’à l’extérieur, le reste de la ville s’envoyait en l’air allégrement. Me restait plus qu’à regarder les murs de ma grotte où s’agitaient les ombres de mes congénères qui, EUX, pouvaient copuler grégairement…

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Ce qui m’a fait sortir brusquement de mon allégorie platonique, c’est quand Annie m’a dit : «J’comprends que ça ne plaise pas à tout le monde, tsé, ça demande une certaine maturité, une évolution, un cheminement…»

J’ai eu envie de pousser un petit cri primal, là. Est-ce vraiment une question d’évolution et de maturité, comme si c’était un idéal à atteindre? Je n’avais pas vu la lumière et je ne faisais pas partie des Élus?

Me semble que c’est davantage une question de choix, de goûts et d’intérêts, non?

Du temps où j’étais en couple, ça ne m’a jamais passé par l’idée d’embrasser un autre gars (ou encore moins de lui faire une pipe) devant mon chum… Aller voir ailleurs, mais ensemble, comme couple, je le sens pas… Me joindre à tout ça, en tant que célibataire, pas plus. Est-ce que ça fait de moi une ramapithèque sur l’échelle de l’évolution sexuelle?

Plutôt que de voir la sexualité comme des échelons à gravir, je préfère voir ça comme une terre à explorer… Disons que j’aime mieux le faire en duo (ou à la limite en solo), plutôt qu’en voyage de groupe organisé.

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