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Le message subliminal de Framing Britney Spears

Un documentaire à propos d'une obsession culturelle.

Par
Benoît Lelièvre
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Ma copine et mois avons débuté 2021 en regardant un très mauvais documentaire à propos de la vie de l’acteur Heath Ledger.

Il ne s’agit pas d’un film paresseux ou mal fait, mais il a visiblement été produit par des gens qui l’aiment beaucoup et qui n’ont aucune envie d’altérer le souvenir que le public en garde. On a donc droit à 90 minutes de témoignages d’amis et de collègues qui en parlent comme s’il était Dieu. Et surtout, on apprend pas grand-chose.

J’ai tout de suite pensé à ce film en regardant le documentaire du New York Times Framing Britney Spears, qui retrace les origines du mouvement populaire #FreeBritney. Pour ceux qui ne savaient pas, il s’agit d’une campagne bien réelle sur les réseaux sociaux visant à mettre fin à la tutelle légale du père de la célèbre chanteuse sur sa fille. Tutelle qui dure depuis janvier 2008.

Le film donne peu de détails à propos de Britney Spears ou de la tutelle légale, puisque les parties impliquées ont refusé de participer au documentaire.

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Le film donne peu de détails à propos de Britney Spears ou de la tutelle légale, puisque les parties impliquées ont refusé de participer au documentaire et que les différents intervenants sont soit dans la vie de Spears de près ou de loin (par exemple, l’avocate de son paternel Vivian Lee Thoreen), soit absents de sa vie depuis le début de la tutelle. Ce que Framing Britney Spears nous dit en somme, c’est que 1) Britney conteste la tutelle de son père et 2) elle est très au fait du mouvement #FreeBritney et en parle même dans un document légal. C’est tout.

Britney Spears est encore vivante et la perception qu’on a d’elle ne fait que s’améliorer avec le temps, un privilège réservé habituellement… aux artistes décédés.

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Pourtant, j’ai beaucoup plus apprécié Framing Britney Spears que le documentaire sur Heath Ledger. Pourquoi? Un petit détail très important sépare les deux films: Britney Spears est encore vivante et la perception qu’on a d’elle ne fait que s’améliorer avec le temps, un privilège réservé habituellement… aux artistes décédés. A-t-elle ensorcelé la culture populaire? Si oui, quelle est sa recette?

Comment devenir immortelle, selon Britney Spears

Britney Spears évolue dans le milieu artistique depuis bientôt 30 ans. Elle apparaît dans un premier épisode du Mickey Mouse Club en décembre 1992. Elle est un phénomène culturel depuis 1998 et malgré qu’elle ne fasse à peu près rien depuis janvier 2019 si ce n’est que publier sur Instagram, elle alimente à ce point les conversations que le New York Times lui dédie un documentaire.

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Ce n’est certainement pas tout le monde qui peut atteindre un pareil niveau de popularité. Qu’elle l’ait fait délibérément ou non, trois piliers de l’image publique de Britney Spears sont, selon moi, responsables de sa longévité.

1) Un produit hautement conceptuel. Entêtez-vous à dire le contraire si vous voulez, Britney Spears ce n’est pas seulement des petites chansons faciles. Ce que Spears vend depuis le début de sa carrière solo c’est une image assumée. Une génération de jeunes gens a été inspirée à emprunter la même voie grâce (entre autres) à Britney.

Entendre Baby One More Time… pour certaines personnes, c’est beaucoup plus qu’un souvenir d’école secondaire. C’est la première fois où ils ont eu le courage de sauter sur le dance floor ou même de monter sur le bar et de montrer aux autres qui ils sont vraiment. Qu’on parle ici de jeunes timides, d’adolescent.e.s dans le placard ou autres, ils se sont identifiés à cette femme qui ne s’est jamais pliée aux jugements des médias ou à ceux de la société.

Ces fans, Britney Spears les a conquis avec sa personnalité, à mi-chemin entre Madonna et votre voisine de 18 ans.

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Ce sont les mêmes qui expriment sur les réseaux sociaux leur admiration (ou leur inquiétude comme on voit dans le documentaire) pour la chanteuse, mais surtout ils sont là pour répondre aux médias traditionnels et changer la nature du discours à son propos. Sans cette armée de fans, pas de documentaire. Ces fans, Britney Spears les a conquis avec sa personnalité, à mi-chemin entre Madonna et la girl next door.

2) Un refus total de se déconstruire. C’est là que le génie (volontaire ou non) de Britney Spears entre en jeu. Oui, être une femme, assumer son parcours et aussi assumer sa sexualité ça envoie un message fort, mais elle n’est pas la première à le faire. Ce qu’elle propose de différent des autres, c’est de ne jamais prendre position sur l’interprétation que les autres peuvent faire de son image : peu importe ce que vous voyez en Britney, elle ne vous contredira jamais.

Si vous pensez que son mutisme autour de son personnage date de la tutelle de son père, détrompez-vous. Je vous invite à lire ce portrait écrit par Chuck Klosterman pour Esquire en 2004. Elle esquive avec brio toutes les questions en rapport à la signification du côté sexualisé de son image. Le pourtant très habile Klosterman en ressort tout déboussolé.

Britney Spears symbolise plein de choses dans le coeur de ses fans, mais elle ne symbolise pas Britney Spears.

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En quoi est-ce important? En expliquant et intellectualisant sa démarche artistique, elle pourrait contrôler le message. Elle raconterait son histoire, alors que présentement, on le fait à sa place en interprétant à notre guise… et peut-être qu’au fond ça lui sert, peut-être qu’au fond c’est un coup de génie! La contemporaine de Spears, Christina Aguilera, s’est davantage exprimée à propos de sa démarche, elle a donné toutes les clés et n’a jamais bénéficié de cette aura quasi mythique. Christina Aguilera est Christina Aguilera. Britney Spears est plusieurs Britney Spears selon ce que chacun s’invente à partir de son image.

3) Laisser les autres faire le travail. Ce qui est donc incroyable à propos de Framing Britney Spears (je le répète), c’est qu’il ne s’agit pas d’un documentaire basé sur des faits, mais bien sur une série d’interprétations, d’hypothèses et de théories qui ne viennent pas d’elle ou de son entourage. C’est tout le reste du monde qui échafaude des significations secrètes derrière ses faits et gestes.

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Britney publie les mêmes trucs que monsieur et madame tout le monde sur Instagram et ça devient une énigme d’importance nationale. Il existe même un balado entièrement dédié à l’analyse de son compte.

À l’heure actuelle, Britney Spears a gagné la game contre les médias en existant tout simplement et n’interrompant pas l’amour que ses fans lui portent. Elle a passé plus d’une décennie à se battre contre les paparazzis et les journaux à potins. Elle n’a plus à le faire maintenant. Elle a une armée de loyaux admirateurs pour le faire à sa place.

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C’est là le message subliminal de Framing Britney Spears: la clé de l’immortalité dans la culture populaire c’est d’avoir un produit qui chamboule les idées établies et de se mettre le moins possible entre votre produit et vos admirateurs. Britney Spears a le droit de surfer là-dessus jusqu’à sa mort. Aujourd’hui, le moins elle en fait, le plus on parle d’elle. Elle n’a peut-être pas encore regagné son indépendance légale, mais elle a gagné.

Elle a gagné tout court.