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Le malaise commercial face au repêchage de Logan Mailloux par le Canadien
Vendredi dernier, contre toute attente, les Canadiens de Montréal ont annoncé avoir repêché Logan Mailloux, jeune défenseur de 18 ans. La nouvelle a créé une onde de choc.
Et pour cause: en novembre 2020, le sportif alors affecté au club suédois de SK Lejon avait photographié sa partenaire sexuelle puis partagé l’image dans le chat de ses coéquipiers, le tout sans son consentement. Mais aujourd’hui — soit plusieurs amendes et huit mois de thérapie plus tard — son retour éventuel sur la glace est officialisé par Marc Bergevin, directeur général du club de hockey montréalais.
Sur la toile, les réactions indignées n’ont pas tardé à pleuvoir. Le premier ministre Justin Trudeau s’est même dit «très déçu» par cette décision.
Le propriétaire et président des Canadiens, Geoff Molson, s’est par la suite excusé «auprès de toutes celles et ceux qui ont été affectés par notre décision». Un geste qui survient après que de nombreux commanditaires du CH aient manifesté leur malaise.
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Selon Joé T. Martineau, professeure d’éthique organisationnelle et directrice associée du pôle sports de HEC Montréal, ce malaise est surtout alimenté par la dissonance avec les avancées sociales dans la foulée de #MeToo. «Ce qu’on reproche aux Canadiens de Montréal, c’est d’être en décalage face à la prise de conscience sociale qu’on a eue pendant les trois dernières années», explique-t-elle. «C’est comme s’ils étaient un peu insensibles à ces enjeux.»
«On sent une tension entre les enjeux commerciaux d’un partenaire d’affaires lucratif, mais aussi, d’une autre part, les valeurs des organisations»
Du côté des partenaires commerciaux de l’équipe, un mot revient souvent: celui de l’inconfort. La Cage – Brasserie Sportive se sent «inconfortable» face à cette décision. Dans un communiqué envoyé au Devoir, le groupe Desjardins a fait part de son «inconfort» au lendemain de ce choix.
Tous deux, secondés par St-Hubert et Jean Coutu, ont affirmé être en discussion avec les Canadiens de Montréal. Aucun n’a encore statué sur la continuité (ou non) de leur collaboration avec eux. Et de la part d’autres commanditaires comme Bell, Bombardier, IBM ou encore Tim Hortons, silence radio.
La réticence à prendre position de façon tranchée est très palpable. «On sent une tension entre les enjeux commerciaux d’un partenaire d’affaires lucratif, mais aussi, d’une autre part, les valeurs des organisations», commente à ce sujet la professeure Martineau.
«Les marques ne peuvent plus se permettre de rester neutres, car la neutralité est vue comme de la complicité.»
«Les intérêts commerciaux sont forts», remarque Joé T. Martineau. «Les entreprises ne veulent pas nuire à des liens qu’ils ont avec l’organisation des Canadiens.» Et cela vient directement faire écho aux paroles prononcées lundi par Josée Vaillancourt, porte-parole du Groupe St-Hubert. «On est un bon partenaire, on veut garder de belles relations avec eux», a-t-elle déclaré au Journal de Montréal. Les protestations et les appels au boycottage en ligne contre la chaîne de restauration ne se sont pas faits attendre.
Le prix de l’hésitation
«Les marques ne peuvent plus se permettre de rester neutres, car la neutralité est vue comme de la complicité», écrivait Kian Bakhtiari en 2020 dans le magazine Forbes. Dans le cas présent, une prise de position floue ou bancale peut être également considérée comme de la neutralité. Et le pouvoir punitif du consommateur n’est absolument pas à négliger.
Une étude d’Edelman chiffre effectivement à 64% le pourcentage mondial de clients choisissant ou non d’acheter chez une enseigne en fonction de ses positions sociales et politiques. «Les gens cherchent de plus en plus à voter avec leurs achats», en dit Joé T. Martineau avant de concéder, réaliste que les clients ne vont probablement pas déserter les commanditaires pour autant.
La conséquence d’une banalisation
En faisant de Logan Mailloux un premier choix, le message renvoyé par les Canadiens est, au mieux, celui d’un pardon qui absout, au pire, celui d’une banalisation aussi bien de son geste que de ses conséquences.
«Comme l’entreprise elle-même ne s’est pas questionnée, [les commanditaires] se disent : “Moi, est-ce que je dois affirmer davantage des valeurs que l’entreprise qui a créé un lien d’affaires [avec Logan Mailloux] n’a pas fait?”» Selon Joé T. Martineau, la décision des Canadiens de Montréal — «je me l’explique mal», dit-elle — est si catégorique que les marques nagent dans la même incompréhension que l’opinion publique. Mais chez elles, cette incompréhension est paralysante.
Et dans tout ça, peut-être que de nombreux dirigeants d’entreprises souhaitent que la tempête soit éphémère. «Malheureusement, les crises passent quelques jours dans les médias et puis on passe à d’autre chose», déplore Joé T. Martineau. «C’est ce que les partenaires d’affaires peut-être espèrent.»
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