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Au bar, j’ai entendu de jeunes avocats dire qu’ils feront beaucoup d’argent plus tard. Ils font déjà dans les soixante-dix mille, j’ai cru comprendre. Peut-être que c’est dix mille de plus, peut-être que c’est dix mille de moins, peu importe, rendu là, ça ne change rien dix mille.
La classe moyenne est définie par ses obligations et non par son salaire. Travailler quarante heures pour vingt mille dollars ou travailler quarante heures pour cent mille dollars, cela demande le même temps. Dans la classe moyenne, entre zéro et cent mille, ce qui change, c’est la grosseur de la télé, le nombre d’étoiles dans les tout inclus, le montant de l’hypothèque et la marque de son véhicule. En proportion, personne n’est plus libre que l’autre. C’est en ayant assez d’argent pour ne plus être obligé de travailler que l’on peut se définir comme appartenant à une autre classe sociale que moyenne.
Dans la savane, un lion qui n’a pas faim n’a plus qu’à dormir et attendre d’avoir faim à nouveau. Dans une grande ville, il en va de même pour les humains qui n’ont pas de but précis. Ils travaillent toujours la même journée et payent toujours le même mois de loyer en attendant que quelque chose se passe. L’humain, tel le lion, n’a que faire lorsqu’il possède à la fois le temps et l’argent. Ceux qui ont de l’argent rêvent d’avoir du temps et ceux qui ont du temps aimeraient avoir de l’argent. Heureux sont ceux qui possèdent les deux en même temps, mais mieux vaut quand même être un pauvre qui a un but qu’un riche qui ne sait que faire de son temps. Par contre, rien ne peut arrêter un riche qui sait quoi faire de son temps.
L’homme qui n’ose pas dire aux femmes qu’elles sont belles se dit qu’un jour il le fera. Un jour, il ira voir la fille avec les dents très blanches au marché et lui dira qu’elle a un beau sourire. Certains le feront seulement quand il sera trop tard, quand ils ne seront plus impliqués par leur geste. C’est pour ça que les personnes âgées ont le compliment facile. Ce n’est pas qu’elles sont courageuses ni qu’elles aient compris quelque chose, c’est qu’elles ne s’attendent plus à gagner, ni à perdre en le faisant. Pourquoi un jeune homme dirait à une femme qu’elle est belle sans avoir d’intention autre comme l’inviter à boire un verre ou lui adresser un bouquet de fleurs? Parce qu’il y a des jeunes hommes qui sont courageux. Certains hommes seront toujours peureux, même s’ils sont vieux.
Pour préparer sa retraite, on parle d’économiser de l’argent. On se prive un peu tous les jours afin de pouvoir continuer de se priver de la même façon à la retraite, s’assurant ainsi une vie entière de privations. Si l’objectif de l’un c’est d’avoir une retraite confortable, mieux vaut se préparer en ne faisant que des activités de retraité. Jouer aux cartes au centre d’achat avec des amis de son âge, s’assoir sur le balcon et lire un livre, se trouver un loisir, faire des tours de machine et rentrer avant la tombée de la nuit, car les jeunes sont devenus fous. Voilà une meilleure façon de préparer sa retraite.
Comme plusieurs, je ne sais pas ce que je vaux vraiment. Toute ma vie, je n’ai fait que le minimum acceptable et je n’ai jamais eu très faim. C’est tout ce que ma classe me demande. Tout comme à l’école, on peut avancer dans la vie avec notre maigre soixante pour cent. D’ailleurs, bien rares sont les employeurs qui demandent de voir les notes. Un baccalauréat obtenu avec des A ou des D a sensiblement la même valeur sur un CV. Dans le monde du 60 %, l’ancienneté vaut souvent plus que le mérite. Si nous étions tous payés au mérite, nous serions forcés plus rapidement de trouver une place qui nous convient selon nos habiletés et n’aurions pas aussi peur de perdre ces précieux acquis sociaux obtenus simplement avec du temps accumulé.
Là, on peut se débrouiller en ne faisant que le minimum dans endroit qui ne nous convient pas et ainsi passer toute notre vie à attendre un jour qui ne vient pas. Un jour où on pourra tout quitter pour faire ce que l’on aime au lieu de faire ce qu’il faut.
Ceux à qui l’on n’a jamais demandé rien de plus que la moyenne pensent que ceux qui sont extraordinaires sont dans un autre monde qu’eux, que tout est prédéterminé. Les athlètes ont des qualités exceptionnelles qu’eux n’ont pas. Ils ont des corps spéciaux, musclés, uniques. Les grands acteurs ont du talent qui ne s’apprend pas et les artistes aussi.
Peut-être que pour les gens qui réussissent, soixante pour cent c’est un échec et non une réussite. Le talent n’est peut-être qu’un engagement plus grand en temps.
Ici, on nous excuse d’abandonner et on ne sait plus différencier la persévérance de l’acharnement.
C’est pour cela que l’on préfère parfois la télé et remettre tout à demain.
La télé c’est d’espérer que demain soit mieux en ne faisant rien pour qu’il le soit. J’ai trop souvent préféré la télé, pour avoir fait quoi que ce soit d’important. D’ailleurs qu’est-ce qui est important?
L’une des plus grandes contradictions des moyens c’est qu’ils ont un espoir indestructible que demain sera mieux et que le futur nous promet des grâces inouïes, mais toutefois, sans clairement savoir ce qui rendrait demain mieux.
Qu’est-ce qui fait que demain est mieux?
La seule façon de rendre demain mieux, c’est d’avoir l’impression que l’on s’est investi à un peu plus que soixante pour cent aujourd’hui.
Les lions, ça bouge toujours un peu plus quand ça a faim.
J’ai faim, mais je pense que j’ai trop mangé.

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