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Le homard de la discorde
Quand on pense à la Nouvelle-Écosse, on s’imagine de longues plages de sable fin, un nightlife exaltant à Halifax, des routes côtières panoramiques et de bons fruits de mer.
Mais récemment, les crustacés ont jeté la province des Maritimes dans l’eau chaude, mettant en lumière un conflit qui oppose des pêcheurs de homard commerciaux non autochtones à la communauté mi’kmaq des environs.
Le 15 octobre dernier, des centaines de pêcheurs issus des Premières Nations se sont rendus à Saulnierville pour inaugurer la première saison de pêche autogérée de l’histoire de la nation de Sipekne’katik.
Des pêcheurs ont usé d’intimidation et de violence, allant même jusqu’à brûler une usine de homard mi’kmaq, pour démontrer leur mécontentement.
Malgré le fait que la communauté mi’kmaq a le droit de pratiquer la pêche pour s’assurer une «subsistance raisonnable», selon l’arrêt Marshall signé par la Cour suprême du Canada en 1999, des pêcheurs commerciaux ont décidé qu’ils leur mettraient des bâtons dans les roues.
Dans les derniers jours, ces derniers ont usé d’intimidation et de violence, allant même jusqu’à brûler une usine de homard mi’kmaq, pour démontrer leur mécontentement face à la situation.
À environ 1000 kilomètres de là, à Montréal, des restaurateurs ont récemment décidé de prendre les choses en main et de boycotter le homard et autres produits de la mer de la Nouvelle-Écosse en appui à la communauté mi’kmaq.
On s’est entretenu avec Karennenhawi Goodleaf, une résidente de Kahnawake qui a mis la puce à l’oreille à plusieurs restaurateurs de la métropole sur ce qui se passe en Nouvelle-Écosse et David McMillan, propriétaire du Joe Beef et restaurateur bien connu qui a décidé de boycotter les pêcheurs de la province des Maritimes.
Une lutte qui passe par nos assiettes
À l’époque où manger au restaurant n’était pas qu’une chimère, Karennenhawi aimait s’adonner à cette activité. «J’essayais souvent de nouvelles adresses et je connaissais beaucoup de menus par coeur», raconte la mère d’un jeune bambin de 2 mois.
«Je voyais toute la violence qui se déroulait là-bas depuis le confort de mon salon et je me suis dit que je devais faire quelque chose à mon échelle».
«Je voyais toute la violence qui se déroulait là-bas depuis le confort de mon salon et je me suis dit que je devais faire quelque chose à mon échelle».
Elle a alors pris connaissance que plusieurs commerces de la Nouvelle-Écosse avaient décidé de boycotter les produits de la mer des environs pour afficher leur désapprobation envers la violence gratuite et le racisme à l’égard des pêcheurs mi’kmaq. Elle s’est donné la mission de convaincre des restaurateurs d’ici d’appliquer cette initiative en les informant directement de la situation.
À sa surprise, plusieurs ont répondu à l’appel dont deux de ses restaurants préférés, le Garde Manger et le Joe Beef, qui lui ont fait savoir qu’ils avaient déjà pris la décision de rejeter les produits issus de la pêche commerciale néo-écossaise. «Ces institutions sont fières des aliments qu’elles proposent à leurs clients et ont à coeur de véhiculer des valeurs de respect envers les sources d’où proviennent leurs produits. Donc je suis contente qu’elles suivent cette logique et prennent action dans ce conflit», explique la professeure de langue mohawk de Kahnawake, d’avis que ces actions peuvent avoir un «réel impact».
Un allié depuis plusieurs années
Il n’est pas rare de voir le restaurateur-entrepreneur derrière le Joe Beef et le Vin Papillon (pour ne nommer que ceux-là) David McMillan exprimer son point de vue sur des enjeux de société clivants.
S’auto qualifiant de «grande gueule», le célèbre homme d’affaires de 50 ans ne s’est pas fait prier pour afficher son dégoût face au traitement que certains pêcheurs commerciaux en Nouvelle-Écosse réservent à la communauté mi’kmaq. «Ces comportements sont racistes et inacceptables. Ces petits groupes d’individus ont endommagé l’image de la pêche au homard pour toute la province. C’est vraiment dégueulasse».
«Je cuisine encore avec amour après toutes ces années. Donc je dois être incroyablement fier des aliments que je propose à ma clientèle.»
David McMillan insiste sur le fait que les producteurs avec qui il fait affaire doivent partager les mêmes valeurs que lui pour «faire de la business». «Je cuisine encore avec amour après toutes ces années. Donc je dois être incroyablement fier des aliments que je propose à ma clientèle. Si ce n’est pas le cas, pour une raison ou pour une autre, ça ne me gêne pas de tirer la plug avec un fournisseur».
Dans cette optique, boycotter tous les produits de la mer de la Nouvelle-Écosse n’a pas été un choix trop difficile à faire pour lui. «La journée où j’ai appris ce qui se passait, j’ai pris cette décision», avoue le chef de renom.
«Ça fait plus de 10 ans qu’on travaille avec des membres des Premières Nations donc on est au courant des nombreux enjeux auxquels ils font face. Donc ce n’est pas un stunt marketing de prendre position dans ce conflit, c’est quelque chose qui nous est vraiment cher», explique David McMillan.
Le chef aux multiples tatouages ajoute d’ailleurs que son dernier livre Joe Beef: Survivre à l’apocalypse, co-rédigé avec son partenaire d’affaire Frédéric Morin, consacre un chapitre entier aux traditions culinaires autochtones.
Pour ce qui est du crustacé rouge, le restaurateur ne compte pas l’enlever complètement des menus de ses institutions prochainement. Seulement d’opter pour des fournisseurs plus «humains».
Le vent salé du changement
Bien consciente que son initiative ne réglera peut-être pas un conflit qui fait rage depuis des années, Karennenhawi pense tout de même que c’est en conscientisant les gens sur des problèmes de la sorte qu’on arrivera à faire avancer les choses. «J’ai fait un statut Facebook pour inciter mon entourage à écrire eux aussi aux restaurants et j’ai eu énormément de réponses positives. Ça fait chaud au coeur de voir autant de solidarité».
«Je pense qu’on a le devoir en tant que société de s’éduquer davantage sur les lois et les traités qui affectent la vie de milliers d’autochtones afin d’arrêter de perpétuer des préjugés racistes».
Dans un monde idéal, la résidente de Kahnawake aimerait que les gens respectent les droits des Premières Nations en général et comprennent mieux la réalité souvent méconnue de celles-ci. «Je pense qu’on a le devoir en tant que société de s’éduquer davantage sur les lois et les traités qui affectent la vie de milliers d’autochtones afin d’arrêter de perpétuer des préjugés racistes».
Ça aidera aussi à donner meilleur goût à nos lobster rolls.