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Le hip-hop lo-fi: le sous-genre qui est devenu une véritable culture
Au début de l’année, la mythique station de radio en ligne Lofi Hip Hop Radio 24/7 Chill Gaming / Study Beats propulsée par la chaîne YouTube Chillhop Records a dû cesser ses activités à cause d’une plainte de droits d’auteurs.
Au moment de l’annonce, presque tous les médias de hip-hop avaient partagé la nouvelle. Pendant ce temps, un nombre astronomique de fans pleurait la disparition de la station à coup de commentaires, de memes et de sad reacts.
Durant la journée, je me souviens d’avoir été surpris à quel point la nouvelle avait affecté les gens. Bien entendu je connaissais la station, mais honnêtement j’ignorais qu’elle était aussi populaire. Humblement, j’avais sous-estimé l’ampleur du mouvement lo-fi.
C’est en faisant mes recherches que j’ai réalisé à quel point ce sous-genre du hip-hop avait grossi, au point de devenir une culture à part entière, avec sa propre esthétique, ses figures de proue et ses propres canaux de diffusion!
Voici donc une brève introduction dans un monde où hip-hop, culture japonaise et émotivité fusionnent le temps d’un beat.
Le son « lo-fi »
On peut décrire la sonorité lo-fi par un son de moindre qualité, que ce soit voulu ou non. On parle d’une musique où les sons sont compressés et granuleux, rappelant une vieille cassette ou un vinyle qui aurait besoin de coup de plumeau.
Il faut le dire, avant d’être une culture à part entière, le lo-fi est avant tout un son. On peut décrire la sonorité lo-fi par un son de moindre qualité, que ce soit voulu ou non. On parle d’une musique où les sons sont compressés et granuleux, rappelant une vieille cassette ou un vinyle qui aurait besoin de coup de plumeau.
Bien que mes lectures se contredisent sur certains points, bon nombre de fans considèrent les beatmakers J Dilla, Madlib et surtout Nujabes comme précurseurs du mouvement. Ils auraient entre autres contribué à l’exploration de ce son « qui griche » par l’utilisation d’enregistreurs analogues et de synthétiseurs.
Sur les trois noms mentionnés plus haut, laissez-moi m’étendre à l’influence de Nujabes. Producteur japonais, il a entre autres collaboré à la trame sonore de Samurai Champloo, un anime culte et anachronique mixant l’univers des samurais à la musique hip-hop et jazz.
L’œuvre de Nujabes a inspiré une foule de beatmakers a réalisé des instrumentaux épurés en samplant du jazz instrumental (en particulier de la guitare et du piano). Le mythe autour du beatmaker fut aussi renforcé par sa mort prématurée survenue en février 2010 à la suite d’un accident de voiture à 36 ans.
Ci-bas, le générique d’ouverture de Samurai Champloo, réalisé par Nujabes en collaboration avec le rappeur japonais Shing02.
La propagation de la culture lo-fi
Plus qu’un style musical, le lo-fi hip-hop s’est progressivement développé en une culture plus grande et complexe qu’on pourrait le croire. Avec les années, il s’est créé en une identité visuelle particulière autour du son, alimentée entres autres par les animes, les jeux vidéo, les memes et l’univers des « sad boys ».
Largement inspirée de l’esthétique asiatique, les « sad boys » ont été popularisés notamment par le rappeur suédois Yung Lean, dont les clips sont des véritables pièces d’anthologie de « WTF Moments », mixant la culture du hip-hop américaine avec des instrumentaux minimalistes, le tout sur des images de combats de Super Smash Bros.
Ce visuel très « internet ironico-vaporwave » s’est propagé aussi grâce au compte YouTube « thanksforloitering », une chaîne diffusant des vidéos juxtaposants des chansons lo-fi à des extraits de vieux dessins animés, de squelettes qui dansent et de loops de dauphins roses…
Ci-bas, une chanson de BSD.U adaptée en dessin animé par thanksforloitering.
La chaîne télé Adult Swim est aussi considérée comme une promotrice importante de la culture grâce à sa série de « bumps », de courts clips de 10 à 30 secondes avec une trame sonore lo-fi que la station diffusait entre ses émissions.
Ci-bas, Compilation de différents « bumps » réalisés par Adult Swim, diffusés entre autres durant les marathons d’animes de la chaîne. Le lien entre lo-fi et animes devient soudainement naturel.
Grâce à ces vidéos, le son lo-fi entre tranquillement dans le subconscient des gens.
Plus récemment, les plateformes de streaming Soundcloud et YouTube ont permis au lo-fi de sortir de la culture « geek » des jeux vidéo et des mangas pour toucher… tout le monde. Des dizaines de radios en ligne en direct diffusent maintenant une sélection de beatmakers lo-fi amenant près 10 000 auditeurs à découvrir de la nouvelle musique tous les jours. Toutes ces stations offrent aussi un service de chat afin que les auditeurs puissent discuter et se faire des suggestions musicales entre eux.
Pourquoi est-ce aussi populaire?
Bien que le genre ait été propulsé majoritairement par l’humour (memes, montage vidéos étranges, chaîne de télé de buzzés), il ne faut pas penser que la culture lo-fi est une blague, bien au contraire. Il n’y a aucune ironie ou autodérision dans la démarche : on veut plutôt faire appel à une nostalgie assumée, voire la mélancolie…
Pas de sons agressants, pas de tempo rapide ni de chanson « hypée ». Ce n’est pas une musique de party, c’est une musique de fond, qui s’écoute en cuisinant ou en étudiant.
Que ce soit délibéré ou non, le lo-fi est en quelque sorte une réponse au courant trap du moment célébrant le party, la drogue dure et les excès. Ici, on encourage le contraire; le calme, l’introspection, le chilling. Pas de sons agressants, pas de tempo rapide ni de chanson « hypée ». Ce n’est pas une musique de party, c’est une musique de fond, qui s’écoute en cuisinant ou en étudiant.
Cette légèreté et cette discrétion sont la raison de la popularité du genre. Étant de la musique smooth, elle peut être appréciée par n’importe qui : étudiants, jeunes buzzés et pourquoi pas les gens en peine d’amour?
Cette musique touche aussi les fans de hip-hop pur et dur, parce qu’avec le hip-hop instrumental vient aussi toute la culture du remix. Par exemple, un de mes beatmaker lo-fi préféré, Jar Jar Jr, a réalisé plus d’une soixantaine de remix des classiques hip-hop, naviguant entre Jay-Z, Kanye, Big L, le Wu-Tang Clan et MF Doom.
Ci-bas, un remix de MF Doom réalisé par Jar Jar Jr
Au final, on peut dire que le lo-fi est le point de rencontre de bien des univers. Que vous soyez un stoner, un érudit de rap old school, un étudiant en fin de session, ou un fan de Cowboy Bebop, le lo-fi vous touchera d’une manière ou d’une autre.
Namasté.