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Un soir de mai, entre deux tapas, mon amie Marie-Soleil s’est exclamée : « Je suis prête pour le grandiose! »
Oh. Le grandiose.
Ce moment qui passe une ou deux fois dans une vie. Ce moment qui nous appartient. Qu’on garde pour nous, égoïstement. Ce moment fixé dans le temps, plaqué, immortalisé entre deux âmes qui se rencontrent à un moment précis, défini, important.
Cette rafale d’émotions. Un ennui soudain pour l’autre, une incapacité à se concentrer sur le quotidien, le moment présent, le monde qui continue de tourner. Ce moment qui rend tout le reste banal, sans importance, secondaire.
L’attente interminable d’un texto qui n’arrive pas, un appel qui nous envahit de joie, l’envie de crier et de répéter « Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aimerai à jamais », sans jouer de jeu, sans avoir peur d’effrayer l’autre, sans avoir peur de se livrer, vulnérable, vraie, affaiblie d’amour.
Le grandiose, les baisers interminables, presque l’envie de pleurer en serrant l’autre contre soi, une soudaine peur de le perdre, de mourir, que tout s’arrête.
Se réveiller chaque matin avec une pensée, une émotion, un sentiment, comme une vague chaude qui nous pousse hors du lit, qui nous donne envie d’être plus belle, plus grande, plus brillante, mieux pour l’autre, pour soi, parce qu’on se sent invincible, parce qu’enfin, la vie a un sens.
Le grandiose.
Ce moment qu’on vit au grand jour. Devant tout le monde. En le criant sur les toits. En s’embrassant dans les parcs, sur le trottoir, au travail. En multipliant les photos de ses baisers et étreintes, sur son iPhone, sur sa caméra, sur son ordinateur, sur Instagram, sur les murs de sa maison. Ces moments qui disent : « On s’aime, on est vivants, on vous emmerde. »
Ce moment qu’on vit caché. Dans une voiture, dans une ruelle, dans une chambre d’hôtel, sans laisser ni trace, ni preuve. Ce moment dont on doit retenir chaque détail, chaque mouvement, chaque odeur, pour qu’ils restent imprégnés en nous à jamais, parce que jamais on ne pourra les partager ou se les remémorer autrement qu’en allant les rechercher au creux de sa mémoire, cet endroit précieux qui n’appartient qu’aux amants infidèles, épris de désir, de passion et, disons le, d’amour.
Tous ces grandioses.
L’amour d’un couple marié, l’amour d’un été, l’amour feu de paille. L’amour qui s’exprime à l’infini dans une correspondance de lettres écrites à la main, un film à la Casablanca qui fend l’âme à chaque écoute, une chanson qui nous coupe le souffle et nous fait revivre une souffrance enfouie, refoulée.
L’amour des amants, enflammé par l’impossibilité d’imbriquer leurs vies l’une dans l’autre. Brisés par le casse-tête d’un amour dont il manque trop de pièces pour que le paysage parfait soit possible à réaliser.
Ces grandioses qui nous élèvent, ces grandioses qui nous font courir à notre perte.
Le grandiose. Celui qui pousse à aimer, à créer, à se dépasser, à se reproduire, à bâtir. Le grandiose, qui commence si fort qu’il fait naître des familles, heureuses, soudées, unies, indestructibles dans l’adversité. Le grandiose, celui qui dépasse l’amitié, la complicité, la tendresse, celui qui rend tout possible, et comme disait Beauvoir….qui s’autosuffit et qui réalise l’absolu.
Le grandiose. Celui qui cogne et qui nous sonne comme si on était sur le speed, la coke et l’ecstasy. Celui qui nous empêche de dormir. Celui qui nous empêche de manger. Celui pour qui on s’effondre sur le plancher, en larmes, en convulsions, avec des pulsions de mort, d’autodestruction, qui nous pousse à vouloir mourir, à vouloir tuer.
Le grandiose. Celui qu’on pense rencontrer mille fois au cours de sa vie et qui ne passe qu’une seule fois, le temps d’une étoile filante qui explose en plein ciel.
Le grandiose. Celui qu’on prédit feu de paille, mais qui brûle à l’infini parce que l’autre devient plus important que sa propre vie.
Tous ces grandioses. Les grandioses au grand jour, les grandioses cachés, les grandioses interdits et ces foutus grandioses à sens unique.
Ses grandioses qui nous font sentir vivant. Ses grandioses qui nous font regretter d’être venus au monde.
—
Alors, Marie?! T’es prête? Prête à te jeter dans le vide, risquer ta vie, ouvrir ton cœur, offrir ton âme, à pleines dents, à pleine bouche, à plein corps ?
Prête, pas prête, je te suis. Mais s’il-te-plaît…
Saute en premier.