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Le grand retour de la section 132 au stade Saputo
« Habille-toi en noir ou en bleu », mentionne le texto anonyme.
Vendredi soir. Trente degrés au thermomètre. On entend le tonnerre des pieds sur la structure d’aluminium jusqu’à la rue Sherbrooke. Un ciel rosée se couche sur le stade Saputo.
Le temps est bon dans la métropole et surtout pour les fans de soccer alors que le CF Montréal connaît une saison historique.
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Mais pour plusieurs, le match de ce soir incarne bien plus qu’une simple rencontre contre le Crew de Columbus, mais le retour tant convoité des supporters dans la section 132 après un an d’absence punitive.
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Pour comprendre les raisons du litige, il faut savoir que la relation entre l’organisation et les partisan.e.s de la section n’a pas toujours été harmonieuse, et celle-ci s’est détérioré dans la foulée du changement d’identité inauguré en 2020, remplaçant le nom de l’Impact pour celui du CF Montréal. En septembre dernier, à la suite de débordements après un match contre Toronto, le club a décidé de fermer la section des fanatiques. Une décision pour le moins, contestée.
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Le retour de la 132, vendredi soir, est l’initiative du Collectif Impact Montréal et l’œuvre de longues négociations avec l’organisation officielle.
Les 150 sièges sans bancs se sont, sans surprise, remplis par les fidèles.
Le collectif est en fait une scission de l’ancien groupe de la 132, mieux connu sous le nom des Ultras. « Il y avait une volonté de retourner au stade, me raconte une source proche du collectif. Une frange minoritaire a décidé de garder une position plus ferme et de ne pas revenir en tribune, tandis qu’une majorité démocratique a formulé le désir de former un nouveau collectif et de retrouver les acquis perdus. »
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Les 150 sièges sans bancs de l’entrée ouest se sont rapidement remplis de fidèles. Devant cette meute compacte est juché un trio d’animateurs qui s’époumonent au mégaphone, les veines du cou gorgées de passion.
Il faut savoir que les partisan.e.s se rendent dans la 132 davantage pour prendre part à l’ambiance que pour observer le match. « Au lieu d’être un spectateur passif, ici, t’es un acteur. On va rien voir de la game », me confie un habitué en m’invitant à sauter alors qu’il fait tournoyer un drapeau noir.
Le gardien de l’équipe locale vient nous saluer avant le sifflet de départ. Les joueurs également ont dû s’ennuyer de cette force d’encouragement, eux qui ont goûté à la frénésie des partisan.e.s les plus radicaux d’un peu partout au cours de leurs carrières.
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Une bannière « Guess who’s back » est dévoilée. On m’explique qu’on veut revenir de bonne foi, sans transgresser les règles. Pas de pyro pour le premier match, pas de chants controversés, ni de débordements. Un médiateur à la sécurité est également présent en retrait pour assurer un lien avec les dirigeants du collectif. Un nouveau départ empreint de diplomatie.
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Je questionne un membre sur la section située à l’opposé du terrain, derrière le but adverse où se trouve le collectif nommé 1642MTL. « C’est une mentalité plus fan club et familiale. Nous entretenons une relation cordiale, mais sommes investis de motivations différentes et un rapport d’indépendance plus grand. »
« Allez, l’Impact, Allez! », s’exclame à répétition la foule. Si une chose est claire dans la 132, c’est qu’il n’y a peu de place au débat entre l’Impact ou le CF Montréal.
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Mise en scène vivante constituée de drapeaux, de chants, de danses et de bannières, tout est une célébration proche du rituel avec ses codes propres qui peuvent paraître hermétiques pour les non-initié.e.s, mais auxquels on se colle rapidement par mimétisme. On note par exemple, s’asseoir durant l’hymne national, des chants tantôt murmurés, tantôt rugis, le virevoltement des foulards et les nombreux applaudissements synchronisés.
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La tribune devient un spectacle qui s’ajoute à celui du terrain. Sa présence assaisonne le théâtre sportif et ajoute une petite tension. Une variable imprévisible. « Ça va péter », hurle un leader alors qu’un drum enterre le bruit des canettes écrasées par la furie du mosh pit.
La foule est principalement composée de jeunes hommes de toutes origines. Des groupes de jeunes honduriens sont les voisins d’ados marocains et haïtiens. Des hoodies noirs et bandeaux bleus portés par des gars du nord-est comme du sud-ouest. Des plus vieux sont torses nus et d’autres ont le crâne tatoué. La beauté du foot loge dans son universalité.
Malgré l’absence de but, l’enthousiasme est senti. À la mi-temps, les vendeurs de bière sont débordés. « Il reste juste de la crisse de rousse », vocifère un vendeur imbibé de sueur.
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À la 66e minute de jeu, les rivaux américains s’inscrivent au pointage. 1-0 Columbus. Seulement deux minutes plus tard, ils doublent leur avance. Une douche froide s’abat sur l’ambiance jusque-là inébranlable.
Le gardien adverse profite de chaque but pour se retourner en direction de la 132. Une audace qui n’est pas laissée impunie. Le nom du cerbère néerlandais sera badigeonné d’insultes jusqu’à la fin.
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« 2-0, on s’en bat les couilles du score », fulmine un partisan au mégaphone. La foule obéit. Ça saute, ça chante de plus belle. La dévotion est là.
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89e minute. L’espoir avait presque quitté les supporters quand le 11 montréalais marque enfin son premier but. Dans l’effervescence frôlant la folie, la zone devient un déluge de bière et le monticule d’animation est envahi par la foule impatiente de hurler sa rage lumineuse.
Un fumigène solitaire est craqué, dégageant une épaisse fumée blanchâtre. Un leader rappelle au médiateur, par prudence, que son instigateur agit de manière indépendante au collectif.
Dans l’effervescence frôlant la folie, la zone devient un déluge de bière et le monticule d’animation est envahi par la foule impatiente de hurler sa rage lumineuse.
Mais une panique évidente s’empare des organisateurs quand des canettes sont lancées sur le terrain. La ligne de l’excès est mince, tout en étant inhérente aux groupes de fanatiques.
Une disciple difficile, voire impossible à ordonner au mégaphone. Le vétéran Kei Kamara prend les devants et balance les canettes hors du terrain en ordonnant du doigt aux fans d’arrêter.
L’ambiance est électrique.
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Au cours du temps supplémentaire, le stade entier est debout avec nous. Si le club montréalais fait match nul, il réserve sa place pour les éliminatoires de fin de saison. Un scénario rêvé pour une soirée inespérée.
Quand soudain, l’impensable arrive. 2-2. L’édifice explose d’une extase religieuse. Je lance ma bière vers les astres. Avalanche de corps et renversement bordélique. La 132 se fait vertige où notre propre sécurité s’éclipse pour quelques instants de sublime.
Le match se termine sous les applaudissements abasourdis. La fumée des joints se mêle à celle des lacrymos tolérés dans la nuit. Jamais je n’aurais cru qu’une nulle aurait généré pareille euphorie.
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L’équipe entière vient célébrer la résurrection et entonne « Allez Montréal » avec la 132. L’ébranlement est encore palpable. Le retour est vrai.
Un streaker en pleine poussée de croissance tente sa chance en s’infiltrant sur le terrain. Sa course, habillée, est honnête de distance avant qu’il se fasse plaquer durement. Il est escorté plus gentiment. Le spectacle n’arrête jamais.
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La section 132 est encore loin des grandes traditions européennes et la hache de guerre n’est pas entièrement enterrée, mais ce retour annonce un bel avenir alors que ses supporters chantent Sweet Caroline à l’unisson avec le stade entier, l’hymne de cette saison riche en records.
Des retrouvailles enflammées consacrées par un petit miracle.