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Le gamelan, une tradition musicale plus montréalaise qu’on pourrait le croire
Je me souviens très bien du visage de mon collègue disquaire au moment où je lui ai demandé, hésitant « du… gamelan? ». Il m’a renvoyé un sourire moqueur un brin condescendant, mais en vrai, je crois qu’il était juste jaloux du moment que j’allais vivre. L’expérience qu’offre la découverte du gamelan n’arrive, après tout, qu’une seule fois dans une vie.
Musique subjuguant autant les employés death métalleux que les DJ techno, il valait mieux garder son ivresse presque secrète, car plus grand était le nombre de fanatiques au sein du personnel, plus violentes étaient les guerres pour mettre la main sur les rares disques usagés qui rentraient au sous-sol.
Une flamboyance entraînant ses fervents près du culte.
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Pour les non-initié.e.s – que j’envie à mon tour – le gamelan est un ensemble instrumental traditionnel originaire de l’Indonésie. Un orchestre qui rassemble plusieurs musicien.ne.s attitré.e.s à des instruments pour la majorité de nature percussive. Des métallophones, des xylophones, des gongs, des cymbales, des tambours et bien d’autres. Sans oublier l’insondable flûte suling.
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Il s’en dégage une musique polyrythmique des plus hypnotiques, extrêmement singulière, passant d’une douceur cristalline à l’orage cathartique. Il est difficile de décrire des mélodies aux tempéraments aussi introspectifs que démesurés.
Très peu de mélomanes savent toutefois que Montréal entretient une belle réputation sur la scène nord-américaine de gamelan. L’Université de Montréal possède d’ailleurs le seul grand gamelan gong kebyar du Canada, un don du gouvernement balinais offert en 1987. L’Atelier de gamelan est depuis un cours initiatique très prisé chez les étudiantes et étudiants désireux d’élargir leurs horizons avec ces instruments de bronze aux harmonies mouvantes.
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Je me suis entretenu avec Alexandre David, chargé de cours à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et membre du Giri Kedaton, l’ensemble de gamelan de Montréal. Joueur de reyong, de petits gongs métalliques très rapides, il m’explique avoir attrapé la piqûre il y a une dizaine d’années, à la suite d’un périple de deux mois à Bali. À son retour, il s’est empressé de rejoindre les rangs du Giri Kedaton, la « Grande montagne » en balinais.
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Alexandre m’explique que dès l’arrivée du gamelan à l’Université, il y avait un désir de rester en contact avec le savoir des maîtres balinais. L’institution maintient depuis une tradition d’échange culturel en mettant de l’avant des résidences d’études-enseignement avec des professeurs indonésiens. « Il était primordial de valoriser adéquatement la culture, que ses emprunts soient faits dans le respect des traditions. Le gamelan est issu de la tradition orale, loin de la composition eurocentriste classique. C’est donc une grande chance de pouvoir donner un cours pratique de musique du monde, chose très rare dans les cursus universitaires », souligne le pédagogue.
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Le gamelan représente plusieurs défis pour un joueur étranger à ses nuances. « Il faut développer sa mémorisation, car il n’y a pas de partition pour des pièces d’une dizaine de minutes avec des segments rapides et complexes, explique Alexandre. C’est donc une épreuve qui demande de bonnes aptitudes d’interprète, une base rythmique solide, une excellente coordination des membres et une rare capacité d’écoute. Tous les instruments sont reliés. Il faut donc être très attentif, s’ajuster aux erreurs, donner des signaux. Le gamelan demande de développer une intuition sociale très grande. »
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« Les Balinais baignent dès l’enfance dans ce monde et grandissent avec des facultés très impressionnantes. Un contact direct avec quelqu’un imprégné par cette culture apporte beaucoup d’énergie à l’ensemble », conclut-il avant de m’inviter à entrer en contact avec le chargé de cours de la session d’hiver, Arya Deva Suryanegara.
À l’extrémité du septième étage du pavillon situé sur le versant nord de la montagne se trouve le fameux gamelan partagé avec le Giri Kedaton.
Les jambes croisées sur le tapis, l’étudiant en composition natif de Bali me sert une tasse de café infusée à l’aide de précieux grains qu’il vient de recevoir du pays. Le musicien âgé de 25 ans développe, dans le cadre de ses études à la maîtrise, des compositions réunissant le gamelan et la musique électronique.
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Originaire d’une famille de musiciens, il me prévient toutefois que « tôt ou tard, à Bali, tu te retrouves à jouer dans un gamelan ». Très jeune, il se familiarise au banjar, lieu communautaire unique à chaque quartier balinais qui accueillent les gamelans.
Selon Arya, le plus difficile pour ses étudiant.e.s montréalais.es est de s’adapter au rythme. « À Bali, le beat n’est pas divisable et puise davantage dans la mémoire que dans la lecture musicale ou l’étude des temps, indique-t-il. C’est donc normal que plusieurs étudiants soient perdus, car la dynamique est beaucoup plus libre que d’autres musiques. »
Notre conversation déambule entre les différents rites, les rôles de chacun des instruments et la transe associée au gamelan.
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Alors que je demande quel impact a eu le tourisme de masse sur la culture balinaise, mon interlocuteur s’esclaffe, gêné, en disant que c’est un enjeu trop politique. Il m’apprend que tout près de la luxueuse vie hôtel-yoga-plage, la culture balinaise rayonne de santé et demeure très ouverte aux touristes curieux et curieuses de rejoindre une cérémonie ou d’écouter du gamelan au banjar. De plus, Arya mentionne que cette musique traditionnelle est de plus en plus populaire grâce à l’effervescence des compétitions entre communautés. Des rivalités ayant généré une nouvelle génération extrêmement talentueuse, riche en virtuoses aux goûts prononcés pour la vitesse.
Une fois son mémoire remis, Arya envisage un retour à Bali pour partager ce qu’il a appris en sol nord-américain, lui qui voyage régulièrement aux États-Unis pour assister à différents colloques sur le sujet. « Je suis privilégié de pouvoir étudier à l’extérieur du pays. De partager une passion de ma culture. Mais c’est une opportunité qui n’est pas possible pour beaucoup d’Indonésiens, alors c’est mon devoir de revenir et de transmettre ce que j’ai appris ici », conclut-il avec sagesse. Nos cafés sont depuis longtemps terminés.
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Ne travaillant plus comme disquaire, je vous invite donc chaleureusement à découvrir ce son majestueux ayant traversé 15 000 kilomètres. Le 34e spectacle annuel du Giri Kedaton a lieu ce samedi 30 avril, à la salle Claude-Champagne. C’est gratuit et la tempête commence à 19 h 30; attachez votre ceinture.