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Le front uni, ou la grotte et le feu

Par
Jean-Martin Aussant
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Vous est-il déjà arrivé d’être de bonne foi dans une discussion quelconque et, bizarrement, d’en payer le prix ? D’être ouvert pour ensuite vous faire reprocher à mots couverts d’avoir fait achopper ladite discussion ? Moi oui, et ça met son homme en ta.

Petite parenthèse sur les événements récents :

Depuis les élections du 4 septembre dernier, plusieurs commenteux ont reproché à de jeunes partis (Option nationale et Québec solidaire) d’avoir fait perdre « sa » majorité à un moins jeune parti (le Parti québécois). Comme si le pouvoir avait dû échoir par défaut au PQ puisqu’on a accepté au Québec un vieux système détestable qui favorise l’existence de seulement deux partis. Selon ce système, après 9 longues années pelquistes (adjectif pour PLQ), c’était inévitablement au PQ de venir nous dire que tout ira mieux. Jusqu’à ce que le PLQ puisse à nouveau nous dire que tout ira mieux sans le PQ dans quelques années, lorsqu’on sera un peu las du PQ. Toute personne voulant s’impliquer en politique devrait donc nécessairement entrer dans l’une ou l’autre de deux églises, celle du PLQ ou celle du PQ, qui se partagent le pouvoir sans interruption depuis plus de 42 ans et qui veulent bien que ça continue.

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Surtout, ne pas diviser le vote ! Diviser le vote, c’est mal. Vouloir voter pour ce qu’on aime, c’est mal. Il fallait se contenter de voter pour ce qu’on pensait être moins mauvais (PQ) que ce qu’on détestait (PLQ). Notre système ne prévoit depuis toujours que deux partis dans le décor et ne vous avisez pas de venir « voler » des votes à l’un ou l’autre de ces partis avec vos lubies de nouveaux véhicules.

C’est ce qu’on appelle du conservatisme crasse. Ce système ne pourra plus durer dans un paysage politique qui se diversifie et qui s’enrichit de la voix de plusieurs partis. Cinq formations politiques ont présenté des candidats dans pratiquement tous les comtés lors du dernier scrutin. Quatre ont réussi à en faire élire quelques-uns ou plusieurs. Et la cinquième se reprendra, n’ayez crainte.

À l’approche des élections du 4 septembre, notre détestable système faisait en sorte que le PLQ avait une chance de se faufiler au pouvoir à nouveau à cause de la diversité de choix qui existait sur les bulletins. D’ailleurs, l’existence de l’adéquo-CAQ a sans doute coûté le pouvoir au PLQ. Autre division du vote. Mais ce concept de division du vote ne devrait pas exister dans une démocratie qui mérite ce nom. Différents partis mènent à la clarification du vote, pas à sa division. Différents partis augmentent aussi le taux de participation, alors que bien des gens voient enfin une option hors-duopole qui les incite à se prononcer.

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Face à la menace pelquiste (j’insiste, les membres du PLQ sont des pelquistes si les membres du PQ sont des péquistes), le réflexe conservateur était de dire qu’il fallait tous rentrer au bercail dans l’autre parti d’alternance, soit le PQ. Il n’était pas question de remettre en cause le détestable système lui-même, bien qu’il nous incitera dorénavant à chaque élection à voter stratégique. Heureusement, nous ne sommes pas tous conservateurs et opposés à une certaine évolution, sinon nous serions encore dans des grottes à tenter de faire du feu. Remarquez, j’imagine que les conservateurs de l’époque voyaient d’un mauvais œil cette nouvelle technologie follement progressiste.

Selon plusieurs, dont je suis, la meilleure solution est d’insérer une composante de proportionnalité dans notre mode de scrutin, pour qu’enfin les gens puissent voter pour l’option qui les représente le mieux. Pour qu’enfin on cesse de parler de division du vote ou de vote stratégique. J’espère au passage que le ministre Drainville saura faire cheminer cette nécessaire évolution au sein de son caucus et de sa direction plutôt conservatrice à cet égard. En effet, le PQ nouvelle mouture a retiré cet élément de sa plateforme alors qu’il y avait longtemps figuré. Sacré attrait du pouvoir, ce que ça vous transforme des idéaux. D’ailleurs, avant d’être en politique, j’ai longtemps cru à tort que ce qui attirait le plus un homme dans la vie, c’était une femme (et vice versa). Maintenant, je sais que c’est une limousine.

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Tout ça pour dire qu’entre le conservatisme qui veut faire perdurer un système inique et ceux qui veulent ajouter de la proportionnalité au mode de scrutin, une autre solution temporaire existait pour éviter ce que de nombreux Québécois craignaient, à savoir que le PLQ, usé par le pouvoir et ses mauvais réflexes, ne soit réélu pour une quatrième fois consécutive. C’était l’option d’un front uni ponctuel.

Un tel front uni aurait permis de faire en sorte que plusieurs comtés ne soient pas remportés par le PLQ ou la CAQ face au PQ, QS ou ON. Qu’on me comprenne bien, ces trois derniers partis ont le droit d’exister et leurs plateformes sont suffisamment différentes pour justifier leur existence distincte. Mais comme notre système électoral lui-même empêche cette réalité de s’exprimer, on aurait pu faire usage d’un peu d’imagination pour contourner ses plus grandes faiblesses.

Je vous épargne toutes les mécaniques possibles de la chose, mais le résultat probable d’un tel front uni, si les formations impliquées en avaient toutes voulu, aurait été un gouvernement majoritaire du PQ et l’élection de quelques députés de QS et d’ON. Ce gouvernement aurait eu certaines obligations face au front uni, dont celle de revoir le mode de scrutin pour que jamais plus nous n’ayons justement à faire de front uni pour combler des lacunes évidentes. Et ces lacunes seront de plus en plus évidentes puisque les alternatives continueront d’être de plus en plus nombreuses. Le temps des deux églises est terminé, et c’est tant mieux. Vivement un système électoral laïc.

Mais pourquoi ce front uni n’a-t-il pas fonctionné, me direz-vous ?

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Parce que certains ont manqué de front, ayant peur de devoir expliquer cette chose inusitée à leurs membres. Or, pas de front, pas de front uni.

Parce que certains ont faussement cru n’avoir besoin de personne. Perception dinosaurienne oblige, on ne peut se « rabaisser » à parler aux autres, quel signe de faiblesse ce serait !

Parce que certains ne voulaient pas des conditions de base qui venaient avec le front uni, incluant entre autres l’ajout d’une composante de proportionnalité au mode de scrutin. La grotte et le feu sont forts dans le cœur de l’homme qui a peur du changement.

Mais aussi, parce que certains ont dit ne pas avoir assez de temps. Ce qui nous ramène ultimement au manque de front, mais qui nous permet aussi de nous demander ce qu’il adviendra du prochain rendez-vous électoral.

Si la volonté y est cette fois-ci, du temps nous avons. Et avis à ceux qui auraient tendance à penser à nouveau n’avoir besoin de personne : les diverses alternatives ne s’affaiblissent pas, elles se renforcent et se structurent. Vous pouvez vous enfermer dans vos grottes et y faire du feu, nous irons vous chercher quand l’hiver sera fini.

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