L’engagement des femmes et des personnes queer dans la lutte climatique, qu’est-ce que ça change ? C’est quoi ça, la pétro-masculinité ? En cette Journée internationale des droits des femmes, et dans le cadre de sa campagne Climat de Justice visant à mettre fin aux inégalités des émissions de carbone, l’organisation Oxfam-Québec propose de réfléchir sur ces questions à travers les témoignages personnels de Caroline Brouillette, analyste des politiques pour les campagnes du Réseau Action Climat (Climate action network Canada CAN-Rac) et Laura Doyle-Péan, activiste au sein du groupe Divest McGill et artiste membre du collectif queer & féministe Les Allumeuses.
Caroline
Face aux impacts, sociaux, économiques et culturels des changements climatiques, on entend souvent que l’humanité est dans le même bateau. C’est une belle métaphore, mais je ne crois pas qu’elle tienne la route. Nous faisons plutôt face à la même tempête, car cette crise ne nous affecte pas tous également.
Malgré les iniquités auxquelles elles font face, malgré le fait qu’elles sont souvent absentes de la table des décisions, le leadership climatique des femmes est une véritable force indubitable, qu’il est impossible d’ignorer.
80% des personnes qui sont déjà forcées de se déplacer à cause des impacts des changements climatiques sont des femmes. Comme ce sont souvent elles qui fournissent à leur famille soins et nourriture, face à la diminution de la productivité des cultures agricoles, des sécheresses menant à des pénuries d’eau et l’augmentation du niveau de la mer, elles sont encore plus vulnérables.
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En même temps, les femmes sont des leaders au sein de leurs familles, communautés, villes et communautés dans la lutte à la crise climatique. Malgré les iniquités auxquelles elles font face, malgré le fait qu’elles sont souvent absentes de la table des décisions (le Conseil de la fédération ressemble d’ailleurs plus à un boy’s club qu’à la société canadienne) le leadership climatique des femmes est une véritable force indubitable, qu’il est impossible d’ignorer.
D’ailleurs, il a été souvent démontré que les femmes sont de meilleures leaders en temps de crise – incluant pendant la crise de la COVID-19 – ce qui est fort à propos pour la plus grande crise à laquelle l’humanité n’a jamais été confrontée. La participation des femmes a aussi une influence considérable sur la diplomatie climatique, augmentant la capacité des États à s’entendre dans les négociations internationales. À l’échelle domestique, la représentation féminine dans leur législature conduit les pays à adopter des politiques climatiques plus strictes, ce qui mène à des émissions de carbone plus basses.
L’Accord de Paris, cette quasi-universelle et importante entente de coopération internationale face à la crise climatique, reconnaît cette contribution des femmes et le fardeau inéquitable qu’elles portent.
Les femmes que je côtoie tirent l’action climatique vers le haut. J’ai l’immense privilège de considérer plusieurs d’entre elles des mentors, des co-conspiratrices, des amies. Avec le temps, je me sens privilégiée d’en apprendre plus sur le leadership féministe au sein des mouvement sociaux. Le rôle des femmes dans l’avancement des idées et causes progressistes est souvent réduit au silence dans l’Histoire, qui a plutôt tendance à célébrer les égos individuels masculins. Le milieu environnemental au Québec a aussi historiquement été majoritairement masculin et blanc. C’est en train de changer, et il reste beaucoup de travail à faire; l’équité ne s’arrête pas à la parité entre hommes blancs et femmes blanches.
Lutter pour la justice climatique, c’est lutter contre le fait que les femmes autochtones, noires et racisées sont exposées de façon disproportionnée aux impacts négatifs de la pollution sur la santé.
Le féminisme dont nous avons besoin pour faire face à la crise climatique est un féminisme intersectionnel. Dans les mots d’Angela Davis, « le féminisme insiste sur des méthodes de pensée et d’action qui nous forcent à penser à des choses ensemble qui apparaissent séparées ».
Lutter pour la justice climatique, c’est lutter contre le fait que les femmes autochtones, noires et racisées sont exposées de façon disproportionnée aux impacts négatifs de la pollution sur la santé. C’est aussi demander que la finance climatique internationale cible les femmes et les filles dans les pays du Sud, être solidaire avec les travailleuses essentielles immigrantes et à faible revenu dont le statut est précaire, et plaider pour que les métiers de soin soient rémunérés à leur juste valeur. C’est refuser, en gros, de choisir de qui on va prendre soin…
Face à la transformation de nos sociétés qui s’impose, je remarque un repli sur soi qui se pose sur les valeurs traditionnelles de domination autour de laquelle notre société est structurée. On peut penser à la pétro-masculinité, ce dangereux mélange entre masculinité toxique et une défense de l’économie fossile – l’ancienne Ministre canadienne d’Environnement et changements climatiques Canada Catherine McKenna, en plus des actes haineux dont elle a été victime, s’est fait affubler du surnom « Climate Barbie » par ses détracteurs. Dans un tout autre registre, des tech bros milliardaires comme Elon Musk et Jeff Bezos investissent des milliards dans la colonisation de l’espace, plutôt que de cesser de détruire la seule planète connue qui supporte la vie. Sans oublier le sexisme ordinaire des infatigables mansplainers et des reply guys sur Twitter.
En contraste, que propose l’approche féminine et féministe aux changements climatiques, par laquelle toustes, peu importe leur genre, peuvent se définir?
Si on lutte contre la crise climatique, c’est par amour. Pour la planète, pour le vivant, pour l’incroyable beauté du monde, mais aussi pour les humains qui l’habitent.
Elle confronte le problème les yeux, le cœur et les bras grands ouverts, laisse l’égo de côté, et refuse de simplifier cette crise aux ramifications multiples à un examen qui nierait ses causes profondes. Si on lutte contre la crise climatique, c’est par amour. Pour la planète, pour le vivant, pour l’incroyable beauté du monde, mais aussi pour les humains qui l’habitent. Pour nos familles et nos proches. Pour nos communautés et par compassion qui souffrent, peu importe leur distance et leur différence.
La crise climatique change tout. Il n’y a rien qui ne dépend pas d’une vie sur Terre florissante. La crise climatique n’est pas qu’une crise des systèmes naturels ; c’est une crise de santé publique, une crise économique, une crise sociale, une crise politique, une crise émotionnelle…
C’est pourquoi adresser cette crise en silos, en parlant de science et de moyens technologiques seulement, ne sera pas suffisant. Toute est dans toute.
En contraste avec l’individualisme et le pessimisme, une approche féministe puise sa force dans la solidarité. Pour tout changer, on a besoin de tout le monde.
Laura
Lorsque j’ai lu sur la crise climatique pour la première fois, c’est l’aspect humain qui m’a tout de suite interpellé.e.
En delà des conséquences futures de la crise, il y a toutes les personnes qui luttent depuis des siècles à préserver les écosystèmes.
Au départ, ça me semblait distant. Je pensais aux générations futures, à celle de mon jeune frère, dont on détruisait l’avenir, aux plus de 250 millions de réfugié.e.s climatiques qu’il y aura dans le monde en 2050. Néanmoins, j’ai bien vite compris qu’il s’agissait d’un enjeu actuel, dont je me dois de parler au présent. En delà des conséquences futures de la crise, qui risquent d’exacerber les inégalités socioéconomiques dans le monde, et qui vont nécessairement affecter de façon plus intense les populations les plus marginalisées, il y a toutes les personnes qui luttent depuis des siècles à préserver les écosystèmes, et qui souffrent déjà des attaques faites par les industries envers le territoire et les êtres qui l’habitent. Ces personnes, ce sont principalement des femmes et des personnes queer (comme moi), autochtones, noires, et/ou racisées.
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L’automne passé, étant bien conscient.e.s de cette réalité, Les Allumeuses, un collectif d’artistes féministes dont je fais partie, et moi, avons déposé un mémoire au Bureau des Audiences Publiques en Environnement (le BAPE) pour nous opposer au projet GNL Québec et réitérer l’importance des perspectives féministes intersectionnelles en environnement. Lorsque je parle du dépôt de notre mémoire à certaines personnes, j’ai parfois des réactions de surprise. « Pourquoi un groupe d’artistes féministes se sentirait-il concerné par un projet de gazoduc et d’exportation de gaz naturel (méthane) liquéfié? »
La première partie de notre mémoire, publiquement accessible sur le site du BAPE, explique pourquoi il était tout naturel pour nous de prendre position contre GNL QUÉBEC.
la libération des femmes ne pourra advenir tant et aussi longtemps que toutes les femmes ne seront pas libres et que tous les systèmes d’oppression n’auront pas été démantelés.
Nous prônons un féminisme intersectionnel et inclusif, et reconnaissons que le patriarcat est un système d’oppression parmi plusieurs autres, et que ces systèmes se recoupent et se renforcent mutuellement. […] Ainsi, la libération des femmes ne pourra advenir tant et aussi longtemps que toutes les femmes ne seront pas libres et que tous les systèmes d’oppression n’auront pas été démantelés. C’est pourquoi nous croyons à la nécessité de créer des alliances et des solidarités entre les différentes luttes pour la justice sociale. […] C’est dans cette optique que nous prenons position contre GNL QUEBEC.
Notre mémoire aborde trois sphères dans lesquelles le projet GNL QUÉBEC risque d’affecter certains groupes de femmes: à l’étape de la conception et de la consultation du projet, avec les impacts psychosociaux du projet sur les communautés visées par celui-ci et la charge émotionnelle qui reviendra aux femmes ; à l’étape de la construction, avec l’impact des camps de travail sur les femmes, les filles, les personnes bispirituelles et les personnes LGBTQQIA+ autochtones (l’arrivée d’un camp de travail dans une communauté étant liée à une augmentation des cas de violences contre les femmes, filles et personnes queer, et à l’épidémie d’assassinats et de disparitions de femmes autochtones); et à long-terme, avec les impacts genrés de la crise climatique à travers les monde, crise que le projet GNL QUÉBEC, s’il était approuvé, viendra exhacerber davantage.
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Je crois profondément que c’est en faisant preuve d’imagination que nous arriverons, ensemble, à vaincre la crise climatique, et je pense qu’il nous est impossible de penser la justice climatique sans penser la justice de genre si nous souhaitons démanteler les systèmes d’oppression qui sont à l’origine de la crise ainsi que ceux qu’elle alimente. Je rêve d’un monde où nous investissons collectivement pour la préservation et la célébration de la vie, de toutes les vies, au lieu de financer des systèmes et des entreprises qui la mettent en danger, et j’espère que vous vous joindrez à moi pour bâtir ce nouveau monde.
À propos DES AUTEURES
Caroline Brouillette est Analyste des politiques pour les campagnes domestiques et communautés francophones de Climate action network Canada (CAN-Rac), le seul réseau au pays qui rassemble des groupes syndicaux, de développement, confessionnels et autochtones avec les principales organisations environnementales nationales, provinciales et territoriales travaillant sur les changements climatiques. En 2018, Caroline a représenté la jeunesse canadienne au G7 de Charlevoix. Elle détient une maîtrise en politiques publiques, spécialisation en analyse économique de l’Université nationale de Singapour, où elle était boursière Li Ka Shing et a remporté le prix Lee Kuan Yew de la meilleure étudiante, et un B. Soc. Sc. en études internationales avec une mineure en droit de l’Université d’Ottawa.
Laura Doyle Péan a 21 ans. Ille étudie en droit à l’Université McGill, où ille milite depuis 2019 au sein du groupe Divest McGill, qui lutte pour que l’Université se désinvestisse du secteur des énergies fossiles et reconnaisse les graves torts sociaux causés par cette industrie. Laura est aussi un.e artiste professionnelle, et fait partie du collectif artistique queer & féministe Les Allumeuses. Les cinq membres du collectif cherchent à développer des pratiques de travail plus éthiques et non hiérarchiques dans le milieu culturel, ainsi qu’à faire avancer les luttes féministes intersectionnelles à travers leur art.