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Le féminisme – comme ça nous arrange

Par
Aurélie Lanctôt
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Il est intéressant de constater que la Charte des valeurs québécoises aura révélé, chez les membres du gouvernement Marois tout comme chez la proportion de la population en faveur de l’initiative, une étonnante ardeur féministe.

Au Québec, le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes serait très, très haut dans la hiérarchie de nos « valeurs ».

On peut l’affirmer étant donné que nos « valeurs » sont maintenant devenues une notion comptable et objective; un bloc monolithique et hiérarchique, grâce auquel on peut cibler, définir et classer nos priorités collectives. D’une efficacité redoutable!

L’égalité entre les hommes et les femmes sera donc une valeur québécoise suprême qu’on ne saurait aliéner sous aucun prétexte, et dont la perfectibilité justifie qu’on doive faire par ailleurs des compromis.

Remarquez, je ne peux que me réjouir qu’un gouvernement fasse du postulat fondamental du féminisme une de ses valeurs cardinales.

Mais non. Je ne me réjouis pas parce que les préceptes « féministes » qu’on brandit ici sont instrumentalisés à des fins politiques davantage qu’ils ne sont prônés pour eux-mêmes.

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La Charte des valeurs québécoises dit viser à évacuer les symboles religieux de la fonction publique, notamment parce qu’on considère que ceux-ci sont parfois en contradiction avec les « valeurs québécoises », dont l’égalité entre les hommes et les femmes.

Or, nommons d’entrée de jeu un des mastodontes qui trônent dans la pièce : l’« égalité homme-femme » que les péquistes et autres supporteurs de la Charte brandissent depuis peu cible en fait précisément les femmes musulmanes qui portent le voile.

Le voile islamique, selon eux, symboliserait « ostensiblement » et inextricablement l’oppression systémique des femmes, ce qu’on ne saurait accepter ou promouvoir au sein de l’appareil étatique.

Aussi, à les entendre, une femme qui choisit de porter le voile aurait nécessairement un agenda prosélyte caché. C’est évident. Comme l’a si bien résumé Louise Beaudoin au Téléjournal, avant hier : « Je ne crois pas que toutes les femmes voilées soient des intégristes, mais je sais que toutes les intégristes sont voilées. »

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« Faq, tsé » comme dirait l’autre. Vaut mieux pas prendre de chances !

Mais attention: l’idée, se défend le gouvernement, n’est pas de cibler les musulmanes en particulier. Allons donc, « jamais ». On les aime, « eux autres aussi ». Il s’agirait simplement d’un souci de progresser dans la quête vers l’égalité des sexes.

Après tout, c’est vrai qu’il ne faut pas lésiner sur la puissance des symboles. Pourtant, il m’apparaît qu’au Québec, les symboles d’inégalités entre les hommes et les femmes n’ont pas besoin de l’Islam ni d’aucune religion pour exister et persister. Au sein de nos belles institutions comme en dehors. N’en déplaise au gouvernement, et aux citoyens échaudés sur les lignes ouvertes.

La plupart des relents patriarcaux qui envahissent encore la société civile sont en effet essentiellement symboliques. Mais ils sont aussi laïques. Le sexisme ordinaire, certainement plus « menaçant » pour l’égalité des sexes que l’employée de la RAMQ qui porte son hidjab au travail, n’est rien si ce n’est que le fruit de représentations genrées profondément inégalitaires, qu’on traine comme une vilaine plaie qu’on néglige de soigner.

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Pourtant, je n’ai pas encore vu de campagne gouvernementale pour sensibiliser les gens à cet effet.

Où est passé tout ce zèle quand vient le temps de dénoncer les publicités sexistes, l’hypersexualisation et l’objectification systématique des femmes dans la culture de masse? Et après tout, qu’est-ce que l’iniquité salariale, sinon le vestige symbolique de décennies de dévalorisation du travail des femmes, en regard de celui des hommes?

Parlant de symboles d’inégalité…

Certes, le gouvernement n’a d’incidence directe sur la perpétuation de ces symboles et schèmes de représentation qu’au sein de ses institutions. Il n’en demeure pas moins que son ardeur actuelle serait plus crédible si on la retrouvait aussi ailleurs dans son discours.

Mais que voulez-vous. Les coutumes religieuses, visiblement, font l’objet d’une susceptibilité particulière. Principalement si elles s’inscrivent en dehors du cadre patrimonial de la majorité catholique, blanche et francophone.

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C’est le dogme, qui dérange? C’est vrai. Ça dérange, les dogmes. Ça m’agace aussi. Mais à ce jour, je vois surtout du dogmatisme dans l’obsession de la laïcité. Dans l’empressement que nous avons à dissimuler pour s’épargner l’effort de comprendre.

Et si haut brandira-t-on nos « grands principes », à la fin de la journée, on se retrouvera tout de même à adresser à l’éducatrice voilée dans son CPE le message suivant : « Ton voile, il me dérange. Je ne veux pas de cette altérité. Et si cette altérité fait partie de toi, je ne veux pas de toi. »

Et, arguera-t-on, cette intolérance se justifie parce qu’elle s’inscrit dans le giron du « bien commun ». Mais le bien de qui, au juste?

On aura beau crier aux idéaux démocratiques, on se vautre présentement surtout dans le féminisme partiel et partial, dans les droits fondamentaux à géométrie variable et dans les jugements de valeurs.

Or, on ne « construit pas le vivre-ensemble » en niant et en délégétimant des particularismes des minorités.

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Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti

PHOTO: Campagne publicitaire pour l’hôpital Lakeridge Health à Oshawa, en Ontario.