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Le faiseur : ce qu’Honoré de Balzac nous apprend sur nos finances personnelles

« Quand tu as des dettes, tu peux aller te cacher et attendre que ça passe. »

Par
Laïma A. Gérald
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Si je vous disais que Balzac avait beaucoup à nous apprendre en matière de finances personnelles, me croiriez-vous?

Dans sa pièce de théâtre Le faiseur, écrite en 1840, le dramaturge raconte l’histoire de Monsieur et Madame Mercadet, endetté.e.s à n’en plus savoir comment rassurer leurs créditeurs. Rusé et calculateur, le couple choisit de marier leur fille Julie à un jeune homme de la haute société.

Alors que les bailleurs de fonds s’impatientent, les domestiques sous-payé.e.s en profitent pour « se délecter des virements et revirements de situations qui font trembler la maison, disparaître la raison et entremêler l’amour et la corruption ».

Près de 200 ans après la création originale de Balzac, la jeune autrice dramatique Gabrielle Chapdelaine signe une adaptation toute contemporaine, dans laquelle se côtoient les références à Steve Jobs, au Tinder Swindler, au Colonel Chabert et au mode de vie décentralisé de James William Awad.

Nous lui avons parlé au lendemain de la première du spectacle.

Crédit photo : Charlie Marois
Crédit photo : Charlie Marois

En quoi le texte de Balzac résonne-t-il encore aujourd’hui?

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Dans la pièce originale, le personnage de Mercadet fait des fraudes, lance des rumeurs et crée une panique autour d’actions nébuleuses. Je lisais le texte et j’avais l’impression d’écouter Succession. Ça m’a tout de suite semblé contemporain.

D’ailleurs, Balzac ouvrait sa pièce avec un monologue sur la manière dont le couple se fait évincer de son logement, à cause d’un propriétaire. Je lisais ça en pleine crise du logement ici, à notre époque, et je trouvais ça criant d’actualité.

«Balzac aussi « couraillait » des madames riches»

Il y a aussi la question du mariage arrangé. Au début, je trouvais ça dépassé et je me demandais comment adapter cette intrigue aujourd’hui puis j’ai réalisé que c’est pratique courante chez les classes plus riches de se marier entre eux. Ça se voit à toutes les époques. Même Balzac « couraillait » des madames riches!

Crédit photo: David Ospina
Crédit photo: David Ospina
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Dans ta version, tu abordes la finance de façon assez précise. Les personnages parlent de CELI, du cours de la bourse, de faire fructifier leur cash. As-tu fait beaucoup de recherches ou es-tu une pro des finances personnelles?

«J’ai fait des recherches sur les bitcoins, les crypto dudes et les NFT»

Je ne suis pas une pro, mais ça m’a toujours intéressé. L’argent est tellement au centre de nos vies. Les moments où j’ai été le plus désespérée, c’est quand je ne savais pas comment j’allais payer mon loyer. Le manque de sous, ça provoque un sentiment de panique très spécifique, je trouve. C’est fou que l’argent crée des émotions aussi puissantes chez les gens, alors qu’il s’agit d’une construction.

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L’argent est un système que les humains ont mis en place et nous en sommes tous dépendants, alors que ça bénéficie à une petite poignée de personnes. On a l’impression qu’on peut tous tirer notre épingle du jeu, être des transfuges de classes, mais on s’entend que c’est peu probable. C’est cette illusion qui m’intéresse.

J’ai également fait des recherches sur les bitcoins, les crypto dudes et les NFT, pour être capable de bien vulgariser les concepts dans la pièce.

Crédit photo: David Ospina
Crédit photo: David Ospina

Ces temps-ci, je remarque qu’il y a beaucoup de contenus culturels qui critiquent les ultra-riches. Je pense à Succession, Triangle of Sadness, The White Lotus, Avant le crash, The menu et j’en passe. As-tu l’impression que ta pièce s’inscrit dans cette tendance?

«Ça fait du bien de rire des ultra-riches»

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Oui. Je trouve que ça fait du bien de rire des ultra-riches. J’utilise beaucoup l’humour comme critique sociale et je trouve qu’il y a quelque chose de jouissif à se moquer de ces gens-là. Ils sont intouchables, mais en même temps, si on était à leur place, on ne serait peut-être pas mieux.

Dans ma pièce, le personnage de Julie, la fille des Mercadet, arrête pas de dire « Fuck être riche, j’haïs ma vie! », mais elle ne rend pas compte de l’ampleur de ses angles morts. Et ça, ultra-riche ou non, ça peut concerner tout le monde à un moment ou à un autre. J’adore décortiquer ça.

Crédit photo: David Ospina
Crédit photo: David Ospina
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Selon toi, qu’est-ce que Balzac a à nous apprendre en matière de finances personnelles?

«Il n’y a pas de honte à demander de l’argent à du monde et ne jamais leur rembourser.»

Premièrement, quand tu as des dettes, tu peux aller te cacher et attendre que ça passe. Balzac lui-même faisait ça. Même qu’une fois, pour pouvoir le voir, il fallait donner un mot de passe à une madame. J’ai appris ça au fil de mes recherches.

Ensuite, essayer de se marier avec quelqu’un de plus riche de nous, je pense que c’est un bon truc.

Finalement, comme nous le démontre le personnage de Mercadet, il n’y a pas de honte à demander de l’argent à du monde et ne jamais leur rembourser. Pour citer Balzac : « Un homme qui ne doit rien, personne ne pense à lui, tandis que moi, tout le monde pense à moi. » Devoir de l’argent, ça te fait exister. C’est tordu, mais c’est brillant… (rires)

Crédit photo: David Ospina
Crédit photo: David Ospina
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Ça me fait penser à une réplique de Marcadet que j’ai adoré : « Et si vous mourez demain? Vous vous direz : au moins, ma carte de crédit était à zéro? »

Oui! C’est un arnaqueur sans scrupules mais il tient quelque chose, non?

Balzac voyait l’argent et la vie comme un jeu. À voir ce que l’on veut tirer de ça!

Le faiseur
Présenté jusqu’au 18 février 2023
Au Théâtre Denise-Pelletier