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Le droit de tout dire

Par
Éric Samson
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Je ne voulais pas parler du soi-disant webjeu. Je ne voulais pas consacrer d’espace de chronique à ces autoproclamées vedettes-de-l’internet. Je me l’étais juré.

Mais quand j’ai vu cette nouvelle hier matin, tout de suite, les fils se sont touchés. (Résumé de l’histoire: un « jeune retraité » se fait aborder par une mendiante à l’entrée d’une SAQ d’Ahuntsic; mécontent, il écrit une lettre au siège social où il déplore que “la dernière SAQ en ville où je pouvais m’en sortir sans me faire écoeurer par un robineux qui quête vient de capituler” et où il propose des “solutions” pour se débarrasser des “quêteux du bas de la ville [qui viennent] à Ahuntsic”, comme “brûler tout ça au lance-flammes ou napalm”, “ramasser tous ces microbes ambulants au camion-benne à vidanges et les brûler à l’incinérateur Des Carrières”, ou plus simplement, “une balle dans la nuque”. Le gentil monsieur a été condamné à verser 8 000$ (à la mendiante en question.)

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Ça m’a tout de suite rappelé la fois où l’ineffable Matthieu Bonin s’était fait arrêter par la SQ à cause de propos « humoristiques » tenus sur YouTube où il a, semble-t-il, dépassé les bornes. Relâché, il n’a pas eu à subir d’autres conséquences que d’arrêter de publier des vidéos pendant quelques mois.

Ça m’a aussi rappelé la saga de David Dulac, cet étudiant en arts de Québec qui a été emprisonné alors que ses profs ont été inquiétés par la teneur de son projet artistique de fin de session. Maintenant libéré, sa carrière universitaire est sérieusement compromise.

Ça m’a rappelé toutes ces fois où un animateur de Radio-X a dérapé. Ça m’a rappelé quand Alex Perron a dit qu’il avait foncé dans une manif avec sa voiture. Ça m’a rappelé toutes les autres fois où quelqu’un, dans les médias traditionnels ou crémeux sociaux, a dit quelque chose dans le genre.

Dans tous les cas, il s’agissait, somme toute, de menaces de mort. Alors que le vlogueur disait souhaiter que quelqu’un débarque à l’Assemblée Nationale avec une carabine, l’aspirant artiste « disait vouloir kidnapper des enfants pour ensuite les battre sur une scène », l’humoriste/animateur a menacé un carré rouge de rouler dessus avec son camion, etc.

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Dans tous les cas, les conséquences n’ont absolument rien à voir entre elles. Dédommagement monétaire, ordre de “ne pas troubler la paix”, emprisonnement, blâme du conseil de presse, ou, parfois, sweet fuck all.

C’est qu’il semble y avoir un nombre infini de poids et de mesures, en ce qui concerne les propos, disons, controversés. Ce constat n’est pas que québécois : aux États-Unis, un adolescent est emprisonné depuis le 27 mars parce qu’il a tenu des propos jugés inquiétants pendant une partie de League of Legends alors qu’un policier de Washington, DC attitré à la garde personnelle du Président qui a dit sur Facebook qu’il voulait assassiner Michelle Obama, lui, n’a écopé que de 40 jours de suspension sans solde.

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La réalité, c’est que plusieurs des reproches faites aux animateurs de « radio-poubelle » s’appliquent aussi aux vlogueurs et blogueurs qui parlent de « web-jeu », mais qu’on pourrait, par moments, tout aussi aisément baptiser « web-poubelle ».

Là, vous voyez la conclusion venir : on devrait retirer leur micro à ces ignares du FM, comme on devrait retirer leur clavier à ces créateurs de vulgarités sur WordPress.

Vous avez tort.

Je serais terriblement hypocrite si je dénonçais la démocratisation des moyens de publication depuis l’arrivée d’Internet. Après tout, je ne suis, moi aussi, qu’un dude, et sans les réseaux sociaux et tout ce qu’ils apportent, je n’aurais jamais eu mon show à CISM, ni aucune de mes jobs depuis 2009. Le fait que n’importe quel bozo, moi y compris, puisse publier n’importe quoi, n’importe quand, c’est universellement une bonne nouvelle. Et je suis, foncièrement, contre toute forme de censure; que ce soit dans le cas d’un Rémy Couture, d’un David Dulac ou d’un Matthieu Bonin, je n’ai pas envie que la police se mêle de ce qu’on peut dire, écrire, ou créer.

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Faudra juste, un moment donné, qu’on se décide à utiliser ces formidables moyens comme du monde. Et je ne suis pas en train de dire qu’en bas de 750 mots (et une moyenne de 3,5 syllabes par mot), rien ne vaut la peine d’être publié. Je ne suis pas aussi élitiste.

Je pense qu’il faudrait développer un concept apparenté à celui du « développement durable ». L’expression responsable, mettons.

Se dire que ce n’est pas parce qu’on a trente mille followers qu’on est automatiquement obligé de parler au plus imbécile de la gang. Se dire qu’on devrait au moins être un peu responsable. Personne n’est obligé d’élever le débat à des altitudes intellectuelles stratosphériques, là. Mais je me demande pourquoi il faudrait, comme l’a dit Bonin dans son stream de mardi passé, être fier de ne produire que des « tabarnak » plutôt que des « textes intelligents qu’il y a 2 personnes qui lisent ». Il y a certainement un juste milieu. C’est du gaspillage de talent, du gaspillage d’audience, et du gaspillage de pas mal tout, en fait.

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Je citerai Véronique Robert qui, parlant de l’affaire Bonin-SQ dans son blogue sur le Voir (un blogue essentiel, d’ailleurs) en disait : “Maladroit. Inapproprié. Débile si on veut. [Mais] criminel?”

Pas du tout. Seulement, vachement irresponsable.

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