Qui a dit que la bromance ne concernait que les gars ? La scénariste et réalisatrice Sarah Pellerin a donné vie à des personnages masculins non stéréotypés et à des amitiés complexes en signant des œuvres comme la websérie Georges est mort et le court métrage Mon boy. Sa fascination pour la bromance dans la culture populaire l’a même poussée à rédiger un mémoire de maîtrise sur le sujet. Entretien où « amitié » rime avec « ambiguïté ».
Fanny : J’avoue avoir toujours imaginé la bromance comme une simple amitié entre hommes, mais j’ai constaté, en lisant ton mémoire, que c’était beaucoup plus complexe que ça. Peux-tu nous expliquer ce que c’est, exactement ?
Sarah : Ce terme, popularisé au début des années 2000 au cinéma et sur Internet, décrit une amitié entre hommes qui exclut toute relation sexuelle. Qualifier une amitié de bromance « permet » à certains hommes de témoigner à leurs amis gars des signes d’affection et des déclarations d’amour, tout en attestant qu’il ne s’agit pas d’une relation homosexuelle.
Comme si affirmer son amitié, son amour entre amis de sexe masculin pouvait révéler quelque chose de « louche » ; pouvait cacher une tension sexuelle…
F. : Comment se manifeste une bromance ? Est-ce qu’il y en a une qui t’a particulièrement marquée ?
S. : À travers ces relations de bromance, cette volonté de réitérer son hétérosexualité peut s’exprimer de différentes manières — par exemple avec des commentaires sexistes qui rappellent le rapport de loyauté entre hommes tout en rappelant l’attirance et les liens sexuels aux femmes, comme « bros before hoes » [les potes avant les femmes].
Encore dans l’objectif de certains hommes de rappeler leur hétérosexualité dans une amitié, une des pratiques assez fascinantes est le « gay chicken ». Il s’agit d’une tendance, apparue il y a quelques années, qui consiste à publier des vidéos sur YouTube ou sur les réseaux sociaux dans lesquelles des hommes se touchent ou s’embrassent en ne démontrant aucun signe d’excitation. En restant stoïques, ces hommes qui « gagnent » prouvent à quel point leur hétérosexualité est inébranlable. L’idée est que les hommes « les plus hétéros » ne devraient pas être affectés par un baiser ou par une proximité physique avec un autre homme. C’est assez contradictoire d’aller jusqu’aux frontières d’un acte sexuel avec quelqu’un du même sexe pour se dissocier de l’homosexualité !
F. : Mais au-delà de cet extrême, pourrait-on dire que la bromance de base (deux amis qui se donnent de l’amour, genre) contribue à déconstruire certains stéréotypes liés à la masculinité ? La bromance ne permettrait-elle pas de proposer de nouveaux modèles d’amitiés masculines ?
S. : Oui, clairement. C’est ce qui fait que la bromance à proprement parler n’est pas un phénomène social à condamner. Le problème, à mon avis, réside plutôt dans les justifications de ces signes d’affection encore trop ancrées dans une pensée hétéronormative. Le terme « womance » existe aussi, mais puisque la sensibilité et l’émotivité sont généralement des traits de caractère liés à la féminité, ce mot qu’on utilise pour décrire les amitiés entre femmes circule considérablement moins.
L’autre aspect problématique, selon moi, dans la construction de l’imaginaire entourant les bromances, c’est aussi son caractère sexiste. Une bromance repose sur l’exclusion des femmes et véhicule la conception que, chez certains hommes, une amitié « ultime » ne peut avoir lieu qu’avec un chum de gars. Comme si l’amitié gars-fille ne valait pas la même chose, ne l’égalait pas.
Personnellement, je suis allergique aux « soirées de gars » et aux « soirées de filles ». Ça témoigne d’une incapacité, encore aujourd’hui, à penser l’amitié, quel que soit le sexe de la personne.