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Le directeur de la banque de cerveaux de Montréal m’a fait pleurer
Il y a quelques jours, ma collègue Barbara, qui est un peu la reine des fun facts et des informations insolites, arrive au bureau en disant: « Avez-vous déjà entendu parler de ça, la banque de cerveaux de Montréal? ».
Un peu incrédule, je prends spontanément sa question comme une mission: découvrir en quoi ça consiste, une banque de cerveaux. Dans mon esprit, c’est une salle un peu glauque avec des bocaux de formol contenant des yeux, des petits animaux, des végétaux weirds et bien sûr, des cerveaux. Mais bon, je me dis que je suis quand même journaliste et que je ne peux certainement pas m’arrêter là. Et qui de mieux que le Dr Naguib Mechawar, directeur de la banque et professeur au Département de psychiatrie de l’Université McGill, pour m’éclairer.
Incursion dans un lieu de la plus haute importance.
Je pensais que ça allait être vraiment compliqué d’obtenir une entrevue, mais j’ai à peine eu le temps d’appuyer sur « envoyer » que Dr Mechawar avait déjà répondu à mon courriel en me proposant un rendez-vous téléphonique. Je suis un peu intimidée (c’est quand même un brain! Sorry, fallait que je la fasse!), mais je me convaincs qu’il n’y a pas de question niaiseuse. Je lui demande donc d’entrée de jeu: « C’est quoi une banque de cerveaux? »
Avec ses 3 000 cerveaux humains, le laboratoire se compare fièrement à la banque de cerveaux de Harvard.
Dr Mechawar, armé de la patience qu’il faut pour parler à une néophyte dont les cours de biologie ne sont qu’un lointain souvenir, m’apprend d’abord que la banque de cerveaux de Montréal, qui se trouve à l’Hôpital Douglas à Verdun et qui existe depuis 40 ans, est l’une des plus importantes au monde. Avec ses 3 000 cerveaux humains, le laboratoire se compare fièrement à la banque de cerveaux de Harvard. Rien que ça!
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Crédit: Ray Barillaro
À quoi ça sert, une banque de cerveaux?
Comme son nom l’indique sans trop de mystère, une banque de cerveaux est un laboratoire où l’on entrepose des cerveaux humains pour en faire l’étude. Okay, mais c’est les cerveaux de qui? Dr Mechawar m’explique que par le passé, le laboratoire fonctionnait avec des dons universels, c’est-à-dire que n’importe qui pouvait donner son cerveau à la science (après sa mort, on s’entend), un peu comme on le fait avec le don d’organes. Mais depuis environ 6 ans, on propose un nouveau système: « Les dons de cerveau à la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada sont actuellement limités à ceux des participant.e.s à des études de cohorte longitudinale, donc à des gens qui sont suivis sur une période plus longue, de leur vivant. Ce faisant, ça nous permet de recevoir des cerveaux de gens qui avaient des diagnostics de maladies neurodégénératives, comme l’Alzheimer, le Parkinston ou la sclérose latérale amyotrophique (SLA) – (NDLR; la maladie du Ice bucket challenge, remember?), ou encore de démences. Bien sûr, les gens ont donné leur consentement pour offrir leur cerveau à la science. Et ce qui est bien avec ça, c’est que ça nous permet de faire des études sur des cas plus spécifiques et de faire avancer la recherche de façon beaucoup plus précise. »
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Crédit: Ray Barillaro
Mais ce n’est pas tout ce que Dr Mechawar m’explique: « Nous avons désormais une entente avec le bureau du coroner. Ça nous permet, dans des cas de suicide, par exemple, de pouvoir obtenir les cerveaux de ces personnes, avec le consentement de la famille après le décès. Ainsi, on peut réaliser des études sur des cerveaux de gens ayant vécu avec des problèmes de santé mentale, psychologique, psychiatrique, ou encore, ayant vécu de la violence infantile. Et ça, c’est extrêmement précieux pour la recherche, et nous en sommes très fiers. » En entendant ça, ça sort tout seul, je m’entends féliciter le fascinant neurobiologiste, dont je perçois de plus en plus l’impact sur son milieu.
Un cerveau dans une valise
«Quand on reçoit un cerveau au labo, on sépare les deux hémisphères. Le premier est conservé dans du formol, comme on voit dans les films. Le second est tranché en fines lamelles, qui seront ensuite congelées.»
Mais… si la banque de cerveaux de Montréal est réputée dans le monde entier, et que les scientifiques de la planète peuvent s’y référer, est-ce que ce sont eux.elles qui se déplacent pour faire leurs analyses? Dr Mechawar me dit que bien que certain.e.s chercheur.euse.s et stagiaires du monde entier passent parfois au labo, ce sont les cerveaux, ou plutôt les parties de cerveaux, qui voyagent. J’imagine spontanément un bocal de formol avec un cerveau dedans dans une valise, mais je me dis que ça ne doit pas être ça. Dr Mechawar renchérit: « Il faut d’abord savoir que quand on reçoit un cerveau au labo (le plus rapidement possible après le décès), on sépare les deux hémisphères. Le premier hémisphère est conservé dans du formol, comme on voit dans les films, pour fixer les tissus. Le second est tranché en fines lamelles, qui seront ensuite congelées à -80 degrés Celsius. On les utilise lorsque nous avons besoin de tissus frais pour certaines analyses. Et donc, pour répondre à la question: quand un.e chercheur.euse d’ailleurs dans le monde nous formule une requête et que son protocole de recherche est approuvé, on peut lui faire parvenir des échantillons de telle ou telle partie du cerveau, selon l’étude en cours. ». Bon, c’est sûr que je résume, mais reste que je trouve ça fou de m’imaginer les cellules cérébrales d’un humain qui a existé, en train de voyager à travers le monde.
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Allez hop! Au congélo.
La fois où j’ai eu les larmes aux yeux en parlant à un neurobiologiste
Après une bonne demi-heure de discussion, à essayer d’assimiler des concepts neurobiologiques complexes, pourtant brillamment vulgarisés par le scientifique au bout du fil, une question me taraude: « Dr Mechawar, il y a une chose que j’ai envie de vous demander: pourquoi vous faites ça dans la vie? Je veux dire, parmi tout ce que vous pourriez faire, pourquoi êtes-vous un neurobiologiste qui analyse des cerveaux humains? ». Silence dans le combiné. « Pour la beauté, qu’il me lance le plus simplement du monde. Ce qui m’a amené à m’intéresser à la neuroscience, c’est sa dimension esthétique. » À mon tour de plonger dans le silence. Il poursuit, bien conscient de la singularité de sa réponse: « J’ai été attiré par la beauté des cellules cérébrales, leur agencement, leur organisation. Ce sont des milliards de cellules de différents types qui sont connectées, qui s’influencent entre elles et qui sont à la base de qui nous sommes. Je me souviens des premières fois que j’ai vu les microdétails des cellules à travers un microscope électronique… ça m’a fasciné, ému même. J’ai toujours trouvé cette mosaïque cérébrale attirante et touchante. » L’émotion dans la voix de Dr Mechawar me transperce, moi qui ai toujours eu tendance à percevoir la science comme quelque chose d’un peu froid, où la sensibilité n’a pas de place. Cette conversation me fait mentir: j’ai les larmes aux yeux.
Et si une banque de cerveaux était un endroit pas mal plus poétique qu’on ne le pense…
Il a raison, tout ça est parfaitement fascinant. « Le cerveau, c’est qui nous sommes. Et ça demeure mystérieux. Aujourd’hui, on a accès à une neuro-imagerie qui nous permet de voir à travers la boîte crânienne, de mesurer la taille de différentes régions cérébrales, de voir même leur activité. On parle même d’intelligence artificielle. Mais, même en tant que neurobiologiste, ça demeure un organe très, très mystérieux, et qui comporte encore des zones d’ombres immenses. On s’interroge toutes et tous sur ce qui fait que les innombrables cellules qu’on a entre les deux oreilles fonctionnent et nous permettent d’être consient.e, d’être qui nous sommes, dans notre personnalité, dans notre conscience, dans la complexité de nos interactions humains. Et même moi qui travaille au milieu de tous ces cerveaux, je ne tiens jamais rien pour acquis. Donc qu’est-ce qui fascine les gens ? Un peu comme c’est le cas pour l’infiniment grand, le cosmos, l’origine de l’univers, une banque de cerveaux humains représente l’immensité de la vie et inscrit le vécu humain. ».
Il y a 30 minutes, je percevais la banque de cerveaux comme un endroit glauque, il y a 15 minutes, comme un laboratoire à l’ambiance glaciale et maintenant, comme un concentré de beauté, de mystère et d’espoir en l’humanité!