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Le dernier tour de piste de Véronique Hivon
Couvrir la campagne électorale hors des sentiers battus, c’est la noble mission que nous allons relever pour les prochaines semaines à bord d’un VR vintage loué pour l’occasion.
Flanqué de mes copilotes Carmen et Jean-Pierre, je m’efforcerai de raconter des histoires à une bonne distanciation sociale des points de presse soporifiques et habituelles promesses électorales.
Et même si un nouveau couronnement de la CAQ semble aussi écrit dans le ciel que celui du roi Charles III, l’idée est également d’aller à la rencontre des gens et de les entendre sur des enjeux qui les passionnent, peu importe leurs allégeances.
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Long de 24 pieds, notre VR contient toilette, douche, cuisinette tout équipée, une petite table de travail et deux lits. J’en partage d’ailleurs un avec mon hirsute collègue Jean-Pierre, avec qui j’ai soudainement plus de promiscuité qu’avec ma tendre épouse.
L’appel de la démocratie justifie bien des sacrifices.
Aucun.e de nous ne connait la vie de VR, c’est pourquoi les technicalités propres à son usage (conduite, sanitaires à vider, confort relatif, mode autonomie ou avec service, etc.) risquent d’être périlleuses et de rehausser le défi d’un cran. Surtout pour moi, qui déteste camper autant qu’Éric Duhaime déteste faire ses impôts. On a aussi lancé un appel à tou.te.s sur nos réseaux sociaux, afin de trouver des histoires ou des enjeux à raconter, peu importe l’endroit (notre trajectoire n’est pas coulée dans le béton à 100 %).
Bref, si vous avez des choses à raconter en lien avec les élections, faites-nous signe. C’est votre campagne, après tout.
Même chose si vous êtes des samaritains prêts à offrir un endroit pour héberger notre rutilante monture pour la nuit.
Le dernier tour de piste de Véronique Hivon
On met d’abord le cap vers une écurie de Saint-Liguori, près de Joliette, où la députée sortante Véronique Hivon nous donne rendez-vous. Rien comme le décor bucolique et apaisant de majestueux chevaux pour amorcer ce périple.
L’ancienne ténor péquiste (notamment ex-ministre déléguée des Services sociaux et à la Protection de la jeunesse) s’est fait connaître comme l’artisane du projet de Loi sur les soins de fin de vie permettant l’aide médicale à mourir, mais aussi par la création d’un tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales.
Elle tire sa révérence après 14 ans de politique active, où elle est toujours bien en selle dans son comté, un bastion péquiste qui a flirté avec l’adéquisme à deux reprises. La CAQ, qui talonne le PQ depuis trois élections, espère profiter du départ de Mme Hivon pour s’en emparer.
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Si on la rencontre ici à l’écurie Harnois, c’est parce qu’elle y passe beaucoup de temps avec sa fille de 13 ans Iris, passionnée d’équitation.
Parce que pendant que les gens s’achetaient des machines à pain pendant la pandémie, la famille Hivon, elle, a fait l’acquisition d’une pouliche de cinq ans, Sophira.
Plusieurs chats couraillent dans le stationnement en gravelle à notre arrivée. L’un d’eux, Raoul, se faufile dans notre VR par la porte de côté.
Véronique Hivon m’accueille dans un vaste enclos, où elle tente avec une chaudière de bouffe d’attirer, en vain, Sophira, qui galope dès qu’elle l’approche. Même le palefrenier Raymond ne parvient pas à approcher la farouche bête grise. « Je ne suis pas capable de l’attraper! Ma fille aurait honte de moi », plaisante la future ex-politicienne, pendant que tous les autres chevaux – à l’exception de Sophira – viennent se laisser flatter la crinière.
À la défense de Sophira, la vue d’une équipe d’URBANIA dans son environnement – dont une montagne de muscles ressemblant vaguement à Bradley Cooper – a certainement un effet déstabilisant sur sa routine équestre.
Mais bon, le moins que l’on puisse dire, c’est que les campagnes électorales se suivent et ne se ressemblent pas pour Véronique Hivon. « Là, je suis en transition. En période d’effacement graduelle. Drôle de voir celle-ci se dérouler après en avoir vécu cinq de l’intérieur, de voir aussi à quoi ressemblera ma vie avec plus de temps », confie celle qui a toujours trouvé un équilibre dans son fief entre les sessions intenses à l’Assemblée nationale.
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« En politique, tu cours toujours toujours après ton temps. Là, je suis allée reconduire ma fille tous les matins à l’école. Plus souvent que ce que j’ai fait depuis qu’elle est dans ma vie », souligne-t-elle au sujet de sa fille adoptée au Vietnam il y a 14 ans, littéralement en même temps que son arrivée en politique. Pas pour rien que les deux événements sont gravés dans son cœur de manière indissociable, ce qui attise sa nostalgie.
« Je vais pouvoir passer plus de temps en famille et approfondir des enjeux qui m’intéressent. J’ai toujours aimé la politique, mais c’est tout le temps action-réaction. Il faut toujours avoir une idée sur la nouvelle avant que l’encre soit sèche », illustre Véronique Hivon, qui entend continuer à se battre pour les causes qui lui tiennent à cœur, notamment l’indépendance du Québec.
Au bureau de comté de la rue Saint-Louis à Joliette, Véronique Hivon est dans les boîtes par-dessus la tête, finalise son ménage à quelques jours du scrutin. « Il y aura une passation des pouvoirs, j’ai des dossiers citoyens à trier, des coupures de journaux, des cartes de fêtes, des cadeaux reçus, et j’ai déjà fait énormément de déchiquetage », énumère la jeune quinquagénaire, devant un mur rempli de portraits de tou.te.s les élu.e.s de Joliette depuis la fin du 19e siècle (un ratio de quinze messieurs en cravate contre deux femmes).
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Des émotions contradictoires l’assaillent à la veille de tirer sa révérence. « C’est mûrement réfléchi et je suis sereine, mais j’anticipe une période de désintoxication, un deuil », résume Véronique, qui a soif de retrouver une certaine normalité.
Elle est particulièrement fière d’avoir mené à terme quelques chantiers marquants, comme le dossier « mourir dans la dignité », qui constitue son legs principal. « Ça fait une différence concrète dans la vie des gens. Chaque semaine, j’ai des témoignages de gens qui m’écrivent un courriel, une carte, me racontent la fin de vie d’un proche jusqu’au rayon des fruits et légumes du supermarché. »
Elle peut aussi se targuer d’avoir mené ses projets de manière transpartisane, une rareté dans le paysage partisan et polarisant habituel. « Je pense que la politique doit être faite comme ça. Ma grande volonté en allant dans la politique était de lutter contre le cynisme. On devrait miser sur les débats d’idées et la nuance », résume la députée, qui n’a rien perdu de son idéalisme.
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C’est l’heure du lunch et elle doit se rendre au casse-croûte Henri – fleuron local – pour aider son homonyme péquiste à préparer son premier débat prévu cette semaine.
Véronique Venne, actuelle mairesse de Saint-Marie-Salomé, s’estime choyée de bénéficier du large appui de la députée sortante (tout le monde l’arrête au restaurant) et ne tarit pas d’éloges à son égard.
« C’est la meilleure prof du monde, c’est intimidant et je ne veux pas la décevoir! », louange la dauphine, ajoutant que c’est Véronique Hivon qui l’a inspirée à devenir mairesse de son village à 31 ans. « Ça n’a jamais été dans mes plans de me présenter comme députée, mais quand elle a annoncé son retrait, je me suis dit que ça prenait une inspiration comme elle dans la région », résume la candidate, qui fait campagne pour prolonger le règne des Véronique à Joliette.
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Saint-Tite sous la pluie
La pluie commence à s’écraser dans le pare-brise du VR alors que l’on roule vers notre prochaine escale, Saint-Tite en Mauricie. On l’ignore encore à ce moment, mais la pluie s’abattra pour les quinze prochaines heures, menant aux inondations que vous avez vues aux nouvelles.
Au camping Trépannier, à l’entrée du village, on réserve un terrain avec service (électricité et eau). Le populaire festival bat déjà son plein, mais les hordes de cowboys sont plutôt attendues en fin de semaine.
« C’est la folie furieuse encore, surtout chez les plus jeunes. Le camping se remplit surtout à partir du jeudi », explique Francis, le gaillard sympathique qui nous accueille dans sa guérite.
Comme le temps est maussade, on passe la nuit enfermé dans le VR, en reportant notre découverte du monde country au lendemain.
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J’ai du mal à dormir, tandis que la pluie bombarde frénétiquement le plafond du VR. JP s’endort (à quelques pouces de moi) dans le temps de le dire, comme le font les gens qui ont l’esprit tranquille.
Dans le lit superposé au-dessus du siège du conducteur, Carmen ronfle déjà (à cause d’un rhume, justifie-t-elle). Son sommeil est si profond qu’elle n’entendra pas son cadran se lamenter pendant quinze minutes le lendemain matin.
Dehors, il vente à écorner les boeufs, mais au moins, les rayons de soleil percent enfin les nuages. À travers le terrain de camping spongieux, je pars me balader au village, où les pancartes électorales se mélangent sur les poteaux à celles du festival.
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Rue du Moulin, une affiche indique que nous entrons dans une zone où la consommation d’alcool est tolérée. Say no more, je me mets aussitôt en quête du premier saloon.
Partout à la ronde, des stationnements à roulottes sont improvisés à l’arrière des bungalows. L’ambiance rappelle le Rockfest de Montebello, mais version cowboy.
Parlant de cowboy, Léopold trouve que j’ai pas l’air d’un vrai. « Dans mon temps, les vrais cowboys ne roulaient pas leurs manches et ne perdaient jamais leur chapeau dans les rodéos », m’explique l’homme assis avec son épouse Jocelyne devant leur motorisé de 35 pieds garé dans la cour d’un villageois.
Ce vétéran de Saint-Tite de 89 ans calcule avoir raté une poignée d’éditions sur les 54 du festival. Le couple n’a pas prévu grand-chose aujourd’hui, sinon d’aller acheter du prestone au Géant du motorisé.
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Quant à la campagne électorale, le couple qui habite le comté salue la CAQ et sa gestion de la pandémie, mais avec un bémol. « La députée Sonia Lebel n’est pas du coin et a été parachutée ici. Je n’aime pas ça, c’est mieux la proximité avec les gens », analyse Léopold, père de quatre filles dont l’aînée a 61 ans.
Léopold a au moins raison sur un point : je n’ai pas l’air d’un vrai cowboy. Pour y remédier, je fonce vers le premier kiosque de chapeaux, que Marcel, sa femme et son neveu gèrent depuis près de 40 ans, sur la rue du Couvent.
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« J’ai pas peur de dire que je vais voter caquiste, Legault a bien géré la pandémie », affirme avec aplomb Marcel de Saint-Hyacinthe, en me tendant un viril couvre-chef à 20 $ me permettant de me fondre parfaitement dans la foule.
Il ne me manque que les bottes. Ça tombe bien, ZE fabriquant de réputation mondiale, les bottes Boulet, a pignon sur rue à Saint-Tite depuis belle lurette. Fun fact à saveur politique : ses propriétaires – bien connus dans le coin – sont dans la même famille que l’ex-députée libérale Julie Boulet et l’actuel ministre des Transports Jean Boulet.
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Mais Louis Boulet, l’un des copropriétaires croisé dans sa manufacture, n’a pas l’intention de me parler de la campagne en cours. « Comme je suis en affaires, j’ai pas l’habitude de me mêler de politique », souligne-t-il.
Les rues s’animent à mesure que la journée avance. Les calèches partagent la chaussée avec les chevaux, piétons, trottinettes électriques, vélos et voitures.
Sur la terrasse de la microbrasserie À la fût, les client.e.s coiffé.e.s de leurs chapeaux sirotent une bière, pendant que la chanson Island on the Stream résonne sur la rue Notre-Dame.
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Sur le perron de leur maison, Jacques et Marjolaine contemplent les passant.e.s, comme ils le font chaque année depuis une cinquantaine d’années. « C’est sûr qu’il y en a qui pissent parfois dans les haies, mais les gens sont respectueux en général », assure Jacques, qui suit aussi la campagne électorale de loin. « Notre préoccupation est la santé. Avoir un médecin de famille, c’est un problème dans la région », note Marjolaine.
Un peu plus loin, quelques dizaines de festivaliers et festivalières suivent un cours de danse en ligne sous un chapiteau, encouragés par un « calleur » enthousiaste.
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Mais l’attention des gens culmine surtout vers le stade, où se déroule en après-midi une compétition. Des cowgirls d’un peu partout doivent faire le tour de trois barils le plus vite possible.
J’essaye d’accrocher des gens pour parler de politique, mais disons que le grand rodéo du mercredi – événement phare du festival – fait beaucoup plus jaser que le débat des chefs prévu jeudi.
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Avec raison! Au lieu de voir les chefs s’obstiner sur la gouvernance, le public a droit à un spectacle à couper le souffle, fait de feux d’artifices, d’animation et de disciplines aussi incongrues (pour le profane) qu’impressionnantes. À commencer par le fameux rodéo, où les cowboys professionnels doivent tenir huit secondes en selle sur une monture plus en tabarnak que moi quand je trouve pas de café le matin.
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Il y a sinon une sorte de course à relais, où les cowboys doivent se succéder sur un cheval courant à 50 km/h. Cette explication ne rend pas justice à la chose, faut le voir pour le croire.
Tout juste avant la compétition, la députée locale (et présidente du Conseil du trésor) Sonia LeBel s’est avancée dans l’arène avec sa chemise à carreaux et son chapeau pour la traditionnelle prière du rodéo.
« J’implore ta présence tout au long de cette compétition et je te prie de guider mes pas dans l’aréna de la vie. »
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J’ai essayé de lui parler avant, mais on m’a fait savoir qu’elle n’était pas là pour faire campagne.
Enfin, rien pour m’empêcher d’apprécier le rodéo et ma virée à Saint-Tite.
Je suis rentré au VR avec Carmen après le show, après avoir ramassé des burritos dans un kiosque en chemin.
Demain, on reprend la route vers de nouvelles aventures au soleil levant, sans nous retourner, sur un air connu.
I’m a poor lonesome cowboy…
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