Hier, on a mis la clé dans la porte du Divan Orange. URBANIA y était et vous a préparé un compte-rendu de la soirée.
19h36
« On est une salle de spectacle, on a pas le choix d’être festifs! » Je m’attendais un peu à enrichir ma collection de mines basses. Après tout, c’est le dernier des Last Calls : dans quelques heures les lumières se fermeront une fois pour toutes sur cette institution de la scène culturelle montréalaise. Et pourtant, comme le dit Julia Blais, responsable de la programmation, le coeur semble plutôt à la fête. Au bar, ça rit fort, ça raconte des anecdotes entre deux bières et ça se tape dans le dos… avec assez de force pour cacher un fond de tristesse, quand même.
19h45
« J’haïs ça les osties de photos câlisse. » Les portes ne sont pas encore ouvertes, l’équipe en profite pour faire des photos… d’équipe! Le staff se prête à l’exercice de bon coeur, sauf peut-être Murielle qui sacre sur le chemin vers l’objectif. Pour l’occasion, le traditionnel « cheese » est remplacé par « Sophiiiiiieeee », qui a comme qualité d’être à la fois le nom d’une membre de la coop, mais aussi de finir en « i », un gros plus dans les circonstances. Suivra une photo pleine de fingers, dirigé sans doute vers cette petite mort dont personne ne voulait.
19h47
Avec Julia et Julien (lui aussi membre de la coop) on s’assoit quelques minutes dans le sous-sol de la place. Un endroit qui pourrait être élu MVP de l’association des sous-sols du Québec si une telle chose existait, tellement il est conforme à l’idée que l’on se fait d’une cave : remplies de vieux fauteuils qui sentent l’humidité, le brun-vert et la nervosité d’un bassiste qui s’apprête à fouler la scène pour la première fois.
On jase de fin. « On s’est laissé une fenêtre de quelques semaines pour finir ça en beauté. C’était important pour nous que les gens qui ont fréquenté le Divan aient le temps de venir faire leurs au revoir, même chose pour les bands. Mais ce qu’on voulait aussi, c’était se donner ce temps-là pour faire un travail de sensibilisation. Le Divan ferme, mais on était pas loin de la rentabilité! Ça ne nous aurait pas pris grand’chose pour rester en vie, mais comme on ne rentre dans aucune case de subvention…»
19h48
« Juste vous avertir : y’a des micros, mais on vous enregistre pas! », une autre équipe de tournage vient de se pointer. Il doit bien y en avoir 4-5 dans la place. Cette soirée sera immortalisée sous tous ses angles, du premier accident de bière jusqu’au dernier accord. Julien poursuit : « … donc on y arrivait plus. Pourtant, y’en a de l’argent en culture, faut juste mettre les petites salles dans la loop. La Ville de Montréal, par exemple, aurait pu trouver une solution ponctuelle qui nous aurait permis de survivre le temps de trouver une solution à long terme avec les organismes subventionnaires, d’inventer une nouvelle case. Mais même s’ils étaient sympathiques à notre cause, ça n’a rien donné de concret. Des petites salles qui ferment, on en voit plein. Ça ne peut pas continuer comme ça. Un soutien à une place qui fait plus de 300 shows par année, ça devrait exister depuis 50 ans! »
19h55
« Quelqu’un m’a dit l’autre jour que la salle pourrait devenir un Quiznos ou un Subway. J’ai pas été capable de le laisser finir sa phrase. Ça me briserait le coeur ». Oui, à nous aussi Julia ça nous briserait le coeur. Tous les 6 pouces à 5$ du monde ne pourrait pas venir à bout de notre dégoût si ça devait se produire. Autre scénario possible pour le local? « On ne le sait pas. Mon feeling c’est que ça deviendra un énième resto-bar générique qui va fermer dans deux ans. Les chances que ça redevienne une salle de spectacle? Zéro. » Et demain, toute l’équipe, vous allez faire quoi? « On avait comme projet de faire un gros brunch avec toute l’équipe et pleurer dans nos crêpes. Mais on va peut-être juste dormir, on a besoin d’un break! »
21h14
Avant le break, un dernier spectacle, celui d’Avec pas d’casque. Ce n’est pas tout à fait plein encore. Stéphane Lafleur jette un dernier coup d’oeil à la scène, donne 2-3 directives, laisse finalement à Simon Leduc le soin d’ouvrir la soirée. Silence capitonné. « Wow. Vous êtes vraiment un public de qualité. » lance-t-il à la foule.
21h27
Enfin, il fait chaud. Yé! (Dans quelques minutes, bien suants, on regrettera toutefois la petite brise qui venait de la porte ouverte).
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22h00
« Je suis venu te dire que je ne changerai pas… » Avec pas d’casque vient de monter sur scène. Petite fébrilité, tout le monde comprend que c’est le début de la fin et qu’on ferait mieux d’en savourer chaque minute.
22h10
«On est très honoré que le Divan ait pensé à nous pour le dernier show. Ça allait de soi, on est pas mal le groupe le plus festif en ville. » Lafleur ne jase pas beaucoup, mais se permet ce trait d’ironie que l’on sent rempli affection pour la foule, la salle, ceux qui l’ont habitée, fréquentée et fait vivre. À l’image aussi de la soirée jusqu’ici : un peu douce, un peu tendre, sous une carapace qui ne veut pas laisser voir sa peine.
22h38
« Elle me dit : “La vie me traîne, me gâche et me recrache. Sur des distances qui ne se comptent pas sur les doigts” » Les premières mesures de Dommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle à peine entamées, une furieuse envie de hurler « C’est ma touuuuuuune » me prend à la gorge. J’ai décidé de brailler à la place.
22h40
Shooters aux musiciens.
23h24
« On voulait aller aux toilettes, mais y’avait déjà quelqu’un. » Première sortie de scène manifestement ratée pour le band. Mais pourquoi aller au petit coin quand on peut jouer Walkie Talkie hein? Pourquoi? À ce stade-ci, on dirait qu’un mouvement de foule s’est opéré vers l’avant, on spoone tous un peu son voisin à l’horizontale, une configuration toutefois parfaite pour un peu de bodysurfing, ce qui surviendra à la plus grande joie de tous quelques minutes plus tard. Du bodysurging sur fond d’Avec pas d’casque : inusité, certes, mais ô combien jouissif. C’est cliché, mais tellement vrai : on aurait envie que ça ne finisse jamais.
23h36
Sauf que ça y est. C’est fini. Pour vrai. Je recroise Julien essuyant discrètement une larme en s’excusant presque : « On a essayé d’être fort. Mais là y’a comme un trop plein on dirait. » Et comme le Divan a voulu laisser le dernier mot à Stéphane Lafleur et sa bande, laissons-leur le soin de finir aussi ce compte-rendu : « Je promets que la journée qui s’en vient est flambant neuve ». Flambant neuve, mais vide aussi un peu.
Crédit photo: Maude Touchette