Il y a de l’action autour de l’église Saint-Roch, malgré la pluie drue qui tombe sur Québec. En plus de la poignée d’infortuné.e.s tentant de se mettre à l’abri du crachin frette sur le parvis, un homme en crise beugle sur le trottoir de la rue Saint-Joseph, un autre peste contre les frigos libre-service vides.
Je laisse ce spectacle derrière pour continuer ma route vers un café de Limoilou, où j’ai rendez-vous avec Catherine Dorion.
Il y a trois semaines, la députée de Québec solidaire annonçait qu’elle quittera la politique active au terme de son premier mandat. En point de presse, elle avait tiré à boulets rouges sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, « une institution extrêmement contraignante, avec des cadres rigides, vieux, passés date, qui rend toute liberté de parole et tout mouvement populaire et politique difficile d’expression dans ce monde-là. »
Comme l’arène politique en place ne lui permet pas de mener les combats qu’elle souhaite, c’est dans la rue que la députée de Taschereau ira poursuivre ses luttes, en troquant son chapeau de parlementaire pour celui d’artiste.
« T’as le même chandail que mon chum », lance-t-elle à son arrivée au café, au sujet de mon beau pull pastel provenant de l’Aubainerie. C’est pas full payant, URBANIA.
Elle prend place sur la banquette au fond de l’endroit achalandé, flanquée de son attachée Mélanie, qui pianotera sur son cell tout au long de notre entrevue.
C’est quelque part en février dernier que Catherine Dorion a pris sa décision de tirer la plogue, pendant la relâche où elle avait plus de temps pour réfléchir entre deux changements de couche (elle a trois filles, dont un bébé d’un an et demie).
Elle assure partir la tête haute, sans amertume, malgré ses récents coups de gueule contre les rouages de la démocratie.
«Je voulais aller là-bas pour brasser des affaires, amener de l’art en politique!»
« Je ne pars pas parce que je ne suis plus capable, ou parce que j’ai vécu un désaveu. Je n’avais aucune illusion de ce que j’allais faire », exprime la députée, qui avait remporté en 2018 sa circonscription avec une écrasante avance (8000 voix de plus que la caquiste Svetlana Solomykina).
Son plan a toujours été clair, insiste-t-elle : « Je voulais aller là-bas pour brasser des affaires, amener de l’art en politique! »
D’emblée, elle dit « mission accomplie ». N’en déplaise à un chroniqueur reprochant à la « députée-poétesse » de n’avoir rien accompli de tangible durant son mandat, la principale intéressée s’enorgueillit d’avoir mené quelques réalisations à terme et mis sa tribune à contribution pour faire avancer plusieurs dossiers, dans sa circonscription comme ailleurs.
Elle cite ses efforts pour faire bloquer le projet Laurentia, ses sorties répétées contre le 3e lien (au point de l’avoir rendu difficile à défendre pour le gouvernement, dit-elle) et sa campagne pour attirer le tramway, sans oublier sa participation active dans la création du collectif Liberté d’oppression, visant à dénoncer « la montée des propos haineux, de l’intimidation et de la désinformation dans certains médias du Québec ».
Elle se targue aussi d’avoir dénoncé la culture d’autocensure qui règne selon elle chez Québecor (elle a tenu un blogue au Journal de Québec entre 2016 et 2018) et d’avoir confronté PKP directement à ce sujet en chambre.
Elle qualifie d’inouïe la violence médiatique subie durant son mandat, concentrée avant la pandémie. La crise sanitaire donne même des airs anachroniques aux « scandales » qui faisaient déchirer tant de chemises à cette époque pas si lointaine, où le port d’un coton ouaté orange à l’Assemblée nationale était élevé au rang d’enjeu national. « On m’a reproché de fumer une cigarette près d’une porte, de porter un t-shirt, des cotons ouatés, des Doc Martens, de faire un parallèle entre le troisième lien et une ligne de coke : j’étais un personnage marionnette dans leur show et j’ai voulu reprendre le contrôle du show, du message. »
C’est d’ailleurs ce qui la rend le plus fière de son passage en politique : avoir résisté. « La vérité, c’est que je me suis fait attaquer pendant presque deux ans avec une violence peu commune et je suis fière d’avoir gagné cette bataille. Ils ne m’ont pas eue! », tranche-t-elle.
Elle ajoute que ses détracteurs se sont fait prendre à leur propre piège en voyant que chaque attaque se traduisait par une hausse de la solidarité envers elle. « J’ai eu un appui de fou, des gens galvanisés qui voulaient que je gagne. Ça a marché : ils [ses détracteurs] ont arrêté de s’en prendre à moi. Je me suis respectée. »
Son plus beau trophée demeure son stunt d’Halloween, où elle posait ironiquement en tailleur pour clouer le bec à tous ceux et celles qui l’ont fustigée sur son habillement. « Avec Les luttes fécondes [son essai publié en 2017 chez Atelier 10], c’est l’œuvre dont je suis le plus fière! », raille à moitié Catherine Dorion.
Dans un autre registre, elle se réjouit aussi des pressions exercées pour réformer les lois sur le statut d’artiste, qui semblent enfin avoir été entendues par le gouvernement.
«Je vais continuer à militer, mais je vais juste changer de bureau.»
« Je pense avoir réussi à amener de la politique dans l’art et vice-versa. Dans toutes les révolutions, les artistes sont importants, nécessaires », affirme Catherine Dorion.
Pour l’heure, elle n’accroche pas ses convictions, bien au contraire. « Je vais continuer à militer, mais je vais juste changer de bureau », nuance celle qui a déjà plusieurs projets sur les rails, dont un livre sur le workaholisme, dont elle s’affuble la dépendance. « Le workaholisme est en train de détruire la culture. Je pense que tout le monde l’est maintenant et je trouve ça dégueu que ça soit devenu une mesure pour s’élever dans la société », souligne la députée.
Elle dit avoir maintes fois été encensée à cause de sa capacité à abattre du travail comme parlementaire, alors qu’on a souvent moins d’égard pour des personnes qui travaillent aussi fort comme infirmières ou enseignantes. « Être dans le jus, c’est bien vu, mais c’est aussi ce qui nous rend malades collectivement. »
Elle concède que la pandémie a peut-être un peu contribué à rééquilibrer la force, en encourageant notamment des gens à passer plus de temps en famille, loin du bureau, de la congestion routière et des 5 à 7.
« Il y a eu une forme d’accalmie , mais c’est la pandémie qui a aussi fait en sorte qu’on a coupé les liens à la base », souligne-t-elle, suivant cette idée que le workaholisme remplace les relations humaines. « Les gens recommencent à peine à se serrer la main, à s’embrasser… »
Sans virer dans le complot, elle constate par ailleurs que les gouvernements néolibéralistes tirent souvent profit des crises majeures pour saper les mouvements citoyens d’envergure. C’était le cas du mouvement Occupy, qui avait du mal à résonner dans l’après 11 septembre 2001. Ce fut à nouveau le cas avec la pandémie, qui a tué dans l’œuf l’importante mobilisation pro-climat menée par Greta Thunberg un peu partout sur la planète. « On n’a juste à penser aux bonds de géant fait par le GAFAM pendant la pandémie », mentionne Catherine Dorion.
C’est vrai que les rencontres Zoom, les concerts virtuels et le magasinage en ligne ne faisaient pas partie de nos mœurs avant d’entendre pour la première fois le mot « coronavirus ».
À six mois de la retraite politique, Catherine Dorion espère avoir fait des petits en politique. Elle repense à cet homme qui l’avait reconnue sur la rue et lui avait lancé : « Ah c’est Catherine! Continue de brasser le pommier! »
L’image est restée, la future ex-députée l’utilise couramment.
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Avec un peu de recul, elle pense même humblement avoir contribué à décoincer l’Assemblée nationale, voire la politique en général. Qui sait si c’est pas un peu grâce à elle que le maire de Québec peut désormais porter ses espadrilles funky en paix.
Le décorum et les protocoles en place actuellement l’ont d’ailleurs toujours amusée. Elle relève leur absurdité. « Tu ris de mon coton ouaté, mais à chaque séance de travaux, une dame se présente avec une sorte de sceptre en or et tout le monde doit se lever, solennel », rapporte-t-elle en riant.
Elle souligne l’hypocrisie des travaux parlementaires où pratiquement tout le monde pianote sur son cell (au moins, ils le font en cravate et en tailleur).
«Je représente un courant, je ne représente pas tout le Québec, mais beaucoup de monde se reconnaît dans ce qu’on apporte comme idée.»
En même temps, elle comprend que la majorité des élu.e.s se désintéressent de ce qui se passe dans le Salon bleu, dans l’optique où une poignée de décideurs gèrent actuellement la province.
Lors du point de presse annonçant son départ, elle a critiqué le fait que le gouvernement en place décide « 100 % des choses » même s’il a reçu le vote d’une faible proportion de Québécois.es. « Je représente un courant, je ne représente pas tout le Québec, mais beaucoup de monde se reconnaît dans ce qu’on apporte comme idée. Ces gens-là ont 0 % », avait-t-elle déploré.
Faute d’avoir une influence directe, elle fonde quelques espoirs sur celle que les élu.e.s peuvent avoir grâce à leur tribune, une influence exacerbée par les réseaux sociaux. Dans le cas de Catherine Dorion, cet accès direct au proverbial vrai monde s’avère payant.
Une des solutions passerait par une réforme du mode de scrutin, « mais encore une fois, un gouvernement fraîchement élu laisse tomber cette idée… »
En plus du mode de scrutin, il faudrait selon elle de toute urgence réactualiser tout le système parlementaire « from scratch », en tenant compte de l’immense pouvoir des médias. « Le quatrième pouvoir, ça devient tellement politique quand ça passe au privé. Il y a des gens dans les médias qui sont plus militants que les politiciens », constate-t-elle.
Dans un tel contexte, la militante estime néanmoins que la mobilisation et les grands changements passeront toujours par la rue.
«Moi, je veux attirer des bad ass qui vont déranger l’ordre établi. C’est juste normal de l’être, de remettre en question le capitalisme et nos efforts en environnement.»
On a comparé la plus récente sortie de la péquiste Véronique Hivon à la sienne, relevant le fait que la première a tiré sa révérence avec classe, bienveillance, saluant la collaboration entre adversaires politiques et invitant les gens à ne pas perdre foi en la classe politique. Catherine Dorion se renfrogne un peu. Si elle n’entretient aucun grief envers son homologue, elle évoque l’image de la première de classe. « Elle peut donc intéresser d’autres premières de classe comme elle ou Catherine Fournier, c’est correct, il en faut, dit-elle. Moi, je veux attirer des bad ass qui vont déranger l’ordre établi. C’est juste normal de l’être, de remettre en question le capitalisme et nos efforts en environnement. Si le système fait en sorte qu’il vaut mieux être ami avec les gens qui dirigent, l’Assemblée nationale ne représente plus le peuple. Cette maison n’est pas la tienne. »
Catherine Dorion juge hypocrite d’entendre des gens s’ennuyer d’un Michel Chartrand ou d’un Pierre Falardeau dans l’espace public, alors qu’une posture revendicatrice est aujourd’hui vertement dénoncée.
Elle dit enfin quitter Québec solidaire en bon terme, échangeant un regard complice avec son attachée qui lève les yeux de son cellulaire. « Ils sont tristes, je pense. Ceux à qui j’ai parlé étaient tristes en tout cas », résume-t-elle, un sourire en coin.
La députée flamboyante prenait certes beaucoup de place au sein de son parti et dans l’arène médiatique. De son propre aveu, elle tirait beaucoup à gauche, même aux yeux de sa formation.
Une étoile filante dans une constellation politique plus conservatrice, expliquait Jean-François Lisée dans Le Devoir, déçu de constater l’échec de l’« effet Dorion ».
« Je me suis battue le vent dans la face », résume-t-elle.
Quant à un retour en politique, ce n’est pas à l’agenda, du moins pas pour le « prochain gros chapitre ».
Elle cite une rencontre rocambolesque avec un ivrogne tombé à vélo dans le quartier Saint-Roch l’autre jour. « Il est tombé de son vélo devant moi. Je l’ai étendu sur le dos, c’était en plein jour. Il a dit : “Catherine Dorion, tu t’en vas?” “D’autres vont me remplacer”, que j’ai répondu. “T’es pas remplaçable.” »
Cette anecdote la fait sourire et lui rappelle le fort capital de sympathie qu’elle a réussi à gagner durant son mandat.
C’est dans son rôle d’artiste qu’elle veut maintenant poursuivre le combat. Pas comme comédienne dans un téléroman (elle a déjà joué entre autres dans l’Auberge du chien noir) mais pour des projets qui l’emballent.
Lorsque j’évoque Gregory Charles – un artiste – qui se fait ramasser pour une prise de position sur l’éducation, elle souligne aussi que les artistes ne sont jamais pris au sérieux, qu’ils ont présentement la vie dure. « On rit d’eux quand ils osent s’exprimer autrement, dit-elle. On les perçoit comme des saltimbanques. Je vois une bataille là… »
D’ailleurs, elle organise déjà des réunions d’artistes pour leur permettre de ventiler leur réalité, briser l’isolement et se nourrir ensemble. « Il y a des gens là-dedans qui ne sont parfois même pas reconnus dans leur propre famille, subissent de la violence extrême, mentionne-t-elle. On a pourtant vraiment besoin de ça [l’art]. Sans la culture, tu meurs. »
Elle quitte en oscillant entre la nostalgie de son fidèle comparse Sol Zanetti et en cultivant l’espoir de voir la jeune Émilise Lessard-Therrien insuffler une nouvelle vision de la gauche en région.
Avant de partir, j’immortalise Catherine Dorion devant un mur de briques en face du café.
« Arrête de snoozer, rêve un peu », peut-on lire sur le graffiti derrière elle.