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Ça fait que l’autre samedi matin, vers 9h00, j’ai amené Junior à l’épicerie Métro, sur Ste-Catherine Est, vu qui restait pu de lait, pu de pain, ni d’oeufs. J’ai commencé par un pit stop au guichet automatique.
Du coin de l’oeil, j’ai vu une travailleuse (du sexe) quand-même assez maganée, sur le trottoir d’à côté. Quand t’as habité plus que dix ans dans l’Est, ça fait un peu partie de ta routine matinale que de croiser des travailleuses en fin de shift.
J’étais en train de compléter ma transaction, quand la travailleuse m’a abordé (en anglais): “good morning sir”. Je me disais intérieurement qu’elle commençait mal en estie, vu que j’étais pas mal sûr qu’elle allait soit me quêter du change, soit me proposer des services rémunérés et que j’avais pas pantoute envie de lui donner de l’argent et encore moins de la rémunérer! Je lui ai répondu en français, espérant que le fossé linguistique joue en ma faveur.
Mais mon français d’Hochelaga l’a pas impressionné pour deux cennes!
Elle a tout de suite switché dans langue de Molière pour me demander si j’avais du change pour la machine à café de l’épicerie. Elle m’a expliqué qu’elle faisait du diabète pis qu’était obligée de prendre son café avant de déjeuner parce que sinon, ça marchait pas pantoute ses affaires.
Moi, je ne donne jamais de cash au monde qui quêtent autour de mon épicerie, mais ça m’arrive quand-même assez souvent de leur acheter de la bouffe ou du café (j’ai même déjà acheté une grosse king can de bière pour un gars qui avait l’air d’en avoir vraiment besoin). Ça fait que je lui ai dit que j’allais lui acheter son café à la fin de mon épicerie. Elle a dit que c’était ben correct de même pis je suis allé faire l’épicerie.
Là, elle m’a comme stalké pour m’retrouver dans l’épicerie et m’demander de lui acheter un paquet de galettes aux pommes en plus. Ça coûtait trois piasses. Même si j’trouvais qu’a commencé à pousser un peu fort, j’y ai dit que c’était ben correct pis j’ai rajouté ça dans mon panier. Quand elle est r’partie, Junior qui a rien que quatre ans me regardait bizarre. Je lui ai expliqué que la madame avait pas de cash pour manger pis que, des fois, on faisait une bonne action en achetant de la bouffe à ceux qui peuvent pas s’en payer. Lui, tu voyais qu’y’était vraiment pas sûr; mais tsé, y’allait quand-même pas me planter là tousseul au milieu de l’épicerie, vu qu’y’a rien que quatre ans!
En sortant de l’épicerie, j’ai r’trouvé la travailleuse pis j’y ai amené son café, a’ec un paquet de crèmes, de laits pis de sucres de diabétique on the side (vu que je savais pas ce qu’elle prenait dedans, j’ai pas pris de chance). J’te dis qu’la bonne femme avait l’air vraiment émue que quelqu’un ait pris le temps de lui faire un café, une fois dans sa vie…
Deux secondes après, flairant la bonne affaire, elle m’a demandé si je pouvais lui donner du change pour prendre le bus (paraît qu’il fallait qu’a r’tourne chez elle dans Rosemont).
C’est là que je lui ai dit qu’elle poussait quand-même un peu sa luck. Je devais pas être le seul qui donne des trucs de l’épicerie sans donner de cash, parce qu’elle m’a tout de suite dit “Ah, tu donnes pas d’argent, c’est correct, merci beaucoup, pis bonne journée han”.
Pis là, elle a dit aussi à Junior de passer une belle journée, en lui disant qu’il était ben cute, pis en lui faisant son plus beau sourire à elle. Pis lui, il disait rien pantoute. Y’est resté planté là à la r’garder a’ec des yeux gros de même. Probablement que les films de Disney lui font profiler le monde qui ressemblent aux méchants de ces films-là pis que c’était pour ça qu’y’était comme paralysé.
J’l’ai un peu forcé à lui dire “merci, bye”, même si on pouvait voir qu’il voulait juste crisser son camp, rien que pour y montrer que, dans la vie et surtout dans l’Est, tu profiles pas le monde comme ça, pis que tu leur réponds même s’ils ont l’air crissement maganés.
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Une heure plus tard, il fallait que je passe au Rona sur Ste-Catherine Est. Ça fait que je suis passé devant le bar du coin. Pis qui est-ce que j’ai pas vu sortir de là, vers 10 heures et demie? Je te le donne en mille: la travailleuse à qui j’venais de payer l’déjeuner! Je me suis dit qu’au moins, grâce à moé, elle allait pas boire sur un estomac vide! Surtout qu’avec son diabète…
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Pour lire un autre texte du même auteur: Épicerie en pyjama et géopolitique d’Hochelaga.