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Le « culte » Beyoncé: une idée d’émancipation truquée

Par
Aurélie Lanctôt
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Vous m’excuserez de remettre ça sur la table, mais ça fait une semaine que je le retiens : non, je ne veux pas être Beyoncé et je veux encore moins de Beyoncé comme « modèle féminin ».

C’est vrai, elle chante et elle danse, Beyoncé. Bien, très bien, même. Et si ça peut vous faire plaisir, une confidence : si on fait jouer All the Single Ladies en ma présence, dans un bar ou dans tout autre lieu, les chances sont grandes que je m’adonne à une (pitoyable) reconstitution de la chorégraphie, plancher de danse ou pas. C’est vrai! Any time.

Je pourrais bien vous dire que j’exècre sa musique, à Beyoncé. Mais pas vraiment, au fond. Pour tout dire, je m’en fiche pas mal. Alors voilà, son numéro, au Superbowl, j’en avais un peu rien à chiquer. Je l’ai tout de même regardé sur YouTube. Pour la forme, après avoir vu déferler environ 150 statuts facebook et 250 tweets admiratifs.

Pas une mauvaise prestation, faut dire.

Par contre, là où ça accroche, c’est lorsqu’on commence à la prendre au sérieux, la Beyoncé. À se pâmer pour vrai.

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Depuis dimanche dernier, on se confond en éloges. À les entendre : « On voudrait toutes être des Beyoncé ». De la liberté, de la volonté, de la créativité. Une femme entière, même pas de lip sync’. La crème de la crème des femmes à marier. Du féminisme en jupette, toé. À la bonne heure!

Wô…

En fait, on peut bien la prendre au sérieux, Beyoncé. Mais pas de cette façon là. Pas comme on nous l’a « servie ». Parce que oui, « servir », comme un petit plat, est le terme qui incombe, à mon avis.

Avant-hier, Nathalie Petrowski se demandait, dans une chronique, si Beyoncé était « Émancipée ou asservie ».

Je m’étonne qu’on doive encore se poser la question. D’abord parce qu’une « preuve » d’émancipation dans un corset de cuirette n’en est pas une. Non, c’est la plate norme, et ce depuis belle lurette.

C’est un leurre qu’on voit depuis des années. Un « girl power » complètement caduque, qui s’inscrit dans un cadre restreint, tracé par des critères pré établis, et qui n’en déborde jamais. La femme indépendante, polyvalente, entreprenante, rieuse; parfois frivole… Un genre de féminisme tout-doux qui plaît à tout le monde, et que la culture de masse a réussi à façonner à son image : rutilant, rose et parfumé.

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Cette étrange image de la « nymphe émancipatrice » me dérange. Elle me dérange parce qu’elle est grotesque et fallacieuse. En ce sens que dimanche, ce que j’ai vu avant tout, ce n’est pas la chanteuse extra douée. Ce n’est pas la femme d’affaires accomplie. Ce n’est pas la « philanthrope » consciencieuse ou même l’épouse aimante.

Ce qu’on m’a montré, c’est une pin-up en bas résille, avec beaucoup de pyrotechnie et des écrans qui clignotent. Accessoirement, une bonne chanteuse, une danseuse émérite, parfois actrice, une philanthrope engagée, une amoureuse et peut-être même une redoutable joueuse d’échecs.

Mais ça, l’histoire ne le dit pas. Évidemment que l’histoire ne le dit pas. Parce que ce qui nous intéresse vraiment, sembe-t-il, c’est qu’en plus de tout le package, elle a un très très fou cul, Beyoncé. C’est ça qui est impressionnant. Tout est dans le « en plus ».

Voilà encore que s’insinue cette idée selon laquelle une femme n’est véritablement enviable que si elle sait faire la chatte, lorsqu’il le faut. Cette idée qu’une femme n’atteint le paroxysme de l’accomplissement, le summum du wow, que si elle accote les plus hauts barèmes esthétiques établis par la société de consommation.

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Un double standard pernicieux. Comme si, pour les femmes, l’accomplissement ne se mesurait véritablement qu’à l’aune de quelconque sexy-o-mètre bricolé. Comme si le body et l’usage qui en est fait devaient en quelques sortes refléter le niveau de réussite pour que celle-ci soit valide et enviable.

Confirmer sa « valeur » avec ses boules. Et j’exagère à peine.

J’exagère à peine parce que c’est une pression qui se ressent. Moi, je la ressens, en tous cas. Bien sûr, faut pas dramatiser. Je ne dis pas que j’ai l’impression de devoir me saper en bunny tous les jours pour être valorisée par mes pairs.

Mais, par exemple, combien de fois m’a-t-on dit servi des trucs du genre : « Wow, t’es donc ben femme aujourd’hui! » simplement parce que je portais une petite jupe ou un décolleté un brin plus accentué qu’à l’habitude? Pas « plus jolie », non: « Plus femme ». Et pas mes propos, pas mon attitude ou mes initiatives, non: mon accoutrement.

Eh bien, à mon sens, ce n’est pas normal que dans une société où les femmes sont « pleinement émancipées », notre idée de la féminité soit si étroitement voire exclusivement liée à la mise en valeur du corps, ou plutôt de ses attraits sexuels.

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J’ai souvent l’impression que les instances émancipatoires des femmes sont canalisées intensément dans leur rôle sexué, à défaut de trouver leur prolongement ailleurs. Comme si on astreignait les démonstrations de force et d’indépendance des femmes à se manifester avant tout dans les rapports de séduction, ou dans l’objetisation « assumée » et « contrôlée » de leur corps. Ainsi, il en résulte nécessairement l’exacerbation d’une féminité qui ne saurait être autrement qu’hypersexualisée.

Une belle pouliche bien brossée, bien ferrée, qui se pavane la bride au vent, dans son enclos…

Et tout ça, c’est très, très agaçant.

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