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Le cri du cœur d’une petite femme ordinaire

À presque 80 ans, Rachel Garand cherche une job moins rough.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je suis une petite femme ordinaire qui veut juste finir ses jours comme il faut. »

Assise à la table de cuisine de son modeste logement à Châteauguay, Rachel Garand est submergée d’amour depuis la publication, il y a quelques jours, d’un message sollicitant de l’aide pour se trouver un emploi moins difficile, vu son âge.

À l’aube de ses 80 ans, madame Garand a lancé cette bouteille à la mer virtuelle qui a non seulement ému des milliers d’internautes, mais a aussi braqué les projecteurs sur la réalité de certains aînés qui doivent encore travailler pour joindre les deux bouts, à des années-lumière d’une retraite dorée sous le soleil.

Une réalité dont madame Garand témoigne aux premières loges, et qui croule sous les histoires de gens dans sa situation. « Je compatis beaucoup avec eux. À nos âges, quand on a juste la pension et les rentes, on n’a pas assez pour la vie d’aujourd’hui. On devrait rester à la maison pour tricoter, mais moi, j’ai des dettes à rembourser, monsieur », raconte d’une voix timide, mais protocolaire, celle qui déplore avoir travaillé toute sa vie pour finalement se retrouver presque sans le sou.

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« Déplore » est un grand mot, puisqu’une chose qui saute vite aux yeux, dans la petite salle à manger jouxtant le salon, c’est que Rachel Garand refuse de se plaindre.

Ça lui a pris tout son petit change juste pour publier son cri du cœur sur Facebook, craignant donner l’impression de quémander.

« Ça m’a demandé du courage. J’ai mal dormi et j’ai pleuré d’avoir à solliciter de l’aide. Mais aujourd’hui, je l’accepte », souligne cette femme fière, qui – avouons-le – ne fait pas son âge.

Un constat qu’elle partage. « J’ai de la misère à réaliser que je vais avoir 80 (en octobre). J’ai pas de teinture et mes cheveux commencent à grisonner », s’enorgueillit-elle.

Faire le tour du web en voulant être discrète

Louangeant sa famille qui l’aide du mieux qu’elle peut, c’est justement de peur d’ambitionner qu’elle s’est tournée vers les réseaux sociaux pour demander un coup de main.

Bénéficiant d’un emploi à temps partiel pour une compagnie spécialisée en démonstration/dégustation de produits chez Costco, elle cherche un travail moins dur sur ses jambes et son dos. « J’aime ce travail, monsieur. Les gens sont super gentils et me donnent de bons horaires. Mais je trouve ça difficile d’être debout longtemps », confesse-t-elle.

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Le plus ironique, c’est qu’en ne voulant pas embêter sa famille avec ses recherches, elle a plutôt fait parler d’elle partout au Québec, avec plus de 6000 partages et plusieurs entrevues accordées depuis. « Avant, quand je faisais des publications, pas plus que 30-40 personnes les voyaient. Mais là, c’est rendu international, monsieur! Je suis époustouflée, j’ai jamais vu ça de ma vie! »

Un GoFundMe pour repartir à neuf

Si son message a fait le tour du web, c’est parce que Rachel s’est fait épauler par Sébastien Goulet, un coach d’affaires qu’elle suivait sur les réseaux sociaux et avec qui elle était déjà en contact. Ce dernier, qui a notamment dirigé le SKYSPA de Québec et quelques bars, aurait été touché par l’histoire de Rachel. « On s’écrivait à l’occasion et je lui avais dit que je m’étais enlisée dans un banc de neige en revenant de travailler lors de la dernière grosse tempête. Il ne connaissait pas mon âge, alors quand je le lui ai dit, il s’est exclamé : “Hein? Vous travaillez encore?” »

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C’est là qu’il a été mis au fait de la situation de précarité dans laquelle se trouve la dame, malgré les chèques de pension des gouvernements. « J’ai été arnaquée. J’ai aidé des gens avec de l’argent que je n’avais pas et je ne suis plus capable de rembourser le minimum de mes factures de carte de crédit avec le taux d’intérêt actuel », résume Mme Garand, qui calcule avoir à ce jour cumulé près de 25 000 $ de dettes. Une posture qui l’oblige à travailler, ce qu’elle fait trois jours par semaine au salaire minimum. « J’ai besoin de manger et de mettre du gaz dans mon char, monsieur. »

Dans l’espoir d’effacer cette dette et lui permettre un nouveau départ, Sébastien Goulet a lancé en son nom une campagne de sociofinancement, dont l’objectif est de ramasser 28 000 $.

En ligne depuis le 1er avril, un peu plus de 17 000 $ ont jusqu’ici été amassés, un peu d’espoir au bout du tunnel.

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Si vous êtes comme moi, vous avez sûrement un peu sourcillé devant le rôle de bon samaritain désintéressé d’un homme qu’elle connaît à peine, rencontré par le truchement de Facebook.

J’ai posé la question à Rachel Garand, qui m’assure avoir pleinement confiance en Goulet. « Il ne touchera rien. Il met son nom en jeu pour m’aider et il fait tout ça bénévolement, monsieur », m’assure-t-elle avec aplomb.

D’ailleurs, le principal intéressé m’a confirmé son intention de transférer la totalité des dons à madame Garand. « Quand j’ai constaté en regardant son bilan financier qu’elle faisait juste payer ses intérêts, j’ai eu l’idée d’une campagne de socio-financement pour l’aider à repartir à zéro », souligne Sébastien Goulet, qui s’occupe aussi de sa grand-mère de 98 ans. « Je ne retire pas un dollar là-dessus, sauf une tarte aux bleuets », ajoute-t-il.

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« Je ne m’ennuie jamais, j’ai trop d’ouvrage »

Madame Garand a reçu une foule de propositions, plusieurs en lien avec des CLSC pour prendre soin d’autres aînés.

Quand je la taquine sur le fait qu’elle risque de se ramasser aidante naturelle auprès de gens plus jeunes, elle se braque un peu. « Ça ne me dérange pas, monsieur. »

Si elle se considère en forme, Rachel Garand ne peut pas accepter les offres pour du « grand ménage ».

Dans son logement encombré de bibelots et de photos de famille, elle se rappelle avec nostalgie d’emplois occupés dans le passé. « Pendant plusieurs années, j’ai fait de la pâtisserie maison. Mais là, mon logement est trop petit et je n’ai pas de gros congélateur pour entreposer ça », explique Mme Garand, qui habite l’immeuble depuis trois ans. « J’étais au départ au troisième étage, mais j’avais de la misère à monter mes commissions. Ma sœur m’aidait parfois. Quand ce logement (au premier) s’est libéré, j’ai sauté dessus! »

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Aînée d’une famille de 13 enfants, peu scolarisée, c’est lorsqu’elle a atteint la quarantaine qu’elle a étudié le secrétariat et la compatibilité pour gagner sa vie. Pudique sur sa situation familiale, elle glisse seulement au passage n’avoir jamais été mariée et n’avoir pas eu d’enfants. « Je ne m’ennuie jamais, j’ai trop d’ouvrage. J’ai fait du bénévolat toute ma vie! »

Mais son véritable « plan de retraite » se trouve sur une table derrière nous dans le salon. Les yeux de Rachel s’illuminent lorsqu’elle parle de sa passion pour le vitrail. Elle me montre le travail entrepris pour enjoliver deux portes françaises. « Je fais ça pour une amie, mais ça me demande beaucoup de temps que je n’ai pas présentement à cause du travail », soupire-t-elle, en déroulant le croquis de son projet.

Du temps pour vivre.

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C’est ainsi que l’octogénaire résume ce qui manque à son bonheur, avant d’amorcer la dernière étape.

Du temps pour tricoter, du temps pour faire du bénévolat, du temps pour faire du vitrail.

« J’aimerais ça, aller m’asseoir sur un banc à l’île Saint-Bernard pour regarder l’eau, monsieur. »

Non, madame, ça n’est pas trop demander.