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Mon corps, c’est mon corps 

Le corps des femmes n’est pas une blague

Quand un prank TikTok révèle l’ampleur du chemin à parcourir pour éradiquer la violence genrée.

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L’autrice est sexologue. Pour encore plus de conseils éclairés, visitez son compte Instagram et son blogue La Tête dans le cul.

Les gens de ma génération (coucou, les milléniaux !) se rappelleront peut-être ce ver d’oreille tenace. Cette chanson faisait partie d’un programme d’éducation à la sexualité lancé en 1985 et dans lequel on enseignait aux enfants à se prémunir des agressions sexuelles. Via des paroles comme : « Mon corps, c’est mon corps, ce n’est pas le tien. Tu as ton corps à toi, laisse-moi le mien », on souhaitait inculquer aux jeunes du niveau primaire les concepts d’intégrité physique et psychologique.

Si je vous parle de cette chanson, c’est parce qu’elle m’est venue en tête lorsque je suis tombée sur l’un des nombreux trends de TikTok, sous la catégorie #coupleprank, qui m’a estomaquée : « Telling my boyfriend I got waxed by a guy ».

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L’HUMOUR, MAIS À QUEL PRIX ?

Le concept est simple : une jeune femme se filme et parle de son épilation brésilienne (meaning : la région pubienne), en mentionnant qu’un homme l’a épilée. Le but est de capter la réaction du copain avec cette information. Et c’est ici qu’on voit que le ver d’oreille nous est peut-être resté en tête, mais le concept derrière ? Pas vraiment. Mis à part quelques (rares) jeunes hommes, la plupart des chums filmés sont pissed. On voit même l’un d’entre eux réagir en arrachant la chaise sur laquelle la copine s’apprête à s’asseoir pour la faire tomber par terre et en lui assénant, l’air menaçant : « He who what ?!? » (Celui qui a fait quoi ?!?).

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Bien sûr, TikTok présente souvent ce genre de saynètes, aussi nommées skit. Ce sont des sketchs créés et joués expressément pour faire rire ou, dans certains cas, sensibiliser. Par exemple, on trouve de nombreux skit de fausses dates mettant en scène des hommes contrôlants qui tiennent des propos masculinistes. Ces vidéos mettent en garde les jeunes femmes contre des comportements nocifs et inacceptables.

Mais dans le trend dont je vous parle ici, le but, c’est l’humour. Avouez que c’est drôle, voir un jeune homme exprimer de la jalousie et de la territorialité par rapport au corps de sa copine. (Not.)

EST-CE QUE LES HÉTÉROSEXUELS VONT BIEN ?*

Étant donné qu’une majorité de ces sketchs soi-disant « comiques » montrent souvent de façon percutante les enjeux qui se cachent derrière des représentations très traditionnelles de l’hétérosexualité, on est en droit de se poser la question. Dans le cas de la blague de waxing, par exemple, on normalise le fait que les jeunes femmes doivent se plier aux exigences de leur partenaire en matière de gestion de leur propre corps. La réaction saine à cette information devrait être la suivante :

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Blonde : Chéri, je me suis fait épiler par un homme aujourd’hui.

Chum : Ça s’est bien passé ? Tu étais à l’aise ? T’es contente du résultat ?

Blonde : Oui, c’était super !

Chum : Génial, je suis heureux pour toi !

That’s it. Rien de plus, rien de moins. On parle ici d’un service offert par un professionnel en soins esthétiques. C’est un peu comme aller voir un gynécologue ou un médecin : il n’y a rien de sexualisé dans ce contexte.

Mais en faisant circuler incessamment ces saynètes violentes travesties en blague lugubre, on a non seulement tout faux, mais on perpétue un tas de conceptions erronées et graves. La liste pourrait être infinie, mais en voici quelques exemples :

– Les hommes, même dans un rôle professionnel, sont de potentiels prédateurs ;
– Les femmes n’ont pas d’autonomie ;
– Tout ce qui touche les parties intimes ne peut être que sexuel ;
– Les femmes appartiennent à leur conjoint, surtout lorsque ça a trait à leur sexe ;
– Les femmes devraient avoir l’approbation de leur conjoint pour prendre des décisions par rapport à leur corps ;
– Les femmes devraient trouver ça touchant et/ou drôle que leur conjoint réagisse violemment, car c’est une preuve d’amour ;
– La jalousie est normale, voire attendue ;
– Il est normal que les femmes subissent de la violence lorsqu’elles dérogent des attentes de leur conjoint ;
– Les femmes sont avant tout des objets, surtout pas des sujets.

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Bref, elles ne s’appartiennent pas. Leurs conjoints sont ici l’extension d’une figure paternelle toute puissante qui, sous prétexte de vouloir les « protéger », obligent leurs copines à se soumettre. (Hello, patriarcat !)

PLUS ÇA CHANGE, PLUS C’EST PAREIL

Il y a presque dix ans de ça, j’écrivais déjà à propos de ces pranks. Si vous saviez comment ça me décourage et me fâche d’avoir à revenir là-dessus encore une fois. De constater que, sur TikTok et Instagram, les contenus de ce genre pullulent. Qu’on trouve toujours ça drôle, alors que je considère que c’est profondément effrayant et dangereux.

Contrôler sa ou son partenaire, ça n’a rien de mignon ni d’affectueux.

Cette année, nous en sommes à notre 14e féminicide au Québec. This escalated quickly, vous trouvez ? Eh bien, pour moi, c’est lié. Si l’on apprend aux jeunes filles aussi tôt dans la vie, via des pranks grotesques, que leurs partenaires masculins ont le dernier mot sur ce qu’elles font de leur corps, croyez-moi ; ça ne s’arrêtera pas là. Quand on sait aussi que les propos masculinistes sont de plus en plus présents dans les écoles, qu’à Montréal, un élève sur trois se permet de dire des phrases comme : « les femmes devraient retourner dans leur cuisine » ou « les femmes devraient se soumettre aux désirs des hommes », c’est vachement inquiétant.

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FAIRE MIEUX

Continuer à faire circuler ce type de contenu comme s’il s’agissait de quelque chose de banal, c’est la preuve qu’on est loin d’avoir compris l’immense problème qui se tapisse derrière. C’est une démonstration flagrante que la culture du viol a encore sa place, bien au chaud, et qu’elle est loin d’être éradiquée. C’est aussi le signe qu’on doit se remonter les manches pour contrer ces messages rétrogrades et tendancieux, et faire comprendre aux jeunes qui y sont exposé.e.s que c’est wrong sur un moyen temps.

Pour ma part, même si je suis à boutte, je vais continuer à faire des textes et à prendre la parole pour dire à quel point ça n’a pas d’allure. Sérieux, on peut faire mieux. Non, il FAUT faire mieux.

*Je reprends ici l’expression du créateur de contenu français Maël et son savoureux compte Instagram @le_trema, avec lequel il amène le public à prendre conscience des problématiques autour des représentations de l’hétérosexualité, de la masculinité toxique, etc.

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