Honnêtement, si vous êtes chez vous en quarantaine et que vous n’en avez pas encore assez de lire des articles qui disent à quel point l’heure est grave, good job. L’épidémie de coronavirus déboule tellement vite que ça devient difficile de rester à jour sur tout ce qui se passe. Selon des estimations, dans le meilleur des cas, la crise du COVID-19 (Coronavirus) devrait durer encore quelques mois. On sera tous affectés, à divers égards, et le milieu de la musique est une des scènes où les effets se feront le plus ressentir.
Des évènements annulés aux pays entiers en quarantaine, en passant par la fermeture des salles de spectacles : la scène musicale est dans la merde. On pense bien sûr aux artistes, mais c’est dans des moments comme ceux-ci qu’il devient encore plus important de penser à tous ceux qui travaillent en périphérie. Les gérants, les relationnistes, les employés de bar, clubs, salles de spectacles ; les techniciens de son, les graphistes à la pige qui créent les flyers d’événements. La liste des gens affectés est tellement longue, surtout pour une province comme la nôtre où la culture et le nightlife font partie intégrante de notre ADN.
Des carrières compromises
Chaque année, une délégation de Québécois se rendent à Austin, au Texas, pour South by Southwest (SXSW), le plus important des festivals d’industrie au monde. Se faire découvrir à SXSW, ça peut tout changer dans la vie d’un artiste, surtout s’il vient d’une scène un peu plus isolée comme la nôtre. Dans les récentes années, Charlotte Cardin, Hubert Lenoir et Half Moon Run s’y sont produits.
Pour la première fois de ses 34 ans d’existence, le festival qui a fait naître tant de célébrités et qui a profondément imprégné sa ville a dû annuler ses événements. L’annonce s’est faite le 6 mars, à une semaine du début des festivités.
Mikey Rishwain Bernard, programmateur du festival-vitrine M pour Montréal et du festival Santa Teresa, est un vétéran de SXSW. Si ce légendaire hypocondriaque est content de ne pas s’être retrouvé dans une piscine de microbes à Austin le weekend dernier, il est néanmoins conscient du profond effet que cette annulation aura sur notre scène musicale.
« Ça me fâche, surtout quand je regarde un groupe comme Corridor », confie Mikey, à propos du groupe qui devait se produire au concert-vitrine de M pour Montréal à SXSW. « Ils avaient de la traction aux États-Unis et une belle liste de dates. C’était le moment parfait pour eux de se faire les bonnes connexions à SXSW. Je peux vraiment pas prédire ce que ça signifie pour la scène locale, mais tout le monde va en souffrir, ça, c’est certain. »
Les partys c’est terminé
La situation a escaladé rapidement dans beaucoup de sphères. Au début de la semaine dernière, les promoteurs et salles de spectacles redoublaient d’efforts pour s’assurer de minimiser les impacts que le virus pourrait avoir.
Très vite, les choses ont déboulé, et jeudi dernier le gouvernement de François Legault a interdit les rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes. En quelques heures, plusieurs bars, clubs et salles de spectacles partout au Québec ont dû annuler des événements et mettre clé sous porte pour une durée indéterminée.
Dimanche, le gouvernement a ordonné la fermeture de tous les bars et clubs du Québec. C’est à ce moment que c’est devenu sérieux pour plusieurs personnes. Si on prend en compte que 6474 établissements à travers la province détiennent des permis de bars, des brasseries, des tavernes et des clubs, un calcul rapide permet d’avoir une idée du nombre de gens affectés.
Une bonne partie de ces gens sont des jeunes, qui ont besoin de cet argent pour payer leurs études, ou pour investir dans un projet. D’autres sont des gens de métier, qui ont une passion profonde pour leur travail et l’exercent depuis longtemps. Dans tous les cas, presque personne ne devient riche grâce à la restauration. La forte majorité dépend de pourboires pour subvenir à leurs besoins, et beaucoup peinent à joindre les deux bouts. Ceci est catastrophique pour ces gens qui se retrouvent dans une situation précaire et se demandent maintenant comment ils parviendront à payer leur loyer.
C’est par exemple le cas pour Jason Dery, alias Jace, un DJ local qui tient des résidences dans plusieurs bars montréalais. Il estime avoir pour l’instant perdu près de 2000 $. Si cela semble être peu pour certains, il ne faut pas non plus oublier que les gens qui gravitent autour du système des bars et de la musique n’ont que très rarement un filet de sécurité financière, d’assurances ou de syndicat pour protéger leurs droits et intérêts.
Un enfer logistique
Il y a quelques semaines, le chanteur Gab Bouchard lançait Triste Pareil, un excellent premier opus. La jeune recrue de l’étiquette Dare to Care s’apprêtait la semaine dernière à entamer sa première tournée en tant que tête d’affiche. Après un seul spectacle, jeudi soir à l’Anti de Québec, Gab a appris que le gouvernement interdisait les rassemblements de plus de 250 personnes. En collaboration avec les promoteurs, Gab et son équipe ont dû prendre la dure décision d’annuler cette tournée.
Idem du côté des DJs et producteurs montréalais M Bootyspoon et Jacques Greene, qui bouclaient la fin d’une tournée américaine. D’autres artistes sont dans des situations encore plus extrêmes, comme le groupe local Pelada, qui s’est retrouvé coincé à Bruxelles.
De choisir de vivre de son art est toujours un grand risque à prendre. Et si l’on s’y dédie corps et âme sans pouvoir en vivre pleinement, ce genre de situation devient d’autant plus difficile à vivre. Les répercussions du COVID-19 sur les artistes et les gens de l’industrie ne seront pas que financiers : ils seront aussi (et peut-être surtout) psychologiques. D’annoncer à un public que l’on annule une performance n’est pas facile, même si on le fait dans l’intérêt de celui-ci. Ce l’est d’autant plus lorsqu’on sait que ça représente une perte d’argent, car dans un marché dominé par le streaming, la vente de billets devient le plus important revenu.
Un futur incertain
Les fins de tournées et annulations de spectacles affectent tous les artistes, à tous les niveaux. Mais le niveau d’effort et de main-d’œuvre nécessaire à la production d’un seul spectacle est beaucoup plus grand que ce que l’on peut s’imaginer. De la personne qui s’occupe des lumières, à celle derrière le bar, à celle qui nettoie les toilettes : tous ces gens sont des acteurs importants dans un écosystème déjà fragile qui vient de prendre un énorme coup.
Une autre réalité avec laquelle doivent composer les acteurs pigistes du milieu est que leurs autres sources de revenus sont probablement affectées aussi. Et si leur autre revenu provient du monde des bars et des restos, ils sont doublement mal pris. On pourrait en parler longuement, mais les problèmes avec ce qu’on appelle communément le gig economy (l’économie de petits boulots) deviennent insoutenables pour plusieurs.
Heureusement, certains politiciens le comprennent, comme l’ancien Ministre des arts et de l’Immigration australien Tony Burke. Comme il expliquait récemment lors d’une entrevue ce weekend, les gens de l’industrie sont face à un mur, et « lorsqu’ils frappent un obstacle, beaucoup de ces individus se tournent vers le milieu de l’hospitalité pour trouver un emploi ; cette même industrie qui connait un fort ralentissement. » Il ajoute également que le gouvernement doit mettre en place un plan pour les travailleurs du gig economy.
On ne sait toujours pas grand-chose sur ce que le futur pourra apporter, mais on sait que la situation est critique. Et il y a toujours espoir : Québec annonce 573 $ par semaine pour des gens qui ne pourront obtenir de revenu à cause de la crise du coronavirus, bien que les détails ne soient pas encore tous établis. Bandcamp a de son côté annoncé que vendredi, tous leurs revenus des ventes sur le site seraient directement donnés aux artistes, et un fond d’urgence pour musiciens locaux a été lancé.
En tout cas, il y a peut-être une bonne chose que cette crise apportera à l’industrie : la musique qui sera créée durant cette quarantaine.