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Le cinéma québécois anglophone

Peu connu et peu vu, le cinéma québécois anglophone a une existence particulière.

Par
Charles-Henri Ramond
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Pas tout à fait canadien, pas entièrement québécois, le cinéma anglo produit dans la Belle Province affiche une belle santé, mais reste en marge des productions francophones beaucoup plus médiatisées. Rapide tour d’horizon de quelques productions marquantes.

Inutile de refaire toute l’histoire du cinéma au Québec. Signalons simplement que le cinéma québécois anglophone a déjà une longue existence derrière lui. De nos jours, les films anglophones représentent environ 15% de la production québécoise annuelle de films de fiction. Malgré une telle proportion nos anglo-québécois restent méconnus du grand public. Leur visibilité médiatique est restreinte, leur présence aux Jutra est anecdotique et, pour une large part, leur diffusion se confine aux circuits de cinéphiles et de festivaliers.

En dehors de quelques cas isolés, il faut attendre les années 70 pour voir apparaître un corpus de longs métrages de fiction produits et tournés en anglais au Québec. Cet embryon de cinématographie remonte plus précisément à la mise en place de la « production canadienne assistée » par l’entremise de programme de financement de la SDICC (l’ancêtre de l’actuel Téléfilm Canada) qui souhaite alors développer une cinématographie nationale par la force du poignet et par l’octroi de quelques millions de dollars. Naît alors la série B québécoise anglophone.

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David Cronenberg, figure marquante du genre, signe plusieurs incontournables dont son inoubliable Videodrome produit par Claude Héroux en 1982. George Kaczender, John Sone, Jean Lafleur, William Fruet et même Claude Fournier avec son western utopique Alien Thunder, brandissent eux aussi les couleurs du cinéma de genre anglo-québécois. Du côté des productions plus conventionnelles, c’est aussi l’effervescence. Paul Almond, un réalisateur de télévision chevronné, signe Isabel (1968), un premier long métrage tourné à Shigawake en Gaspésie. Act of the heart, film sur l’absolu et l’amour, suivra en 1970 et, en 1972, Journey confirmera la renommée naissante de la comédienne montréalaise Geneviève Bujold. Parmi les autres films marquants de la décennie, deux traitent de la communauté juive de Montréal vue à travers diverses époques. The Apprenticeship of Duddy Kravitz du torontois d’origine bulgare Ted Kotcheff, est l’occasion de voir la toute jeune Micheline Lanctôt donner la réplique à Richard Dreyfuss dans une comédie douce amère traitant de l’ambition personnelle d’un jeune juif prêt à tout. L’année suivante, c’est au tour de Lies My Father Told Me du cinéaste d’origine tchèque Ján Kadár de se distinguer en obtenant le Golden Globe du meilleur film étranger. Plus proches du concret, les films Prologue de Robin Spry (1970), Montreal Main (1974) de Frank Vitale et The Rubber Gun d’Alan Moyle (1977) explorent quant à eux le côté moins glorieux d’un Montréal alors en pleine mutation, avec son lot de laissés pour comptes et de marginaux.

Sous la houlette de compagnies telles que Allegro ou Cinépix, les films de série B égrènent leur chapelet d’horreur ou de suspense et allongent la liste des productions aussi essentielles que futiles. Les aficionados se délectent encore des valentins meurtriers de My Bloody Valentine (George Mihalka, 1980), de la jalousie du mannequin maléfique de Pin… de Sandor Stern (1988) ou des réminiscences frankensteinniennes de The Vindicator de Jean-Claude Lord, également réalisateur de Mindfield, l’un des meilleurs du genre où des expériences sur la mémoire menées aux États-Unis dans les années 70 deviennent le prétexte d’une intrigue policière habile et nerveuse. Parmi les productions plus ambitieuses, plusieurs d’entre elles abordent le thème de la jeunesse en difficulté. C’est le cas de Malarek de Roger Cardinal, basé sur l’enfance trouble du réputé journaliste Victor Malarek, ainsi que Sitting in Limbo et Train of dreams, deux drames sociaux de John N. Smith. Dans ces années portées sur l’enfance, c’est sans aucun doute le film de Claude Gagnon The Kid Brother (1987) qui remporte le plus d’honneurs à l’étranger. Cette histoire est inspirée de la vraie vie de Kenny Easterday, enfant handicapé parcourant les États-Unis sur le pouce pour retrouver sa sœur.

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Les années 90 aplanissent les différences. Le nouveau venu Christian Duguay fait une apparition remarquée avec un épisode de la franchise Scanners, suivi de Screamers, thriller futuriste rempli de bibittes rampantes. Parmi les plus prolifiques des cinéastes anglophones, citons Douglas Jackson, auteur de polars et de films d’horreur devenus cultes, Michael Rubbo et ses films pour la jeunesse (dont Les aventuriers du timbre perdu), Bashar Shbib, montréalais cinéaste indépendant connu pour sa série The Senses constituée cinq films, tous sortis la même année. Même Denys Arcand tâte de l’anglais avec deux productions oubliables (Love and Human Remains et Stardom). Mais malgré un nombre croissant de propositions, les décennies 90 et 2000 marquent un certain recul dans la reconnaissance du cinéma québécois anglophone, contrastant avec le succès grandissant des productions francophones.

Il y a donc peu de chances que vous ayez vu Adam’s Wall de Michael McKenzie, Blood de Jerry Ciccoritti, The Descendent de Philip Spurrell, Refrain de Tyler Gibb ou encore The Point de Joshua Dorsey, pour ne citer que quelques titres récents. Toutefois, de temps en temps, un film parvient à retenir l’attention… à condition qu’il fasse rire ou utilise une vedette connue des francophones. C’est le cas pour Savage Messiah avec Luc Picard en chef de secte déjanté, Mambo Italiano comédie débilitante avec Ginette Reno, ou The Trotsky de Jacob Tierney, propulsé par une forte campagne publicitaire. Ces quelques réussites ne cachent toutefois pas la réalité : le cinéma anglo-québécois a du mal à percer dans son propre marché. Souvent restreint à quelques présentations en festivals ou confiné dans des circuits réduits, il est une affaire de curieux ou de connaisseur. Mais malgré ce relatif anonymat, notre cinéma anglo est bien vivant. En 2013, pas moins de cinq productions devraient voir le jour. Souhaitons leur – et à tout le cinéma québécois anglophone – une couverture médiatique suffisante pour leur permettre d’arriver jusqu’au public.

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Charles-Henri Ramond, Films du Québec

Image:
ISABEL, Paul Almond – Geneviève Bujold
Source : http://cinebeats.wordpress.com/2011/07/15/genevieve-bujold-is-isabel-1968/