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C’est même pas une blague. On me dit ça tout le temps. TOUT LE TEMPS.
Il y a tant de choses que j’aimerais qu’on me dise.
Que j’ai un beau grain de peau.
Que l’hiver va être doux cette année.
Que je suis cette femme que tu as attendue TOUTE TA VIE.
Hélas, non.
Ce qu’on me chuchote, me texte et me courrielle aux quatre bustiers, c’est plutôt (et toujours) que le chèque que j’attends depuis quatre mois pour payer mon babeurre est en transit, comme transite toujours la tarte à la farlouche que t’as mangée aux fêtes de 94.
J’ai choisi d’être travailleuse autonome.
Et mon travail, je l’aime. Il me rend heureuse comme c’est pas permis (bon; ne m’imaginez pas SI heureuse que ça, tout de même. J’ai mes petits moments beiges, comme tout le monde. Comme quand mes bottes d’hiver percent par jour de gadoue ou que je m’asseois sur un banc réchauffé par les fesses d’un autrui que je ne connais guère dans le métro).
Qu’à cela ne tienne; je remercie souvent les feuilles dans les arbres – la tête tournée vers les airs, je ne sais trop «quoi» ou «qui» remercier, en fait. Alors je m’adresse aux feuilles. Eh, lali lali. Quand je suis heureuse, j’ai ce petit côté celtique qui me pousse à remercier le cosmos (si tu me vois marmonner en sortant du Maxi, je suis pas après reviser mon pater noster. JE REMERCIE LE CIEL POUR LE SPÉCIAL SUR LES FUSILLIS) – de m’avoir menée où je suis aujourd’hui. De m’avoir rosi la joue.
Parce que je peux-tu vous dire que j’étais pas partie pour écrire des rimes et des petits billets fun FUN dans la vie, quand j’étais fille?
Du plus loin que je me souvienne, je voulais faire (Lucille Teasdale, femme) médecin. J’ai toujours voulu faire médecine; et mon raisonnement était à l’équerre: j’avais de bonnes notes. Oui. C’était là l’entièreté de mon raisonnement. Cinq mots phares qui m’ont menée à faire le bacc de biochimie (j’avais raté le test du «saut dans le cerceau de feu» pour entrer en médecine, moi qui m’étais pourtant démarquée avec mention dans la «marche sur un ballon». Quel gâchis).
De longs mois de torture à me faire croire que j’aurais un jour un stétoscope dans le cou à ajuster la hauteur des étriers de mon cabinet gynécologique shiny comme le diamant dentaire de Marie-Chantal Toupin.
Un beau matin de courage – je sais ben pas ce qui m’a pris, puisque je n’ai jamais été très courageuse – j’ai tout quitté. La biochimie. Le Tim Horton’s (où je fourrais les beignes à’ poudre coin Curé-Poirier/Taschereau pour payer mes cahiers Canada). Mes certitudes.
Et je me suis lancée dans le vide. À tâtons.
J’avais toujours écrit; mais j’ignorais encore que j’en ferais profession. J’ai donc tout repris depuis le début (sauf qu’à ce moment-là, je savais déjà attacher mes lacets. C’était toujours bien ça de pris).
Études. Boulot. Stage.
Mon épiphanie rédactionnelle m’est d’ailleurs venue lorsque je me suis ramassée stagiaire à écrire les jokes de Jean-François Baril à feu l’émission du matin Caféine à feu TQS. Oui. J’ai déjà fait ça.
Voilà ce que je voulais faire: écrire. Pour moi. Pour plein de monde. Pour Jean-François Baril, aussi
(allô, Jean-François Baril)
Me voilà donc, huit ans plus tard, digne pigiste par choix. MON DOUX, JE SUIS APRÈS VOUS RACONTER MA VIE. Attendez que j’arrive au bout où « dans mon temps, on attachait des oignons après nos ceintures ».
Alors voilà. Mon bonheur n’étant pas dans le pré mais dans la pige, j’ai, au fil du temps, développé une idylle on ne peut plus malsaine avec ma boîte aux lettres.
Qu’est-ce qu’elle est belle. ELLE EST DORÉE.
* Elle scintille *
Et elle est toujours vide.
Toujours. Parce que je passe mon temps à la vider. Mais aussi parce que les chèques qu’on me promet avec une voix de Morgan Freeman mettent toujours quelques révolutions à se ramasser dans le petit sac de taille de monsieur le facteur.
Monsieur le facteur. JE L’AIME TANT.
Même s’il change toujours de tête. J’ignore si c’est le roulement régulier de Postes Canada ou si tout le monde se bat simplement pour pas être assigné à livrer le courrier chez la folle aux yeux injectés de sang qui répond à’ porte en robe de chambre, mais mes facteurs changent souvent de run de lait. Malgré tout, je les reconnais. TOUJOURS. J’encrypte leur faciès dans mon cervelet. Je leur offre des biscuits, pleine d’espoir. Leur envoie la main de l’autre bord de la rue, quand je croise leur chemin dans un autre pâté de maison. S’ils pouvaient rentrer dans leur grand’poche de facteur, ils le feraient.
Toujours est-il qu’en 2014 (en assez bonne route vers 2015, oserais-je même dire) eh bien on n’hésite encore pas une seule vesse, et ce qu’importe le prestige de mes clients, à me dire, avec l’assurance d’un fauve, que mon saint-sifri de chèque en retard (et sans doute pas émis que le yâbe) est dans la malle.
DANS LA MALLE.
Même trois semaines plus tard. Il est toujours dans la malle.
Il est peut-être après tournailler dans le mécanisme de grosses machines avec Charlie Chaplin dans Les temps modernes. Il est peut-être dans le coffre à gants de Thelma et Louise. Ou après virevolter comme la plume de Forest Gump, pour atterrir près d’un dividu propriétaire de prospère crevettier sur un programme spécial pour lui faire vivre un grand moment de poésie.
Mais qu’on se le tienne pour dit: MON CHÈQUE EST JAMAIS DANS LA MALLE.
On dirait que ces gens, ces gestionnaires qui, profondément déprimés à l’idée de s’adresser à la petite writer qui fait des finesses au téléphone en quémandant son trente-deux piastres et quart avec toute la gêne indigente qui vient avec, ne se doutent pas que ce trente-deux piastres et quart-là, j’en ai besoin pour acheter des white strips à mon caniche de grain. Qu’aussi tiny-rikiki soit-il, ce montant, j’en rêve.
Il n’y a pas. Je répète, il n’y a pas pire phrase bon marché à adresser à quelqu’un, à moins que l’objectif ne soit de faire mourir ladite personne d’une crise d’angoisse ou par crémation, après qu’elle se soit enfargée dans la trâlée de lampions qu’elle avait allumés dans l’entrée de son bloc près d’un portrait de la Santa Maria.
Je préférerais cent fois qu’on me rote un franc « On te payera pas tusuite, ma nouare. Va péter dans les fleurs (pour que ça sente meilleur) ».
Parce que Votre chèque est dans la malle, aussi cristallin soit le verbe et la diction de la petite dame qui a tiré le petit brin à la courte-paille du « qui diable va répondre à cette pigiste qui nous quémande son dû », ça se résume à dire:
Que Vol 920, c’est rempli de promesses, comme programme.
Que le steak haché que t’as acheté lundi sera délicieux ce soir.
Que personne a remarqué le trou dans tes bas.
Que ce vendredi de septembre est pas étouffant pantoute.
Que l’amour existe encore
Et que Joan Rivers va très bien.
Y’a rien de moins sûr.
La bise.