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Le cauchemar des voyageurs avant les vacances
Pas besoin de fouiller longtemps pour s’enfarger dans les histoires d’horreur ces jours-ci à l’aéroport de Montréal. On peut même choisir le thème : au départ, les voyageurs et voyageuses qui se croisent les doigts en attendant leur vol (souvent annulés ou retardés), ou à l’arrivée, ceux et celles qui prient pour que leurs valises soient dans le carrousel.
Mais bon, le chaos observé à l’aéroport n’est pas le propre de Montréal seulement. La pénurie de main-d’œuvre dans les aéroports (pour les bagages notamment) et au sein des compagnies aériennes perturbe la reprise des vols après deux ans de pandémie, marquée évidemment par un fort enthousiasme à l’idée de prendre le large.
Complètement débordée, Air Canada a d’ailleurs annoncé une réduction de son horaire d’environ 150 vols intérieurs par jour en juillet et août prochains, la plupart au départ ou à destination des plaques tournantes de Toronto et Montréal.
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Le branle-bas est tel que le grand patron d’Air Canada (t’sais, celui qui est sorry I don’t speak le french) a présenté par courriel ses excuses à sa clientèle (allô!), assurant tout mettre en œuvre pour que voyager redevienne une expérience dispendieuse, mais agréable.
« Début 2020, la pandémie de COVID-19 a réduit le système de transport aérien au point mort sur toute la planète. Aujourd’hui, plus de deux ans plus tard, les voyages remontent en flèche dans le monde et le public recommence à prendre l’avion à une fréquence sans précédent pour notre industrie », souligne entre autres le DG Michael Rousseau pour justifier le fiasco actuel.
Un fiasco qui prend plusieurs visages, à commencer par celui d’Hugues Tsafack et sa famille, coincés depuis mardi dans le terminal aux airs de maison des fous d’Astérix.
« Notre vol vers le Cameroun (avec une escale à Bruxelles) devait partir mardi à 8 h du matin. On est partis de Trois-Rivières vers 3 h pour être sûrs de ne pas le rater. L’avion est finalement parti sans nous puisqu’on a pas eu le temps de s’enregistrer. Vers 19 h, mon frère est venu nous chercher… », raconte Hugues, excédé, lui qui avait même fait l’aller-retour chez son frère la veille de son vol (prévu) pour trimballer une partie de ses bagages.
Son vol a été remis à 18 h jeudi, jour où je l’ai rencontré. Mais la famille ne se berce pas d’illusions. « On est là depuis 6 h ce matin et à l’enregistrement, on nous dit qu’il est trop tôt. On est coincés, impuissants… », peste ce père de trois jeunes enfants âgés de 5 à 12 ans, qui tuent le temps comme ils peuvent durant ces longues journées d’aéroport.
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La famille prévoit passer un mois et demi dans son pays d’origine pour voir les siens. Hugues calcule avoir déjà englouti 1300 $ pour des tests PCR obligatoires faits au privé. « On a dû les faire à deux reprises, puisque les premiers étaient expirés hier étant donné qu’on devait partir mardi », se désole le Trifluvien, qui a bien hâte d’embarquer dans l’avion. La perte ou l’égarement potentiel de ses bagages sont pour l’instant le cadet de ses soucis. « Le plus important est d’arriver. Toute la famille nous attendait au départ mercredi », soupire-t-il.
L’heure avance au rythme de la file qui s’étire de plus en plus pour mener aux comptoirs d’enregistrement, où aucun.e employé.e n’est encore en poste.
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Sur le tableau affichant les départs, l’image parle d’elle-même. Une majorité de vols sont retardés et certains sont carrément annulés. Selon une statistique de Data Wazo citée dans La Presse, quelque 54 % des vols en direction des quatre grands aéroports du pays (Toronto, Montréal, Vancouver et Calgary) n’ont pas été en mesure de respecter leur horaire entre le 22 et le 28 juin.
Dans une file menant au comptoir d’une compagnie aérienne (Sunwing), une famille se croise les doigts pour que son vol vers une station balnéaire se déroule sans anicroche, un exploit par les temps qui courent. « Je n’ai jusqu’ici aucune consigne selon laquelle le vol est arrivé, mais on se croise les doigts », souligne le papa, qui suit attentivement la situation sur son cellulaire.
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À l’aire d’arrivée un étage plus bas, les valises s’empilent aux abords des carrousels. Des bagages égarés lors des correspondances ou qui n’ont jamais quitté l’aéroport, faute d’effectifs, m’explique un agent de sécurité un peu dépassé par les évènements. « Je ne me fais pas trop crier après, mais les gens sont stressés », confie l’homme, qui dit n’avoir jamais vu une telle situation dans sa carrière.
À quelques mètres de lui devant un carrousel, Jennifer fouille dans les valises pour tenter de repérer – par miracle – celle de sa maman. Ce qui devait au départ être un vol rapide de Philadelphie vers Montréal (avec une escale à Toronto) s’éternise depuis maintenant 24 h pour la jeune femme et sa mère, qui habitent la métropole.
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« On a passé plus de huit heures à Toronto cette nuit au lieu de deux et une fois ici, on ne trouve les bagages de ma mère nulle part. On n’a aucune information à ce sujet de la part d’Air Canada ni de personne », raconte-t-elle désemparée et frustrée.
« On est super fatiguées, des gens pleuraient tantôt. J’ai pas l’intention de partir sans les bagages de ma mère », ajoute Jennifer, qui allait rendre visite à sa grand-mère malade aux États-Unis.
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De retour dans la section des départs, les visages sont longs et l’inquiétude, palpable.
Hugues Tsafack et sa famille prennent toujours leur mal en patience dans la longue file d’Air Canada. Quelques équipes de télévision quadrillent les lieux et permettent aux intéressé.e.s de ventiler un peu. Ma collègue Véronique de TVA, à pied d’œuvre depuis quelques jours déjà, souligne reconnaître des visages de voyageuses et voyageurs cloués au sol.
Saluons au moins la transparence de l’aéroport, qui permet aux médias de faire leur travail, puisque ces derniers étaient récemment refoulés aux portes du complexe Guy-Favreau, où sévit la crise des passeports.
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Autre scène inhabituelle : tous les téléphones de la ligne d’urgence d’Air Canada situés au bout du terminal sont occupés en même temps. Un geste désespéré pour obtenir de l’aide, qui illustre bien le degré d’impuissance.
La Montréalaise Jade a le combiné sur l’oreille depuis plus de deux heures, sans succès jusqu’à maintenant. « Depuis lundi que j’essaye de changer la date de mon vol prévu vendredi. J’ai d’abord passé 56 heures au téléphone de chez moi, où on m’a dit que personne ne pouvait m’aider. Hier, je suis venue en personne et au comptoir, on m’a dit qu’ils étaient trop occupés pour gérer ça. Même chose par Internet. On m’a finalement orientée vers ce téléphone… », soupire Jade, qui risque de perdre son billet vers Francfort si personne ne peut changer sa date de départ. « C’est extrêmement, extrêmement mauvais. L’autre personne à côté de moi a passé plus de trois au téléphone avant d’avoir quelqu’un, c’est mon dernier espoir… »
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À côté d’elle, Julian aussi s’accroche à l’espoir de parler à un humain pour obtenir un nouveau vol et retrouver ses bagages après avoir raté sa correspondance vers Victoria à cause d’un retard de près de deux heures lors d’une escale à Toronto. « Je suis parti d’hier de la Roumanie et j’avais quelques escales prévues jusqu’à Victoria. Personne ne peut me dire où sont rendus mes bagages et je sais pas je repars quand », résume, en proie au décalage horaire, le jeune homme qui a dû se payer une chambre d’hôtel à 200 $ pour passer la nuit.
« Hier je pouvais parler à personne, il y avait cinq fois plus de monde et tout le monde avait des consignes contradictoires. Je me suis dit que c’était peut-être plus rapide de venir en personne… », déplore Julian, maintenant condamné à poireauter à la ligne d’urgence puisque le préposé à la file menant à Air Canada l’empêche de passer, faute de billet à enregistrer. « C’était vraiment mieux à Munich (où il a fait escale) et même en Roumanie, d’où je suis parti. Quelle belle façon de finir des vacances… », ironise-t-il.
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Mais bon, le plus scandaleux dans tout ça est assurément les 31 $ que j’ai dû débourser pour passer moins de deux heures à l’aéroport pour ce reportage.
De l’eau et des bretzels
Une fois à la maison, je passe un coup de fil à un de mes amis agents de bord pour Air Canada – appelons-le Gilles – pour lui demander comment il vit ce bordel de l’intérieur. « Presque tous les vols sont en retard, les gens sont frustrés, s’énervent. Un passager en train de manquer sa connexion a quasiment arraché la tablette et donnait des coups de pied dans le banc. Je n’ai jamais vu ça », résume l’agent de bord, à l’emploi du transporteur canadien depuis une quinzaine d’années.
Le plus gros problème, ajoute Gilles, c’est qu’il n’y a aucune gate lors de l’arrivée des avions sur le tarmac montréalais. « On doit parfois attendre un mois et demi dans le champ, surtout pour les vols domestiques, et c’est là que les gens ratent leur connexion », indique l’agent de bord, qui a dû mal à comprendre pourquoi son employeur a tenu à booker autant de vols dans le contexte actuel.
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« On ne laisse pas assez de temps entre les vols, tout le monde rate leur connexion et ça fait un effet domino », explique Gilles, aux premières loges pour assister à la gestion broche à foin du transporteur. « Notre nouvelle consigne est de faire avec ce qu’on a côté bouffe puisqu’on n’a pas le temps de refaire le plein. Sur plusieurs vols, il n’y a que de l’eau et des bretzels. On part avec des avions crottés aussi, puisque le ménage n’a pas toujours le temps de se faire ou on le fait nous-mêmes. »
Il ajoute que le personnel a présentement peur que les avions repartent trop vite, en bâclant leur entretien. « J’ai l’impression que la compagnie a tellement perdu de cash qu’elle est prête à tout », s’inquiète l’agent de bord, qui compare la ruée vers l”aéroport à celle pour mettre la main sur du papier toilette au début de la pandémie.
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Résultat : ses collègues et lui servent de punching bag pour permettre aux voyageuses et voyageurs frustrés de se défouler. « Les gens sont fâchés et ne se gênent pas pour te le faire savoir. On doit menacer des gens de contacter la police et distribuer des cartes d’avertissement. »
Au terme de ce reportage, j’ai eu droit à assez de récits cauchemardesques pour me conforter dans mon projet de rouler jusqu’au Nouveau-Brunswick pour mes vacances estivales.
Je termine avec une petite pensée solidaire pour tous ces gens qui ont dû subir le bordel pour mettre la main sur leur passeport ET survivre à un voyage chaotique en avion pour « profiter » ensuite des vacances les plus méritées de leur vie.