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Le carré rouge de la discorde (encore)
Le carré rouge a causé malgré lui bien des remous en fin de semaine dernière, en marge du congrès national de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui se tenait à Drummondville.
Une délégation de quatre leaders de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) portant le symbole du printemps érable pour souligner le dixième anniversaire de la crise dit avoir subi un traitement pour le moins cavalier de la part du Parti et de son chef François Legault.
La Presse a brièvement rapporté l’affaire lundi, mais les représentant.e.s étudiant.e.s souhaitaient revenir sur les événements.
De son côté, l’entourage du premier ministre assure que François Legault a pris le temps de rencontrer les leaders étudiant.e.s échaudé.e.s et même d’échanger avec le groupe, à l’instar de la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCann. « La réalité, c’est qu’ils plaidaient pour la gratuité scolaire effective et M. Legault leur a dit que ce n’était pas une position qui est proposée par la CAQ », m’a écrit l’attaché de presse Ewan Sauves, ajoutant que le congrès « n’était pas le lieu ni le moment » pour porter le carré rouge.
Mais revenons au début de cette histoire, lorsque les quatre étudiant.e.s se présentent au Centrexpo Cogeco, où se tenait le congrès sous haute surveillance policière.
D’emblée, il n’y a rien d’extraordinaire à la présence de représentant.e.s étudiant.e.s dans de tels rassemblements partisans, assure les principaux intéressé.e.s. « La FECQ est une association non partisane. Nous sommes membres de plusieurs partis et c’est courant de participer aux congrès à titre d’observateurs parce qu’on ne veut pas voter, pour réseauter avec des élu.e.s et échanger sur nos préoccupations », raconte la nouvelle présidente de la FECQ Maya Labrosse, parlant au nom de 78 000 étudiant.e.s à travers la province.
Fraîchement élue à la tête de sa fédération (elle entre officiellement en fonction mercredi), c’est donc dans un esprit de passation des pouvoirs que Maya Labrosse s’est présentée samedi au congrès de la CAQ, flanquée de ses camarades Frédéric Beaudet (nouveau VP), Samuel Vaillancourt (président sortant) et Claudie Lévesque (VP sortante).
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Quant au port du carré rouge épinglé sur leur vêtement, Maya Labrosse assure qu’il n’a aucune visée belliqueuse. « Depuis le 22 mars (commémorant une manif monstre symbolisant le moment fort du «printemps érables»), on porte le carré rouge dans tous nos événements. Ça avait été bien reçu partout jusqu’ici…», souligne Maya Labrosse, qui l’a porté à quelques reprises depuis mars, notamment lors du dépôt du budget à Québec et à un rassemblement de la Commission de la relève de la CAQ. « On l’avait aussi à un 5 à 7 de la Commission jeunesse des libéraux et ça n’a fait aucun problème », indique la nouvelle présidente.
Au-delà du symbole – souvent associé à la gratuité scolaire effective – Maya Labrosse insiste sur le fait que cette revendication n’en est qu’une parmi d’autres défendues par la FECQ et que l’objectif est d’abord de lancer un dialogue sur l’éducation avec les élu.e.s, particulièrement avec le premier ministre Legault, aussi responsable des dossiers jeunesse.
«Est-ce vraiment nécessaire de porter ça?»
C’est dans ce contexte que Maya Labrosse et les autres se sont donc présenté.e.s samedi au congrès. Comme les étudiant.e.s sont dûment inscrit.e.s, tout se passe bien à l’entrée, avec la remise de leur cocarde d’observateurs, leur donnant le droit de participer à l’ensemble des activités prévues tout au long de la fin de semaine.
Leurs problèmes commencent en se rendant dans la salle où se déroule le congrès. « Une organisatrice hostile nous arrête en chemin en nous demandant si c’était vraiment nécessaire de porter ça (le carré rouge) et si c’était possible de l’enlever », rapporte Maya Labrosse, qui refuse alors d’obtempérer à l’instar de ses camarades, plaidant que la gratuité n’est qu’une revendication parmi tant d’autres.
Le petit groupe prend place au fond de la salle, dans la section dédiée aux observateurs, où se trouvent d’ailleurs d’autres membres d’associations étudiantes. Maya Labrosse préfère maintenir leur anonymat, pour ne pas les mêler à ça.
À peine vingt minutes après leur arrivée, un représentant de la CAQ et trois policiers de la SQ en civil seraient venus voir les étudiant.e.s pour leur demander de les suivre. Les jeunes argumentent, en vain.
« À l’extérieur de la salle, ils nous disent qu’ils vont faire sortir les observateurs et qu’ils vont nous rembourser si on ne fait pas trop de vagues. Ils refusent au départ de nous dire pourquoi », raconte Maya Labrosse, âgée de 20 ans.
La délégation insiste un peu pour comprendre ce qui motive leur expulsion et le représentant de la CAQ finit par admettre que c’est à cause de leur carré rouge.
-Vous essayez de nous censurer?, lui demande Maya Labrosse.
-Oui, aurait-il répondu.
La leader étudiante assure n’avoir fait aucune vague qui aurait pu justifier cette sanction ni n’avoir montré aucun signe d’agressivité
Les représentant.es de la FECQ décident donc de «faire aller» leurs contacts au sein de quelques cabinets de la CAQ, pour finalement obtenir de réintégrer le congrès. « On s’est rassis au fond de la pièce, un peu ébranlé.e.s », admet Maya Labrosse.
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Au cocktail des militant.e.s en fin de journée, les étudiant.e.s de la FECQ attendent leur tour pour parler au premier ministre, dans l’espoir d’organiser une rencontre et parler d’enjeux jeunesse. « Des gens l’ont rassuré sur nos intentions, sur le fait qu’on ne prendra pas de photos avec lui et tout », souligne Maya Labrosse, qui a finalement obtenu une brève audience avec François Legault, qui se serait plutôt mal passée selon elle. « Il a «bucké» sur le carré rouge, a dit que ça n’avait pas d’allure, ni sa place ici. On n’a pas pu placer un mot sans qu’il nous coupe chaque fois, on était mal à l’aise », souligne Maya Labrosse, qui dit avoir été aussi associée à Gabriel Nadeau-Dubois par le premier ministre. « On a voulu lui expliquer qu’en 2012, ce n’était pas notre porte-parole et qu’on représente 78 000 membres, dont plusieurs sur des territoires caquistes », déplore la dirigeante de la FECQ, qui se désole de voir que le premier ministre a du mal à passer par-dessus des symboles et ses chambres d’échos pour entendre d’autres opinions que la sienne.
La gratuité certes, mais plusieurs autres enjeux
Maya Labrosse est d’ailleurs bien consciente que la CAQ n’est pas en faveur de la gratuité scolaire effective (qui consiste à payer la facture académique des élèves dans le besoin). Cela ne l’empêche pas d’assister à ces congrès pour rencontrer des élu.e.s et pousser leurs autres dossiers importants. Lesquels? « La violence à caractère sexuel sur les campus, revoir le fonctionnement de la cote R, l’accès au logement étudiant, etc. », énumère spontanément Maya Labrosse, qui ressort un peu amère de toute cette affaire. « Je dirais que notre mot-clé c’est l’inquiétude. On a un peu peur que l’événement nuise à nos échanges avec le PM et surtout, qu’on nous accuse de “jouer à la victime” comme certain.es l’ont fait depuis samedi », résume-t-elle.
Et comme les caquistes sont bien en selle pour demeurer au pouvoir aux prochaines élections, la fédération étudiante craint que cette inquiétude soit légitime.
La CAQ affirme néanmoins « qu’aucun gouvernement n’a autant misé sur le réseau collégial que le nôtre », citant l’accessibilité aux études avec une bonification substantielle des prêts et bourses, les bourses d’études octroyées dans les domaines où sévit la pénurie de main-d’œuvre, l’indexation des droits de scolarité à 2,64% malgré l’inflation et des investissements majeurs en santé mentale pour les étudiant.e.s.
Un simple carré rouge porté symboliquement dans un congrès assourdira-t-il le dialogue entre le gouvernement et des milliers d’étudiant.e.s?