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Le camp pro-camps

Refus Local exige un moratoire sur les démantèlements.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Le son d’un zipper en arrière-plan. Une dame sort d’une des seules tentes du campement naissant. Sarah, 58 ans, a été évincée de son logement la veille. C’est la deuxième fois qu’elle se retrouve à la rue. Elle a entendu parler d’un nouveau campement à proximité et a atterri ici, baptisant les lieux sans le savoir. « Je veux que les gens sachent que ça peut arriver à tout le monde de se ramasser dans la rue! », plaide la dame.

Sarah est la toute première locataire d’un campement qui vient de voir le jour à Montréal et qui a pour but de faire pression sur les autorités pour exiger un moratoire sur les démantèlements de campements et des abris de fortune érigés par des personnes en situation d’itinérance.

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Cette initiative un brin méta a pris racine le 1er juillet – date hautement symbolique – au parc des Faubourgs, dans le quartier Centre-Sud.

À mon arrivée, le campement n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements. Quelques tentes, une poignée d’occupants, une table à pique-nique, quelques denrées, une cafetière, un périmètre délimité avec des bâches, mais pour tenir le tout, beaucoup de motivation.

C’est ce qui ressort de ma rencontre avec Léandre et Guillaume, les vingtenaires derrière ce nouveau projet d’occupation de l’espace public.

« Un campement devrait être un moyen de survie toléré partout! », lance avec aplomb Léandre, 28 ans, les traits tirés par une deuxième nuit passée en dehors de son appartement, qu’il partage avec des colocataires.

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Lui et Guillaume, 27 ans, ne se connaissent que depuis trois semaines, mais une franche camaraderie semble déjà souder les deux militants. Ils ne prennent aucune décision sans consulter l’autre, à commencer par m’accorder ou non une entrevue lorsque je débarque au parc à l’improviste, mercredi matin.

Une équipe de TVA est assise en retrait sur un banc de parc après avoir brisé la glace médiatique. « On a parlé avec eux, on peut aussi te parler, mais on va ensuite brainstormer pour une sortie médiatique plus officielle », m’explique Léandre en toute transparence, de loin le plus loquace des deux.

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Les campements : un moindre mal

Ceux-ci m’offrent un café tiède et prennent place devant moi à une table de pique-nique.

D’emblée, ils m’expliquent la genèse de leur occupation. Après avoir travaillé dans le milieu communautaire en itinérance, Guillaume souhaite se porter à la défense des plus vulnérables et marginaux de notre société. « On se demande pourquoi ils ne veulent pas participer à la société alors qu’on les chasse de partout », déplore le jeune homme en grillant une cigarette. Celui-ci a par ailleurs quitté son propre logement pour défendre ses convictions.

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À l’heure où les refuges pour sans-abri débordent et où une crise complique l’accès au logement, il est crucial de ne pas empêcher les gens de s’organiser dans des campements de fortune, croient-ils. Un moindre mal, estiment Léandre et Guillaume, consternés devant les centaines de démantèlements rapportés chaque année à Montréal. L’an dernier seulement, c’est près de 500 abris de fortune qui auraient ainsi été démantelés par les autorités. Des statistiques qui vont de pair avec la hausse des personnes en situation d’itinérance, qui a fait un bon de 44% en cinq ans, particulièrement dans la métropole. Ces démantèlements n’empêchent toutefois pas Québec de dénoncer l’inaction de Montréal dans sa gestion des campements, notamment le campement propalestien érigé depuis plus de deux mois devant l’Université McGill.

Si la Ville invoque des motifs de sécurité pour justifier ces démantèlements, quelques instances prônent une approche différente, faute de proposer mieux. À Longueuil, par exemple, on préconise la tolérance en se basant sur la Charte canadienne des droits et libertés, en attendant de pouvoir loger convenablement tout ce monde. Granby avait aussi concédé des zones de tolérance, avant de finalement changer son fusil d’épaule. À Gatineau, une injonction citoyenne avait empêché la ville de déplacer un campement situé près d’un aréna pour des raisons de sécurité, l’an dernier.

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À l’instar du Refus Local, le RAPSIM réclame également un arrêt immédiat des démantèlements de campements à Montréal, en plus d’un investissement massif dans le logement social. « Le plus gênant, c’est que 90% des démantèlements se déroulent dans Ville-Marie, l’arrondissement de la mairesse Plante et du responsable de l’itinérance au comité exécutif Robert Beaudry », note Léandre, martelant qu’avoir un toit sur la tête, même s’il est en toile, est la moindre des choses.

Militer en dormant à la belle étoile

Un camion d’entretien de la Ville passe à côté de nous dans le sentier traversant le parc. Son conducteur envoie la main à Léandre et Guillaume. « On est en train de s’organiser et jusqu’ici, nos relations sont bonnes avec la Ville, mais aussi avec les citoyens », souligne Guillaume, spécifiant que l’emplacement de leur campement n’a pas été choisi au hasard. Sur place, il y a des boîtes pour récupérer les seringues, deux toilettes chimiques, des dépanneurs ouverts 24h et les appartements voisins sont considérablement reculés.

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Léandre estime que des actions doivent être prises pour faire bouger les choses.

« C’est pas nouveau, la crise du logement. L’accueil Bonneau existe depuis plus de 100 ans (1877) et combien de Nuits des sans-abris on va devoir souligner avant qu’il se passe quelque chose? »

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Avec son campement, il aimerait bien déstabiliser le pouvoir. « Mais on n’est pas violent. On dort à la belle étoile », ajoute-t-il en souriant.

L’éthique du possible

Léandre et Guillaume misent sur la débrouillardise québécoise pour ériger un campement inclusif et ouvert au dialogue.

« Ici, ce n’est pas un safe space, mais bien un brave space », illustre Léandre.

Pour contrer le sentiment d’impuissance ambiant, Léandre parle d’« éthique du possible », soit une façon d’aller au-delà des préjugés et des idées préconçues. Pour ce, il compte bien prêcher par l’exemple. « Je ne suis pas en faveur de la mission de la police, mais j’ai eu une bonne conversation avec un agent qui m’a avoué que les démantèlements ne donnaient pas grand-chose, que les campements étaient juste refaits ailleurs dès le lendemain », raconte Léandre, qui a également pu être témoin du côté plus humain de la police.

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Fait à noter, les deux jeunes hommes soutiennent l’ensemble des campements, tant pour les itinérants que pour les sympathisants propalestiniens.

Sarah, venue s’asseoir avec nous, tend une cigarette à Léandre et Guillaume, reconnaissante d’avoir été accueillie avec ses maigres effets personnels. « Je ne sais pas combien de temps je vais rester ici », avoue Sarah, devant son avenir incertain.

« On va regarder parallèlement s’il y a de la place dans les refuges », affirme Guillaume.

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Celui-ci et Léandre sont prêts à poursuivre leur action « le temps qu’il faudra », soit jusqu’au décret d’un moratoire sur le démantèlement des campements tous azimuts.

En attendant la force du nombre

Leur mouvement part de loin, ils ne s’en cachent pas. « On n’a pas la force du nombre. C’est un peu notre faiblesse », admet Léandre, qui invite d’ailleurs les gens à venir faire un tour sur place, pour camper ou simplement occuper les lieux.

De bons samaritains viennent déjà leur apporter des dons de toutes sortes : de la nourriture, des vêtements , des sacs de couchage , des ustensiles en plastique et des tentes. C’est un début. Léandre et Guillaume sont conscients des possibilités d’être confrontés à des enjeux de santé mentale, de consommation et jurent qu’ils feront tout ce qu’ils peuvent pour faire respecter l’ordre dans le campement. « La cohabitation sociale est importante. On ne veut pas invisibiliser les souffrances des gens », résume Léandre, qui a d’ailleurs hébergé, la nuit dernière dans sa tente, un restaurateur voisin, dont l’appartement est passé au feu. « On s’attend aussi à voir débarquer des étudiants et des travailleurs qui se ramassent à la rue après avoir été évincés », ajoute-t-il.

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Avant de partir, je propose d’immortaliser Léandre et Guillaume devant leur campement, sans succès. Humbles, les deux jeunes hommes m’expliquent ne pas vouloir voler la vedette à leur combat.

Au loin, des enfants piaffent d’enthousiasme devant le début de la pièce Fortissimo!, présentée par le théâtre La Roulotte.