Pour la nostalgique de Step Up en moi, je dois dire que le breaking (appelé à tort break dancing) m’a longtemps fascinée.
Un peu comme toutes les adolescentes au cœur rebelle, j’aspirais à baigner dans cette contre-culture. Pour moi, il y avait quelque chose de poétique à s’enticher de cet univers où on semblait n’obéir qu’à ses propres règles, brisant du même coup tous les codes et les conventions.
Mais qui n’a jamais rêvé d’enchaîner les acrobaties sur des rythmes endiablés quelque part dans une ruelle glauque avec un groupe d’amis aux airs de petits bums?
À quelques jours de l’entrée en scène du breaking aux Jeux olympiques de Paris, il était temps de raviver cette flamme en moi.
Munie de mes plus beaux baskets, j’amorce mon apprentissage entre les murs de l’Université Concordia.
Entre la danse et le sport
Dans une pièce colorée, bordée d’une murale éclatée, je m’apprête à apprivoiser cet art en compagnie de la B-Girl Bérénice Dupuis.
D’emblée, elle me révèle ce qui la fait vibrer.
« En fait, ce qui m’a vraiment attirée, au départ, c’est que ça assouvit tous tes besoins », raconte celle qui est tombée en amour avec le breaking à l’adolescence. « C’est une danse, mais c’est vraiment très physique. C’est un sport complet. Chaque partie du corps est engagée. Tu prends comme appui la tête, les coudes, les genoux, les pieds. »
« Puis, en même temps, il y a le côté artistique. Il faut être créatif, trouver son personnage, déceler les concepts que tu vas utiliser et créer tes propres patterns. »
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Si plusieurs ont sourcillé lorsque le comité organisateur des Jeux d’été de Paris a annoncé l’ajout du breaking à son programme olympique, quelques bribes d’une chorégraphie suffisent pour comprendre. Cette danse hautement acrobatique nécessite l’équilibre, la force brute et la souplesse.
« C’est presque magique, parce que ce sont des mouvements qui sont un peu surréels. On défie les lois de la physique », illustre celle que l’on surnomme B-Nice dans le milieu du break.
Une synergie s’installe lorsque Bérénice s’élance sur le sol et tournoie dans les airs pour montrer son savoir-faire. Un mariage parfait entre acrobaties et mouvements gracieux.
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« C’EST UNE RECHERCHE DE SOI »
À travers son récit, je découvre toute la splendeur et la complexité de cette discipline longtemps méconnue.
Pour les adeptes, le breaking est plus qu’un art ou un sport.
« Ce qui est intéressant, c’est que ça incarne une certaine philosophie, un savoir-vivre, une recherche de connaissances sur le corps. Essayer d’ouvrir nos sens, puis que ce soit esthétique », philosophe-t-elle.
À chacune de leurs prestations, les B-Boys et B-Girls puisent dans leur créativité. Que ce soit debout, au sol, lors de séquences complexes qui défient la gravité ou dans une position immobile, ils se livrent à une séance d’improvisation spectaculaire lors des batailles à un contre un. Face à leur adversaire, les danseurs enchaînent rapidement les mouvements. Top Rocks, Down Rocks, Power Move, Freeze. Tout est spontané.
Au rythme de la musique, on tente de communier avec le DJ, qui dicte le ton en créant l’ambiance musicale.
« Ça prend un énorme contrôle de soi, de son corps », explique B-Nice.
Cette notion, j’ai tenté de la mettre en pratique lorsque nous nous sommes exercées ensemble. Rythme, coordination, force physique. Ça prend tout un éventail d’aptitudes pour être en mesure de réaliser les mouvements. Tout ça en se laissant aller afin d’accéder à son côté créatif nécessaire pour composer une chorégraphie au fur et à mesure.
Disons que le voir, c’est une chose. Le faire, c’en est une autre.
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« Ce qui est intéressant, en breaking, c’est d’être capable de rider cette adrénaline-là, dépeint Bérénice. La compétition apporte ce moment-là où tu sens l’adrénaline et le stress monter, mais tu les transformes en quelque chose d’artistique. »
Si l’aspect physique n’est vraiment pas de tout repos, le break crée une véritable symbiose entre le corps et l’esprit. Il laisse place à une délicate sensation de plénitude et de bien-être, l’état de flow recherché pour arrimer créativité et concentration.
« C’est ton moment à toi. C’est un espace spécial où tu peux reconnecter avec ton corps en te connectant avec ta créativité et la musique. »
Avec son art, Bérénice incarne à merveille cette philosophie.
En la regardant performer, on sent que sa personnalité est imprégnée dans son style, qu’elle influence chacun de ses mouvements. En créant différentes connexions entre son corps et son esprit, elle parvient à transposer son émotion du moment pour transmettre son vécu.
« Ça peut servir d’outil à tout le monde. Un peu comme une thérapie pour canaliser l’énergie. »
« LE YIN ET LE YANG SONT IMPORTANTS DANS NOTRE CULTURE »
Mon incursion dans l’univers de Bérénice m’entraîne vers la dimension culturelle entourant le breaking et l’importance qu’on lui accorde.
En discutant avec Éric « Zig » Martel, directeur national de Breaking Canada, on comprend qu’il s’agit d’une composante essentielle. C’est l’ADN même de la discipline.
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Pour saisir l’ampleur du phénomène, il faut se replonger au cœur du mouvement hip hop, né dans les années 1970 dans le Bronx, quartier défavorisé de New York.
« Au départ, la culture hip hop a été inventée pour enrayer la violence entre les gangs », raconte-t-il.
Les soirées improvisées dans le quartier, appelées les block party, ont permis de rallier différentes communautés autour de nouvelles formes d’art, comme le breaking.
« Ça part d’une culture qui parle aux jeunes. À la base, les B-Boys et les B-Girls [âgés d’environ 13,14 ans] ont commencé à danser, toucher le sol, à s’inspirer de différents types d’arts, comme les arts martiaux, et de différents types de danse. »
En prenant racine dans cet environnement multiculturel, le breaking s’est ancré dans un carcan unique. Chacun des membres de la communauté se fait un devoir d’incarner les valeurs transmises par ce bagage historique.
« Le yin et le yang sont importants dans notre culture », confie Martel, l’un des pionniers de la scène du break au Québec.
Avec la sortie de l’ombre de ce sport, il était primordial de préserver le caractère singulier de la discipline et de respecter ses traditions.
Pour arriver à Paris, le breaking a toutefois dû se conformer à certaines formalités propres à ce type d’événement sportif, mais pas à n’importe quel prix.
Avec son bagage, Éric Martel a offert son aide aux décideurs pour veiller à ne pas dénaturer le sport.
« On a du travail à faire en tant que pionnier pour éduquer les gens. C’est à nous de bien l’enseigner. »
PLACE À LA MAGIE
Si la route a été longue, l’attente tire à sa fin.
Prêts à épater la galerie, 16 b-boys et 16 b-girls prendront d’assaut la Place de la Concorde les 9 et 10 août pour s’affronter dans des duels enflammés.
Sur place, on évaluera la technique, l’exécution, le répertoire, la musicalité et l’originalité
Une réflexion philosophique sur l’esthétique a été nécessaire pour déterminer ces critères d’évaluation.
« C’était une réflexion sur ce qu’on trouve beau, en fait, pour juger ça, relate Bérénice Dupuis. Au départ, on avait pensé à des logiciels pour faciliter la tâche des juges, mais ça a soulevé plein de questionnements. Par exemple, comment calculer un critère de beauté? Et comment faire comprendre au public ce qu’on choisit de valoriser? C’est compliqué parce qu’en plus, il faut calculer la musicalité, la créativité. »
Malgré ces obstacles pour les juges, il y a fort à parier que le Canadien Philip Kim leur en mettra plein la vue.
À 27 ans, celui que l’on surnomme Phil Wizard, est le favori pour décrocher l’or chez les hommes.
Ce n’est pas un hasard si le Vancouvérois se retrouve parmi l’élite mondiale. Ses habiletés exceptionnelles lui ont permis d’être sacré champion de la discipline aux Jeux panaméricains de Santiago en 2023.
De plus, sa présence aux Olympiques a le potentiel d’inspirer la prochaine génération à s’adonner au breaking.
« Pourquoi ne pas se servir des Olympiques comme fenêtre pour faire découvrir les danses de rue? Si Phil Wizard se retrouve sur le podium, l’effet sera incroyable, estime Zig. C’est sûr qu’il va y avoir des retombées. J’en parle déjà avec d’autres danseurs de rue puis déjà, ils sentent l’engouement pour les différents styles de danse. »
Entre l’ombre et la lumière, le breaking a le potentiel de captiver le monde entier à Paris.
À travers les yeux des pionniers passionnés, on comprend qu’au fond la richesse du breaking se cache dans son authenticité et ses traditions.
Comme quoi le breaking va bien au-delà de ce que Channing Tatum et sa bande ont bien pu nous faire miroiter à une certaine époque.
Quant à moi, je continue de perfectionner mes power moves. Qui sait, je serai peut-être la prochaine B-Girl à surveiller!