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Vous connaissez le scénario…
Mardi soir à la maison, cellulaire à la main, combattant la tentation d’ouvrir le sac de chips parce qu’on sait que grignoter le soir c’est pas top pour la santé. Bon, ok, la santé on s’en sacre pas mal, les chips c’est mauvais pour le ventre et on veut se trouver beau tout nu, en santé ou non.
Bref, cellulaire à la main, seul à la maison, le regard qui alterne entre la télé, l’ordi et l’écran de notre téléphone. Ah… une notification. Ah non, c’est juste une alerte de La Presse.
Fuck!
On se reperd dans nos pensées. Quel statut je pourrais publier sur Facebook pour avoir quelques likes? Et si je commentais la photo de quelqu’un? Instagram peut-être, est-ce que j’ai des bas de laine qui s’agencent avec ma tasse de thé? Non, zut, peut-être que j’ai une bonne blague pour Twitter, ou mieux, je pourrais embarquer sur un hashtag et m’installer devant Unité 9 – d’un coup qui se passe quelque chose cette année.
Maudit que j’ai l’air con quand je prends une selfie.
Je dis mardi soir, mais c’est lundi aussi, pis mercredi, jeudi et même la fin de semaine. Notre rapport à l’autre est constamment sollicité avec la proximité illusoire des médias sociaux. En tout temps, on projette une image de soi, on cherche l’attention de l’autre, on se réconforte quand on existe à l’extérieur de notre solitude à la maison.
Exister dans le regard des autres, exister parce que le silence est lourd, exister même sur le bol de toilette – en fait, exister surtout sur le bol de toilette.
Quand c’est le silence sur nos notifications, un certain malaise s’installe, une panique même. Abusivement rafraîchir nos applications, nos navigateurs, nos appareils de communications devient une tentation difficile à contenir. Constamment vérifier notre téléphone au cas où les notifications se sont désactivées accidentellement.
Refresh, soupir, déception. Refresh, sourire, petit papillon dans le bas ventre.
Pourtant, c’est souvent d’une insignifiance alarmante. Une satisfaction rapidement consommée, subitement oubliée. Notre quête d’existence entre deux likes est en fait un désir de plaire, de séduire, de ne pas se réduire à l’oubli.
J’ai des likes, donc je suis.
Les soirs silencieux à la maison où je suis immanquablement absorbé par l’activité sur mes médias sociaux, je ne suis pas productif, ni constructif, ni en train de me bâtir un avenir ou une vie meilleure. Je suis limite paralysé, pétrifié par la peur de ne plus être dans le regard de l’autre.
Et je sais que je ne suis pas le seul, bien au contraire, c’est dans l’ère du temps.
Les médias sociaux sont devenus des sites de rencontres, les likes deviennent des relations, les «poke» de Facebook ont fondés des familles. C’est étourdissant, les gens finissent toujours par se retrouver – mais l’attente est souvent laborieuse.
Exister dans le regard des autres, entre deux likes, l’espoir au bout des doigts, ça finit par ruiner ma relation à l’autre. Parce que tout devient une interprétation, une projection, un message codé. Tu as liké ma photo, mais oserais-tu m’aimer un lundi matin dans la cuisine? Tu commentes mon dernier statut Facebook, mais oserais-tu me souhaiter «Bonne journée» avant de quitter la maison?
C’est presque tentaculaire, on se répand sur les médias sociaux. Mais que reste-t-il de notre vie à la maison, un mardi soir, seul, entre un écran et un sac de chips?
Toutes ces questions, ces malaises, le bouton refresh ne possède pas les réponses. Je le sais, tu le sais probablement, et pourtant on l’use encore.
Refresh, existe et puis quoi après?
Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau: « Papa pourquoi t’es pas patient? »