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Le bonheur immortel de regarder Jackass
Personne n’a jamais reçu de félicitations pour avoir écouté Jackass. Les cascades autodestructrices de Johnny Knoxville, Bam Margera, Steve-O et compagnie ont inquiété leur part de parents d’ados casse-cou en région, en banlieue et partout où il n’y a pas grand-chose d’autre à faire le samedi soir que de filmer ses niaiseries pour les mettre sur internet. Il faut les comprendre. Non seulement Jackass n’est pas exactement un plaisir sophistiqué, c’est aussi potentiellement dangereux. Les membres du célèbre groupe de cascadeurs ont eux-mêmes perdu quelques morceaux au fil des années.
Pourtant, Jackass n’a jamais complètement disparu. Depuis vingt ans, la franchise continue de produire des films, des dérivés télévisuels (Viva La Bam, Guilty As Charged, etc.), des jeux vidéos, etc. Les titres changent, mais le concept est toujours le même : une gang de gars immatures se lance des défis impossibles à réussir et ultimement se faire mal. Et ils seront de retour au cinéma la semaine prochaine avec leur nouveau film Jackass Forever.
Si Jackass existe (et prospère) encore aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une demande pour son spectacle d’autodestruction joyeuse. « Qui peut bien encore regarder ça ?», me demanderont les parents en 2021. Des gens comme moi, mais pas que. Je vous dirais que je ne considère même pas cela comme un plaisir coupable. Johnny Knoxville et son armée de casse-gueules me font rire depuis vingt ans. Mais pourquoi donc?
Slapstick 2.0
L’humour corporel n’est pas né avec Jackass. Ça fait longtemps que les gens rient des gens qui prennent des plonges. C’est un phénomène qui a probablement toujours existé et qui existera probablement toujours.
Déjà, on retrouvait ce type d’humour dans les belles années du théâtre de variété et du cinéma muet. L’image qui nous vient immédiatement en tête est celle d’un Charlie Chaplin en plein contrôle de ses moyens qui faisait rire les audiences avec un art à mi-chemin entre celui du mime et celui du clown, mais il existait un autre acteur presque aussi populaire et beaucoup plus extrême à l’époque : Buster Keaton.
Keaton n’était pas le premier cascadeur dans l’histoire du cinéma, mais il aura été le premier à faire fortune avec ses échecs et non ses réussites. Dans son cas, ses cascades ratées étaient planifiées et chorégraphiées pour assurer un maximum de sécurité, mais il aura quand même inventé l’art de se péter la gueule pour la caméra, mais surtout pour l’argent.
Keaton n’était pas le premier cascadeur dans l’histoire du cinéma, mais il aura été le premier à faire fortune avec ses échecs et non ses réussites.
Les gars de Jackass sont en quelque sorte les enfants rebelles de ce long héritage d’humour slapstick qu’ont bâti Keaton, Laurel & Hardy, Benny Hill, Chris Farley, Jim Carrey, Will Ferrell et beaucoup d’autres. Ceux qui rendent tout le monde inconfortable au party de Noël. Chaque famille a une gang de djeunes imprévisibles comme eux qui font stresser leurs mononcles et leurs matantes en silence.
Le concept vient également d’une culture banlieusarde du début du millénaire. Lorsque Johnny Knoxville a fondé Jackass, il a recruté plusieurs skaters qui produisaient déjà des vidéos dans le genre. Notamment la gang de CKY, qui compose une bonne partie de la famille élargie de Jackass (Margera, le regretté Ryan Dunn, Brandon DiCamillo, Rake Yohn, Raab Himself, etc.). Oui, les gars de Jackass sont des cascadeurs professionnels, mais ils sont également une bande d’amis en quête perpétuelle d’émotions fortes.
Repenser notre relation à l’échec
Les raisons qui font de moi un inconditionnel de Jackass sont multiples. Premièrement, je dois avouer que les blagues de fluides corporels me font beaucoup rire, c’est comme ça..
Deuxièmement, je suis fan de mauvaises idées. Faire du bungee dans une toilette chimique, personne n’aurait l’idée de s’imposer ça. Et on n’aurait probablement jamais cru que ça allait provoquer une pluie de caca en spray sur le reste de l’équipe de tournage si on ne l’avait pas fait. C’est fou, la physique. Quand on met en pratique de mauvaises idées, ça vient avec plusieurs découvertes fascinantes auxquelles on n’aurait pas pensé en théorie.
La raison principale qui m’a poussé à suivre assidûment les dangereuses péripéties de ce groupe de sympathiques hurluberlus depuis deux décennies, c’est qu’ils me font me sentir bien. Ils ne me donnent pas du tout le goût de me faire mordre les mamelons par un serpent ou de me faire renverser par un taureau, mais leur autodestruction sisyphéenne est importante dans le sens où elle me réconcilie avec l’échec. On a ici une gang de gars un peu fêlés qui se donnent des défis impossibles à relever sans se faire mal et qui le font avec un sourire et une bonne humeur contagieuse. Prenez par exemple leur légendaire parcours à obstacles Electric Avenue :
Regardez leur visage avant le début de l’épreuve. On peut lire la peur dans les yeux de Bam Margera et de Steve-O. On les voit se tordre de douleur lorsqu’ils se font toucher par les appareils électriques (qui sont inévitables), mais on les voit aussi se relever, finir le parcours et parfois même sourire. Plus important encore, on les voit encore en un seul morceau lors du sketch suivant, leur camaraderie et leur bonne humeur encore plus présentes. Les gars de Jackass échouent, se font mal, écorchent leur système digestif de plein de manières aussi sadiques que créatives, mais ils s’en sortent et recommencent toujours.
Je sais pas pour vous, mais ça me fait rire et ça me réconforte en même temps.
On se rappellera d’eux comme de braves chevaliers de l’échec ayant dédié leur vie à affronter les lois de la physique, du bon goût et du monde naturel en général.
Vous me direz que c’est peut-être une question de temps avant que l’un d’entre eux n’en meure. Il y a eu des blessures graves. Johnny Knoxville a confié récemment s’être très sérieusement blessé sur le tournage de Jackass Forever. Ryan Dunn est décédé dans un accident de voiture en 2011 que plusieurs ont lié à son mode de vie excessif pendant les années Jackass. On ne peut quand même pas les qualifier de victimes. Ils ont choisi de vivre cette vie et ils ont été royalement compensés.
On se rappellera quand même d’eux comme de braves chevaliers de l’échec ayant dédié leur vie à affronter les lois de la physique, du bon goût et du monde naturel en général. Ils n’auront jamais réussi de cascade sans douleur ou blessures, mais leur survie pendant toutes ces années (et l’invincibilité de leur bonne humeur) aura été leur triomphe. Ils sont la preuve même que la vie peut vous asperger de caca tant qu’elle veut, elle ne vous brisera pas, suffit de ne pas prendre personnellement les revers et les humiliations.
Oui, je vais regarder Jackass Forever. Peut-être même au cinéma si tout se passe bien avec la réouverture des salles. Vous devriez aussi. On mérite tous et toutes de prendre les coups du destin à la légère par les temps qui courent, vous trouvez pas?