.jpg)
C’est une Anonyme qui m’a donné envie d’écrire mon billet, après avoir eu envie de hurler, avec ce texte, mais surtout celui-ci, deux textes où elle raconte une histoire d’amour extra-conjugale. Que ce soit clair, ce ne sont pas ses billets qui m’ont choquée, ni le sujet de l’infidélité, mais plutôt la violence de certains commentaires, où on traite l’auteure de tous les noms, où c’est ben juste si on lui souhaite pas les flammes de l’enfer.
Il y a ce beau mot en anglais, self-righteousness, que je rendrais en traduction libre par « j’suis don’ ben dans le droit chemin pis toi le voisin t’es donc ben dans le champ ». Ou encore par « sentiment de grande supériorité morale » toujours sur ledit voisin. C’est de ça que je veux parler ici.
C’est quelque chose qui m’a surtout frappée, agressée même, après la naissance de mon premier enfant. Tsé, ce moment qui surpasse tous les autres que tu as vécus avant et que tu vivras après, quand tu rencontres pour la première fois un être humain qui s’est tout au complet forgé dans ton fourneau intérieur pis que tu découvres son petit corps et sa bette violette. Sauf que, du jour au lendemain, une porte s’ouvre. Pis elle s’ouvre grand. Une porte qui permet à des gens, beaucoup de gens, dont certains que t’as jamais vus ni élevé veaux-vaches-cochons avec, de te dire quoi faire, et surtout ne pas faire, avec ton nouveau-né. Parce qu’eux savent. Pis toi, c’est écrit dans ta face que c’est ton premier, alors forcément, tu sais rien. Et ils ne vont pas vers toi tout chaleureux et empathiques, oh que non, mais plutôt l’air sévère, le sourcil froncé, le ton désapprobateur.
Je me rappelle ma « première fois ». Une dame, d’origine asiatique à voir ses yeux, ne parlant ni français ni anglais, à réussi à me mimer « t’as donc ben pas d’allure de sortir ton bébé de 2 semaines avec pas de bas à 40 degrés à l’ombre » drette sur le trottoir devant l’épicerie. J’ai sans doute souri poliment. Mais j’étais en état de choc. Et ce choc a longtemps continué à se répercuter.
Un jour, après la naissance du petit dernier (il semble que j’aie longtemps gardé une face de nouvelle mère), je me suis trouvé une réplique assassine à asséner au prochain inconnu à me juger sur mes capacités parentales. Exemple, un quantième nono me dirait que mon bébé risquait de mourir étouffé dans mon sac ventral caché sous ma doudoune d’hiver. Eh bien, je le dévisagerais des pieds à la tête, à la recherche d’une faille, et lui répondrais quelque chose comme « Tu vois, moi, comme je ne te connais pas, JAMAIS je ne me permettrais de te dire sans y être invitée que ta tuque te donne un air de rat d’égout, que tes lèvres botoxées te donnent un air d’AML, mais en plus vulgaire, que (mettre ici tout autre commentaire poche sur son allure physique)».
Évidemment, une fois la réplique inventée et pratiquée quelques fois dans ma tête en croisant des inconnus qui faisaient mine de regarder en direction de mon manteau déformé, plus personne ne m’a passé de commentaires.
Autre moment d’ahurissement en lien avec la maternité : les forums de mamans – en devenir, en cloque ou en train de changer les couches d’une trâlée d’enfants. Hou que l’on s’y énarve le poil de tout le corps (du moins ce qui en reste, parce qu’en général, les filles y ont toutes la boule à zéro – c’est un autre sujet très à la mode sur ces forums) quand on y raconte avoir vu un enfant trop petit assis en avant et pas attaché dans un gros SUV. « J’ai appelé la police, ai-je bien fait? » La plupart de celles qui choisissent de se prononcer applaudissent son courage et son sens civique. Je n’arrive pas à me retenir de plonger dans le jeu de quilles avec un brin d’ironie : « La police, mais pourquoi pas la dépégie? Le père devrait se faire enlever son enfant, en avant, même pas trois ans, heille! Il faudrait rétablir la peine de mort! »
L’ironie ne semble pas avoir sa place sur ce genre de forums.
Maintenant, chère Anonyme, je reviens à ton billet. Qui porte, n’est-ce pas, sur l’adultère, grave péché s’il en est. C’est sûr que si tu couches avec un homme marié, c’est rare que le monde applaudisse, que tu te fasses dire : C’est super! (Évidemment, la fille est encore aujourd’hui plus sujette à lapidation que le gars infidèle ou qui couche avec une fille en couple, mais c’est un autre sujet.) Moi, dans ma vie, je me suis retrouvée dans les deux cas de figure : maîtresse et cocufiée. Les deux n’étaient pas agréables, mais cocufiée était pire, je ne vous mentirai pas là-dessus. Sauf que, depuis ma rupture des suites d’un cocufiage, je me suis retrouvée encore dans les bras d’un gars engagé. Bon je sais, je sais, éthiquement, c’est carrément indéfendable. Et vous pouvez vous dire « quelle salope » si ça vous chante, me l’écrire même si ça vous fait du bien, ne me remerciez pas, je suis fine de même, servir de punching bag ne me dérange pas. D’ailleurs, dans les commentaires au texte d’Anonyme, il y a un où on la traite de poufiasse. Oui, vraiment, après avoir lu un texte bien écrit qui se veut une réflexion sur une situation émotivement difficile, on sort l’artillerie lourde du slut-shaming : espèce de poufiasse. (Cela dit, j’adore ce mot, mais utilisé comme mot doux entre amies).
Donc, dans mon cas, je le savais que je ne devais pas faire ça, que ça avait « pas d’allure ». C’est juste quelque chose qui est arrivé. Le gars en question, il avait juste à me regarder, et j’avais les jambes en guenille… Merde, c’est de même, je suis une être humaine bourrée de contradictions (m’étonnerait que je sois la seule), et à choisir entre être anesthésiée ou passionnée, je saute sur la seconde option n’importe quand. Malgré la douleur qui vient souvent avec. Quand un homme me bouleverse, me prend aux trippes et au corps, j’ai le surmoi qui se pousse très loin en me faisant un pied de nez et en me disant : envoye, débrouille-toi avec ça. Dans les commentaires pour Anonyme, il y en a une qui disait en gros : kessé t’as d’affaire à tomber amoureuse d’un gars marié, tombe amoureuse d’un qui est libre. WoW! Je suis ravie d’entendre qu’il y a des gens capables de se contrôler ainsi le sentiment amoureux. Sincèrement, moi, les fois où j’ai essayé, ça a juste complètement rempiré les choses, je suis devenue parfaitement, totalement, obsédée par la personne que j’essayais très fort de ne pas aimer.
Tout ça c’est évidemment une affaire de Morale. Ce grand M qui nous permet de juger les actes des autres. De reconnaître le bien du mal sans se donner le temps d’y réfléchir. Moi, en dehors du fait que j’ai cocufié et l’ai été, j’ai aussi émis des jugements sur les activités hors couple de certaines amies. Un jour, j’ai pensé : « c’est quoi cette morale, ou cette supériorité, qui me donne le droit de juger? De juger vite, sur une dix cennes, sans essayer de comprendre, sans me mettre à la place de…». C’est sûr qu’il faut s’en bâtir une, de morale, clairement, ça en prend pour avoir un sens de direction, de valeur, de j’sais pas quoi, mais asséner la sienne aux autres, me semble que c’est… déplacé. Il doit ben exister un dicton du genre : le jugement moral des uns fait l’orgasme des autres…
Je focusse sur l’infidélité et la maternité, parce que ma réflexion est partie de là, mais c’est sans arrêt, partout, tout le temps, qu’on se fait juger, (et qu’on juge). Les gens nous jugent si c’est le bordel chez nous, parce qu’on va chez le psy, parce qu’on ne s’entraîne pas assez, ou trop, parce qu’on est émotif, ou qu’on a l’émotion pas bien timée, parce qu’on travaille trop, parce qu’on n’est pas capable de garder une job, ou de bien matcher nos vêtements, parce qu’on emmène un bébé naissant au restaurant, parce qu’on boit trop, ou pas assez, parce qu’on prend trop de temps pour répondre à des emails, parce qu’on prend trop souvent ses emails, parce qu’on est trop bourgeois, ou trop bohème, parce qu’on est trop sévère, ou pas assez, avec ses enfants… On se chèke les uns les autres tout le temps! Et ça fait du bien, un gros bien rassérénant. (Et je ne me prétends pas à l’abri, loin de là.) Et c’est encore mieux à deux, ou plus. Qu’on est donc bien, en gang de monde qui pense la même chose et qui pointe en même temps son doigt dans la même direction. Que c’est confortant, que l’on se sent, je l’sais pas, justifié, légitimé, du bon côté, avec les justes et contre les méchants… toutte ça, et sans doute plus. C’est humain, je le sais, encore une fois sûrement une affaire de survie de l’espèce par appartenance à une gang. C’est sûr, c’est humain, bêtement, mais ça fait aussi tellement cour de maternelle.
Et je suis consciente que ce billet peut, lui-même, sonner comme un pointage de doigt en direction de ceux qui pointent du doigt. Mais ce que j’ai envie de dire, ici, plus que « qu’ils ont donc pas d’allure ceux qui jugent », c’est « hey, gang, me semble que des fois, c’est juste tellement dur de vivre, on peut-tu s’entraider ou vivre et laisser vivre comme on dit au lieu de se caler les uns les autres »? Et que moi, je préfère ceux qui prennent la peine de voir les différents côtés d’une médaille, de se permettre le doute, à ceux qui foncent tout feu tout flamme à l’assaut des impies avec l’assurance de tenir entre les mains l’épée de la justice.
Peace!