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Petite, je détestais répondre au téléphone, car cela impliquait que j’allais devoir raccrocher et dire «au revoir» à mon interlocuteur/interlocutrice, à un moment donné. Si c’est mignon ou creepy, je ne sais pas trop. Et puis il y a eu les réseaux sociaux et les messageries instantanées: pouvoir parler toute la journée à quelqu’un sans forcément mettre de point final à la conversation, alléluia. Ça me convenait bien, jusqu’à ce que je m’expatrie et que la réalité me rattrape.
«Vous êtes chiants à tous vouloir “rentrer” en France.»
Cela va faire 6 ans que je vis à Montréal, alors je ne compte plus le nombre de «pots de départ» et «apéros d’au revoir» que j’ai pu faire pour souligner le départ «définitif» des mes compatriotes, bien décidés à rentrer au bercail. Quelle idée. Ouissem, Agathe, Isabelle, Marion, Léa, Charlotte, Edouard, Marie, Karine, Pauline, Stéphane, Mélanie, Tiphaine, etc. La liste est bien plus longue, évidemment.
«Mais c’est quoi le concept? On s’attache à des personnes, on vit des moments intenses ensemble et après on devrait s’abandonner? Vous êtes chiants à tous vouloir “rentrer” en France.» Ça, c’est ma conjointe canadienne qui ne s’en remet toujours pas. À chaque fois qu’un.e de nos ami.es nous quitte, un petit bout d’elle meurt quelque part. Pareil pour moi, mais ma nature bretonne ne laisse rien transparaitre.
Pourtant, je n’en pense pas moins. J’ai même essayé de mettre au point des stratégies de non-attachement quand je rencontre un.e Français.e que je soupçonne d’être réellement cool: le/la trouver trop français.e (ça veut rien dire, je sais), focaliser sur ses défauts, refuser ses invitations à boire un café en terrasse ou à partager une clope en soirée, décliner toute éventuelle invitation au chalet (le piège ultime), etc. En vain. Je n’y arriverai jamais. Je suis plus empathique que je ne le crois (j’avais même lancé un média rien que pour eux…).
DU COUP, il n’est pas rare que je me fasse BFF avec une personne dont le visa expire dans 3 mois et qui n’a aucun moyen de pouvoir rester plus longtemps sur le sol canadien. «Je peux te parrainer, si tu veux!» Oui, j’ai déjà proposé cette option en crânant avec ma RP (résidence permanente). Personne ne m’a encore prise au sérieux.
Autre technique sournoise que j’ai mise en place pour ne pas avoir à gérer une éventuelle peine amicale: miser sur les Français.es déjà bien ancrés au Québec, autrement dit, celles et ceux qui ont dit oui pour la vie (ou juste pour le pire) à un.e Canadien.ne. A priori, eux, ils devraient rester un petit moment au pays de l’hiver… À moins que leur moitié soit en partie français.e et là c’est foutu. Bref, vérifiez bien avant de consommer votre amitié au risque d’y laisser des plumes.
Les PVTistes sont peut-être les pires à gérer en amitié: ils sont souvent un peu paumés, donc super attachants, mais prévoient déjà de filer en Australie après leur séjour canadien. «Nan, mais l’hiver ici, c’est too much. Tu trouves pas?» Ils me lancent ça parfois naïvement. «Mais je m’en fous du temps qu’il fait, moi! Je veux que tu restes ici, point barre.» Ça, c’est ce que je réponds en gueulant dans ma tête. Il n’y a rien de plus injuste que de devoir gérer une rupture amicale… quand tout va bien – hormis le visa.
Les PVTistes sont peut-être les pires à gérer en amitié: ils sont souvent un peu paumés, donc super attachants, mais prévoient déjà de filer en Australie après leur séjour canadien. «Nan, mais l’hiver ici, c’est too much. Tu trouves pas?»
Alors j’ai décidé de prendre la vie comme elle vient et de me faire une raison. La vie d’expat’ est un magnifique accélérateur de relations… et de séparations. «Mais on se dit juste au revoir, pas adieu, on va se revoir!» Ils disent tous ça. En réalité, ça change tout parce que pour se revoir, il nous faudra désormais traverser l’océan (avec le compte en banque qui va avec), des vacances (ou du télétravail, si le concept survit dans le monde d’après), mais aussi et surtout rester sur la même longueur d’onde malgré la distance, le temps qui passe, et la vie qui avance. C’est rare, mais pas impossible, je sais (coucou Karine!).
Une chose est sûre: en quittant son pays, et après quelques mois seulement d’expatriation, nos «vrais» amis se comptent souvent sur les doigts d’une main, après avoir dû rompre avec les jaloux ceux restés de l’autre côté de l’océan – oui, la distance fait parfois aussi office de déclic voire de révélation.
Malgré tout, pour rien au monde, je ne retirerais l’épée de Damoclès qui flotte au-dessus de nos amitiés en transit: c’est grâce à elle qu’on passe des moments mémorables avec des personnes qu’on n’aurait jamais rencontrées en France et qui, le temps d’un chapitre de nos vies, comptent plus que tout au monde.
Sans rancune. Continuez à aller et venir, à nous envahir, et à nous rappeler que la vie est une succession de petits chapitres qui se savourent en bonne compagnie. Cheers!
PS: Arthur et Julie, quand vous rentrerez de vos énièmes vacances en France, lancez votre p***** de demande de RP ou je vous parraine. Merci! Bye.